Un homme en boubou traditionnel assis au bord du fleuve Sénégal #Off2Africa 19 Saint-Louis Sénégal © Gilles Denizot 2016
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#Off2Africa 19 Saint-Louis Sénégal

Après le Maroc et la Mauritanie, me voici au Sénégal, au bord du fleuve, dans le quartier historique de l’île Saint-Louis


Les villes coloniales m’ont toujours marqué, en particulier celles au bord de l’eau. Je les trouve belles, même si elles sont souvent décrépies et empreintes de nostalgie. Toutefois, il faut aussi se souvenir de leur raison d’être initiale. Cela devient alors beaucoup moins reluisant, et je ne suis même pas encore à Gorée… #Off2Africa 19 Saint-Louis Sénégal

Un homme en boubou traditionnel assis au bord du fleuve Sénégal #Off2Africa 19 Saint-Louis Sénégal © Gilles Denizot 2016

Plaçons les choses dans leur contexte, pour ne pas tomber dans le piège du touriste toubab qui s’extasie ingénument sur une ville désormais inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. Je commence la lecture de Comptoirs et villes coloniales du Sénégal : Saint-Louis, Gorée, Dakar par Alain Sinou. Cet ouvrage retrace la construction des comptoirs et des villes de la côte sénégalaise du 17ᵉ siècle à 1931. À travers cette histoire, l’auteur s’attache à montrer comment la pensée et les modes d’action des Français en Afrique de l’Ouest évoluent en matière d’aménagement, comment des doctrines s’élaborent, et quels sont leurs effets sur l’espace urbain. Par exemple :

La population en France est particulièrement sensible à une littérature romanesque qui s’alimente de l’exotisme et qui produit des images bien plus marquantes que celles des panégyriques officiels. Saint-Louis, symbole de l’Afrique coloniale, devient dans ces récits une cité lointaine perdue dans les sables et les fièvres, comme se plaît à la décrire Pierre Loti, qui y demeure quelques mois en 1873. En descendant la côte d’Afrique, quand on a dépassé l’extrémité sud du Maroc, on suit pendant des jours et des nuits un interminable pays désolé, c’est le Sahara, la grande mer sans eau. Les plages du désert ont cinq cents lieues de long, sans un point de repère pour le navire qui passe, sans une plante, sans un vestige de vie. (…) Et puis enfin apparaît, au-dessus des sables, une vieille cité blanche plantée de rares palmiers jaunes, c’est Saint-Louis du Sénégal, la capitale de la Sénégambie. Comptoirs et villes coloniales du Sénégal, Sinou

En grattant la surface fragile des récits orientalistes, on révèle vite la face parfois encore cachée de l’histoire, et là, c’est la nausée :

Ancien comptoir français, Saint-Louis, à l’embouchure du Sénégal, a été un « immense réservoir d’esclaves », rappelle Mamadou Sène, chercheur et ancien président du syndicat d’initiative de la ville. Dans l’ouvrage Saint-Louis du Sénégal, traite atlantique et esclavage domestique, il décrit une ville entrepôt jusqu’à l’abolition de l’esclavage, en 1848. Saint-Louis du Sénégal, traite atlantique et esclavage domestique

En 1790, Golbeny estime la population de Saint-Louis à environ 5 000 personnes, réparties comme suit : 700 Européens, 2400 nègres libres, 2000 captifs de case et un nombre variable d’esclaves en transit. Comptoirs et villes coloniales du Sénégal, Sinou

Bien qu’étant arrivé de Nouakchott le matin même par tous les moyens de transport possibles ou presque, j’ai emprunté pour la première fois le pont Faidherbe juste avant 13 heures. Vive les départs avant l’aube, ou comme ma mère disait : l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. Il ne me faut que dix minutes pour m’installer sur le balcon de l’immense chambre 11 à l’Hôtel du Palais (encore merci pour le surclassement). C’est de là-haut que commence pour une fois mon exploration des lieux. Le marchand chez Senefou, juste en face, me repère immédiatement. Nous nous saluerons régulièrement en voisins. Des enfants jouent dehors. De belles femmes déambulent et répondent en riant aux hommes qui les complimentent : ce sont peut-être les signares d’aujourd’hui. L’appellation (du portugais senhoras) signifie la dame et marque le statut privilégié des jeunes femmes noires ou métisses qui ont épousé, à la mode du pays, des Européens à l’époque coloniale. On dit qu’elles menèrent des vies de femmes fatales, cultivant à l’extrême la sensualité.

Puis, je ne tiens plus et je descends pour vivre la rue et la ville, d’abord en rejoignant le pont Faidherbe :

#Off2Africa 19 Saint-Louis Sénégal © Gilles Denizot 2016

Je bifurque à gauche pour découvrir le quartier de Nord, en longeant le fleuve. Cette partie de Saint-Louis regroupe actuellement la plupart des commerces, des restaurants, des bars, bref, tout ce qu’un touriste aisé recherche. On y trouve aussi des bâtiments administratifs comme le palais de justice. Les larges allées bien ordonnées révèlent un quartier des riches commerçants au temps du comptoir.

Certains groupes ayant un statut particulier se distinguent spatialement. L’opposition religieuse entre les quartiers nord et sud de l’île repose également sur la présence au nord d’une communauté maure qui réside dans des tentes. Elle refuse de se mélanger à la population noire de l’île qu’elle considère comme inférieure. Comptoirs et villes coloniales du Sénégal, Sinou

C’est d’ailleurs dans le sud de l’île que seront isolés les soldats malades au XVIIIe siècle. Les rues n’étaient pas pavées et on trouvait de nombreuses huttes de paille organisées en tapades, de vastes enclos à la manière africaine, où sont logés les domestiques et où l’on entrepose les marchandises. J’explorerai la partie sud un autre jour.

Refusant de rester sur une impression nostalgique postcoloniale, je décide de me rendre au-delà de Nord, dans la zone de l’ancien quartier des esclaves.

Lorsque la quantité d’esclaves est supérieure aux capacités d’accueil des captiveries, le surplus est gardé dans un enclos situé dans la partie nord de l’île, dans une zone inhabitée. Les différents propriétaires des esclaves les considèrent comme des animaux, mais tiennent à les maintenir en bonne santé, afin qu’ils supportent au mieux la traversée où ils sont disposés comme des bestiaux dans les différents ponts des navires, et in fine, pour qu’ils puissent être vendus au meilleur prix en Amérique. Plutôt que de les entasser dans les captiveries, ils préfèrent en enfermer une partie dans des enclos, appelés gallo, nom vernaculaire qui désigne les espaces réservés aux esclaves dans les villages. Les chaînes qui les lient les uns aux autres limitent les risques d’évasion. Le caractère temporaire de leur séjour explique aussi le souci de limiter les investissements en dur pour les enfermer. Les traitants et les négociants n’édifient pas de construction particulière pour cette population en transit, comme dans les plantations des Antilles où ils demeureront de façon permanente (les rues case nègre). Comptoirs et villes coloniales du Sénégal, Sinou

La sentez-vous maintenant, la nausée ?

Alors pour conjurer ces images, je m’assieds au bord de l’eau, je ferme les yeux et j’écoute les voix des jeunes élèves Musulmans qui psalmodient. Leurs sons se mêlent au vent sur le fleuve Sénégal…

#Off2Africa 19 Saint-Louis Sénégal © Gilles Denizot 2016

#Off2Africa 19 Saint-Louis Sénégal
Mercredi 14 décembre 2016


Durant #Off2Africa, j’avais pour habitude de ne partager qu’une photo par jour, sans légende.
Celle du jour figure en haut de ce récit ; en voici d’autres…