Une journée mémorable qui commence par un petit déjeuner insolite : pain, olives, huile d’olive, confiture de piments et arachides ; une journée de solitude, de lecture avec Saint-Exupéry, Kessel, Rilke, et d’amitié avec la Mum’s
Je vais bien. Par moments, je me sens un peu seul, mais cela fait partie de la vie du voyageur. Je lis justement un article à propos de Rainer Maria Rilke (dont j’ai emporté les Lettres à un jeune poète). Comment les difficultés de la vie font grandir notre âme, comment les grandes tristesses nous transforment et nous rapprochent de nous-mêmes. Je dis toujours qu’il n’y a pas de hasard. Alors, je sens particulièrement aujourd’hui la pointe de la tristesse, celle qui pique où ça fait (encore) mal, la nostalgie qui surprend et engloutit… #Off2Africa 10 Tarfaya Maroc
Ma vie en Inde me manque. Je n’arrive pas encore à me défaire d’elle et surtout du sentiment d’injustice. Comme il n’y a pas de hasard, il doit bien y avoir une raison à ce bannissement imposé. Une raison ou un remède…
Encore une fois, le meilleur moyen de s’extirper de cette torpeur est d’aller de l’avant : je pars ce soir pour Dakhla. Les horaires des bus sont imprécis ; je veux voyager de nuit même si je vais de facto manquer la découverte du paysage. Il semble y avoir un départ vers 20 h, une bonne dizaine d’heures de trajet. Bah, je dormirai ! Même le jour, je dors dans les bus. Je dors de plus en plus. C’est inhabituel, mais je me laisse faire. Au moins j’éviterai une halte, cela me fera économiser une nuit d’hôtel et je serai à Dakhla pour le lever du soleil. Il y aura aussi moins de contrôles de police, du moins je l’espère. J’ai fait plusieurs copies de mon passeport à Agadir, cela servira sur la route jusqu’en Mauritanie.
Dakhla est censée être une superbe lagune de sable et d’eau. Ensuite, ça se corse… Je tenterai le passage de la frontière avec la Mauritanie pour atteindre le Sénégal. Voyager dans la région est un peu risqué et je suis seul. Ce serait bien de trouver des personnes qui font aussi le trajet depuis Dakhla. On verra bien… Insha’ Allah comme on dit ici. Ça va aller ! Au pire, je reprends l’avion pour Casablanca et Dakar, mais je vais au moins essayer. Par ailleurs, j’ai réservé une chambre sur place, il n’a plus qu’à y arriver. J’ai aussi obtenu, pour 50 Dirhams (4,60 €), de garder la chambre à Tarfaya jusqu’au départ du bus. J’apprends aussi que le voyage de Dakhla à Dakar via la Mauritanie est possible ces temps, on acquiert le visa directement à la frontière… Yallaaaaaa, Gillou à Nouakchott !
Maintenant que le plan de la journée et de la suite du voyage sont arrêtés, je suis prêt à visiter le musée Saint-Exupéry et revoir Casa del Mar.
Le musée est désert. L’employé allume les lumières en somnolant avant de se rassoir. Je me régale à lire consciencieusement tous les panneaux qui expliquent la grande aventure du courrier postal entre l’Europe, l’Afrique, l’Amérique du Sud. L’aviation m’a toujours fasciné, les aventures comme celles de Saint-Exupéry, Mermoz et les autres tout spécialement. Je m’aperçois que je suivrai à peu près, mais par la route, la ligne de l’Aéropostale : Agadir, Cap Juby (Tarfaya), Villa Cisneros (Dakhla), Port-Etienne (Nouadhibou), Saint-Louis, Dakar. C’est absolument involontaire, mais je réaliserai bien vite que les meilleurs moments #Off2Africa seront souvent ceux qui n’étaient pas prévus au départ.
Les exploits des pionniers de l’aviation me donnent de la force et m’inspirent, car ils ont réussi à survivre dans de telles conditions, seuls au milieu des éléments. Je peux bien, moi aussi, surmonter les difficultés présentes de ma vie, faire grandir mon âme, mettre à profit ma grande tristesse pour me transformer, me rapprocher de moi-même. Je me remémore ce que mon père m’avait un jour dit : « Tu parviens toujours à transfigurer ce qui t’arrive. » Alors cette fois encore, je tenterai de tourner la page et, qui sait ?, d’en écrire une nouvelle.
La couverture du Petit Prince en hindi me fait sourire et un peu mal au cœur. J’avais partagé cet ouvrage avec mon ami Pradeep et j’ai une pensée aussi pour Faraz de Mumbai, à qui j’envoie la photo. Celles et ceux qui rêvent de s’en/voler devraient le faire. Plus je voyage, plus je pense qu’il faut absolument se sortir de toutes les excuses si valables que l’on invoque. Et, si le salut impliquait le geste conscient et fou de s’arracher du confort de notre vie moderne, de ces réseaux sociaux si asociaux et de leurs distractions futiles ? Je suis ravi de ne pas avoir emporté mon ordinateur. Si j’avais osé, je serais même parti sans téléphone, mais j’avais une excuse valable…
La visite est dense ; j’ai besoin de décanter toutes ces émotions et la plage est à deux pas. Par chance, elle est presque déserte, trois gamins s’essaient au surf, mais renoncent vite. Je reste seul devant le beau bâtiment de la Casa del Mar et mon esprit vagabonde…
En me promenant sur la plage hier, si vide, si nue, éternellement lavée par la mer, j’ai pensé que nous étions semblables à elle. Je ne sais pas bien si nous existons. Tu as vu, certains soirs, aux couchers de soleil tragiques, tout le fort espagnol, dans la plage luisante, sombrer. Mais ce reflet d’un bleu mystérieux n’est pas du même grain que le fort. Et c’est ton royaume. Pas très réel, pas très sûr…
Antoine de Saint-Exupéry, Courrier sud
Cette journée est vraiment magnifique. À vrai dire, j’adore cette ville. Je pourrais m’y installer et ne plus me soucier de rien. Je commence à savoir identifier ce signal typique : il ne faut surtout pas succomber à cette tentation. C’est encore trop tôt. Je dois avancer.
Je vais manger un peu et acheter mon billet pour Dakhla. Départ vers 19 h 45, arrivée demain matin vers six heures. Je m’assure de ne plus avoir besoin des toilettes, je prends une douche et ferme mon sac. On part bientôt, j’imagine, mais le bus n’est pas encore arrivé…
Le bus est enfin là. Au revoir Tarfaya…
#Off2Africa 10 Tarfaya Maroc
Lundi 5 décembre 2016
Durant #Off2Africa, j’avais pour habitude de ne partager qu’une photo par jour, sans légende.
Celle du jour figure en haut de ce récit ; en voici d’autres…
de ci, de là 