Face à la mer, un gamin regarde au loin #Off2Africa 57 Îles de Loos Guinée © Gilles Denizot 2017
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#Off2Africa 57 Îles de Loos Guinée

Vous prendrez bien un peu de fantastique dans ce monde cynique. Mais oui, laissez-vous tenter


Il était une fois trois grands enfants venus de quatre coins du monde : l’adorable Marla, le calme Kalil, et l’intrépide Gilles. Ils se rencontrèrent un beau matin à l’embarcadère proche de la digue dite « De la Prudente », dans la région de Kaloum. Leur aventure commença là, au bout de la presqu’île… #Off2Africa 57 Loos Guinée

Face à la mer, un gamin regarde au loin #Off2Africa 57 Îles de Loos Guinée © Gilles Denizot 2017

À quelques mètres, les pirogues se tendaient déjà de toute leur proue ; elles semblaient avoir hâte de s’élancer sur les eaux scintillantes.

L’intrépide ne craignait pas d’être seul ; en revanche, il renâclait à rejoindre un groupe d’étrangers à peau blanche. Les malheureux, soumis à l’ancestrale malédiction du sorcier Ultraviolo, camouflaient sous des onguents gras leur manque manifeste de mélanine. « Bah ! » lança-t-il avec aplomb, se souvenant de ses origines nord-africaines. Balayant de sa haute taille les environs, il avisa deux grands enfants qui se tenaient, comme lui, un peu à l’écart. « Ceux-là ne me paraissent pas appartenir à la même caravane », estima-t-il avant d’aller les saluer.

Les présentations mutuelles, selon la coutume des gens du voyage, révélèrent des intérêts communs et le partage de mêmes valeurs. (L’adorable détenait en outre un large gâteau, ma foi fort appétissant.) Le calme plut à l’intrépide et il fut convenu de faire équipe. La troupe s’ébranla ; les trois grands enfants aussi, en riant.

Affublés chacun d’un pourpoint bombé de couleur orange, ils sautèrent dans l’esquif et mirent cap sur les îles de Loos, à quelque quatre milles marins.

La légende rocambolesque de ces territoires reculés était parvenue aux oreilles de nos trois aventuriers. Tombo (sur laquelle Conakry est maintenant établie) formait autrefois avec ses sœurs Tamara, Kassa, et Room, une fratrie de quatre îles. Cédée par les Grands-Bretons en 1887, le franc Kaloum se la vit adjointe en guise de dot et ils vécurent heureux, bénis par une descendance abondante. La fertilité locale est légendaire : nous en voulons pour preuve la présence suspecte de quatre rejetons, îlots inhabités de l’archipel, affectueusement nommés Corail, Blanche, Cabris, et Poulet. (We kid you not.)

Tamara, Kassa, et Room connurent, quant à elles, leur lot d’infortunes que les Anciens (dont la mémoire défaille parfois, N.D.L.R.) narraient ainsi :

(Nous prions celles et ceux qui souhaitent se rendre au water closet ou s’approvisionner en bonbecs de le faire à présent, la fluidité du récit qui suit ne souffrant pas d’interruption pestive.)

La maison vous incite fortement à cliquer sur l’extrait sonore ci-dessous (you know you want to) :

En l’an gras 1460, l’explorateur portugais Pedro de Sintra naviguait au large des côtes de Serra Leoa. « Terra, Terra » alerta la vigie ; le navire fit cap sur Kassa, que les autochtones appelaient alors Sourigbé. Les ennuis commencèrent : dès le XVIe siècle, les populations locales furent jugées bonnes au travail forcé, aux oppressions, à la déportation.

En 1755, ce fut au tour de Miles Barber, marchand de son état, d’établir une usine sur les lieux et de rebaptiser Kassa en Factory Island. Trente-deux ans plus tard, ses compatriotes grands-bretons firent de même en s’installant non loin de là. Ils s’empressèrent tout d’abord de traduire Serra Leoa en Sierra Leone (bien plus commode) avant d’y parquer leurs esclaves magnanimement libérés, rares rescapés du voyage sans retour

Le 6 juillet 1818, Charles MacCarthy, alors Gouverneur diplomatico-plénipotentiaire de la Sierra Leone, acquit en concession les îles de Loos contre le paiement d’une somme annuelle au seigneur des lieux, Mangé Demba. Ce qui semblerait insignifiant signa toutefois la fin de la traite des esclaves sur les lieux (ce qui n’est tout de même pas rien), les Grands-Bretons ayant enfin jugé ce commerce indigne d’eux en 1807, sans pour autant renier l’esclavage qu’ils appliquèrent jusqu’en 1833. (Il n’y a pas de petits profits.) Ils proclamèrent le break-sit en 1838 et conférèrent l’émancipation tant attendue et complète aux malheureux esclaves. Pour leurs ancêtres, terribly sorry (not), c’est une autre histoire…

Dans les années 1880, le blogueur écossais Robert Louis Stevenson découvrit le récit du voyage #Off2Africa. Émerveillé par les descriptions et daguerréotypes des paysages de l’île Room (la benjamine des quatre filles Loos), il s’en inspira pour pondre son grand roman d’aventures, l’île au trésor (« Qui ne décevra pas », dixit Sandrine, correspondante du bureau d’à côté).

C’est bien connu, les puissants (de sales gamins !) ont la fâcheuse habitude de s’échanger leurs jouets. Assurément conseillé par Long John Silver, un vétéran unijambiste affublé d’une béquille, nos amis les Grands-Bretons et les Francs s’entendirent cordialement pour troquer les filles de Loos contre les pêche-droits à Terre-Neuve, et le labrador familial pour faire bonne mesure. C’est ainsi qu’en 1904, les trois sœurs retrouvèrent leur chère Tombo. (L’hymne Tomber la chemise, composé pour l’occasion, fait encore les beaux jours des soirées de l’Ambassadeur.)

Mais voilà que je m’égarasse… Le groupe d’étrangers à peau blanche en profita pour fausser compagnie aux trois grands enfants ! L’adorable, le calme et l’intrépide poursuivirent cahin-caha leur chemin en prenant le temps de traverser Tamara dans sa longueur. Ce faisant, ils se retrouvèrent nez à nez avec trois petits enfants aux costumes bariolés qui leur confièrent des secrets. La bande des six délibéra longtemps quant à l’opportunité d’importuner un septième gamin, assis au bord de l’eau. Il fut tiré à la courte paille que non.

Selfie aux trois aventuriers #Off2Africa 57 Îles de Loos Guinée © Gilles Denizot 2017

Il nous incombe toutefois, par respect historiographique, de signaler à nos rares lecteurs le fait suivant : bien que nous n’aimons pas dire du mal des gens, nous ne pouvons passer sous silence que Tamara s’appelait en réalité Fotoba. Non contente de renier son nom d’origine, toute férue de séries outre-atlantiques qu’elle fut, elle ne rechigna guère à accepter l’installation du bagne éponyme en 1905. Pour se donner bonne conscience, elle rebâtit (en dur, à la suite d’un incendie) la première église de rite grand-breton en Guinée. Tamara est une coquine. (C.Q.F.D.)

Allez, vous avez bien mérité…

un tour en ballon !

#Off2Africa 57 Îles de Loos Guinée
Samedi 21 janvier 2017


Durant #Off2Africa, j’avais pour habitude de ne partager qu’une photo par jour, sans légende.
Celle du jour figure en haut de ce récit ; en voici d’autres…