Deux femmes dans une rue, la photo est partiellement en couleurs #Off2Africa 13 Dakhla Sahara 1ʳᵉ partie © Gilles Denizot 2016
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#Off2Africa 13 Dakhla Sahara occidental — Frontière Mauritanie

Première partie — Le soleil se lève sur Dakhla, je suis prêt à partir pour la Mauritanie


Brahim est, comme convenu, au rendez-vous et a même trouvé deux autres passagers ; tout va bien. Il s’éclipse brièvement pour la prière du matin, mais la voiture est chargée. Un plein d’essence, et en route ! #Off2Africa 13 Dakhla Sahara

Deux femmes dans une rue, la photo est partiellement en couleurs #Off2Africa 13 Dakhla Sahara 1ʳᵉ partie © Gilles Denizot 2016

Les contrôles de police se succèdent, nous les passons tous sans problème. Nous croisons un jeune gars avec sa guitare au bord de la route. Finalement, il y a toujours plus routard que soi… Un dernier coup d’œil à la belle lagune, puis c’est tout droit !

La route est de très bonne qualité ; assis sur le siège avant, je converse avec Brahim. C’est alors que je remarque d’étranges monticules de pierres le long du chemin. Ils sont des deux côtés, à une petite distance de la voie goudronnée, espacés de quelques mètres les uns des autres. C’est aussi beau que leur raison d’être est triste : Brahim m’explique que ces monticules indiquent les zones déminées et sécurisées. Je ne vais pas entrer dans le débat politique ni vous parler du Maroc, du Sahara occidental, de la Mauritanie, du Front Polisario, de la Minurso, de l’ONU. Vous trouverez ici, ici, et ici des clés pour en savoir plus, si vous le souhaitez. En revanche, je vais vous dire ce que j’ai ressenti en passant dans cette région.

Le désert du Sahara est une splendeur. J’ai un faible pour les déserts en général, mais celui-là est vraiment particulier. Il se trouve qu’ont été publiés tout récemment les résultats d’une étude conduite par Jessica Tierney, spécialiste en géosciences à l’université de l’Arizona et son équipe de recherche. Il y a 11 000 ans commençait la période du « Sahara vert ». Pendant 6 000 ans, il y a plu abondamment, on observait même des lacs, de la végétation et des populations. De nos jours, le Sahara est devenu la plus grande étendue chaude du monde, sur 9 millions de kilomètres carrés. L’Antarctique, 13 millions de kilomètres carrés, est quant à lui le désert le plus froid et le plus grand du monde, mais moi, je n’aime plus le froid, mon choix est donc vite fait. Plus de 35 % de la population mondiale vit dans un écosystème désertique. Cela veut dire que ce qui se passe dans le Sahara, une région âgée d’au moins 7 millions d’années, est un bon indicateur de ce qui pourrait se produire ailleurs, quand ce n’est pas déjà le cas. Richard K. Wright, du département d’archéologie et d’histoire de l’art à l’université de Séoul, est le premier à démontrer que les activités humaines à l’époque du néolithique auraient déjà pu jouer un rôle déterminant dans la désertification du Sahara. Ça, c’est pour la partie scientifique et historique…

Ce qui m’intéresse surtout, c’est l’impact de nos choix de vie sur l’être humain, sur nous-mêmes. Alors, je le reconnais volontiers, je ne suis pas parfait, et de loin ! #Off2Africa en bus, en taxis brousse et autres moyens de transport, a certainement généré un sacré bilan carbone. Mea culpa, mea maxima culpa. En découvrant ces monticules de pierres le long de la route, j’avais naïvement pensé que c’était une coutume locale. Qu’il y avait un type qui passait sa vie à charrier, puis à installer les rochers et garantir qu’ils ne s’écroulent pas lors des tempêtes de sable, comme l’allumeur de réverbères du Petit Prince, vous voyez ? Eh bien ! Non… Des hommes ont un jour décidé que telle partie du Sahara était à eux et pas aux autres hommes, ceux d’à côté. Alors pour empêcher ceux d’à côté d’en profiter, ils ont érigé un mur, l’ont hérissé de radars et de détecteurs électroniques, et ont posé des millions de mines, sans toutefois indiquer leur position. Évidemment, certains hommes ont perdu la vie sur ces millions de mines. D’autres hommes, un jour, se sont mis à identifier les coins dangereux et ont entrepris de neutraliser ces pièges, mais il y a en tellement qu’il en reste encore. Ces beaux monticules de pierres servent donc à mettre en garde. Voilà… c’est ça qui me touche. Le Sahara, cette étendue gigantesque, ces dunes à perte de vue, ce paysage impressionnant, eh bien ! On ne peut plus l’explorer que sur cette route goudronnée, au risque d’y perdre la vie. On est excellents pour se la pourrir, la vie.

Le petit prince eut un soupir de regret et se dit encore :
– Celui-là (l’allumeur de réverbères) est le seul dont j’eusse pu faire mon ami. Mais sa planète est vraiment trop petite. Il n’y a pas de place pour deux…

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, 14

Tandis que, comme le petit prince, je poursuivais mon voyage, j’ai vu et vécu ceci :

Une route ensablée traverse le désert du Sahara #Off2Africa 13 Dakhla Sahara © Gilles Denizot 2016
#Off2Africa 13 Désert du Sahara © Gilles Denizot 2016

C’est là que j’ai compris que, peut-être,
il me fallait vivre comme le sable.

Ma vie était en Inde depuis cinq ans (mes affaires personnelles y sont toujours puisque je n’ai pas été autorisé à y revenir et mes élèves se sont chargés de vider ma maison). Lorsque je me suis retrouvé déraciné brutalement, perdu dans un no-man’s land et luttant de toutes mes forces contre cet exil. Il fallait plier pour ne pas casser, accepter de s’être laissé amener jusque-là puis poussé ailleurs, être assez présent pour se poser, mais suffisamment léger pour flotter juste au-dessus de la surface. J’en étais absolument incapable. Quelque chose s’était cassé dans mon moteur. Et comme je n’avais avec moi ni mécanicien, ni passagers, je me préparai à essayer de réussir, tout seul, une réparation difficile. C’était pour moi une question de vie ou de mort » écrivait Saint-Exupéry. Ainsi, donc, je suis parti en Afrique, dans le désert. En observant les dunes de part et d’autre de la route, le sable blanc qui touchait délicatement le goudron, mais sans s’y attacher, j’ai eu l’impression que le vieux Sahara me donnait là une leçon de vie. J’ai tâché de faire résonner en moi cette sensation physique, émotionnelle, aussi longtemps que possible, car, même si je partage avec vous cette photo,

On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

#Off2Africa 13 Dakhla Sahara
Jeudi 8 décembre 2016 (1ʳᵉ partie)


Durant #Off2Africa, j’avais pour habitude de ne partager qu’une photo par jour, sans légende.
Celle du jour figure en haut de ce récit ; en voici d’autres…