Les jambes d'un homme émergent de sous un bus vert #Off2Africa 67 Conakry Guinée © Gilles Denizot 2017
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#Off2Africa 67 Conakry Guinée

Trouver son but, au point du jour, et poursuivre sa route


L’homme réparait l’avarie qui avait immobilisé son bus en pleine route. Seul le bas de ses jambes était visible. Qui pouvait imaginer son visage, la sueur qui devait le baigner, sa détresse, sa résignation peut-être face à cette nouvelle difficulté. Les autres conducteurs klaxonnaient sans pitié, nul ne proposait d’aide, et l’homme s’était glissé sous la masse de métal qui ne rugissait plus. Accablé par le soleil brûlant de Conakry, et bien qu’étant protégé des rayons, il ne devait pas moins souffrir de la chaleur… #Off2Africa 67 Conakry Guinée

Les jambes d'un homme émergent de sous un bus vert #Off2Africa 67 Conakry Guinée © Gilles Denizot 2017

L’aube et le crépuscule sont les heures les plus agréables en Afrique. Le soleil ne brûle pas encore ou ne tourmente plus. Il vous laisse en paix.

Ryszard Kapuściński, Ébène, Aventures africaines

La douleur n’est pas comparable. Celle que vous vivez est forcément la plus pénible, parce qu’elle est vôtre. La mienne ne l’est pas moins. Nous demeurons seuls avec notre douleur, seuls à la ressentir vraiment, car c’est d’abord sur nous qu’elle s’acharne.

Ce n’est pas l’injustice en soi qui nous blesse, c’est d’en être l’objet.

Pierre Nicole, Essais de morale, Des moyens de conserver la paix avec les hommes

Tandis que l’homme se démenait sous le bus vert, je promenais l’objet de ma douleur dans la fraîcheur toute conditionnée d’une voiture confortable, conduite par un chauffeur. Décrite ainsi, l’injustice de la scène n’est-elle pas indécente, révoltante ?

L’injustice m’a toujours révulsé. Sous toutes ses formes. En particulier l’injustice quotidienne, devenue banale, que certains ignorent en détournant le regard, que d’autres, en revanche, combattent corps et âme. Chacun affronte la vie comme il le peut ; en se protégeant pour ne pas être blessé, en blessant les autres, en soignant ses blessures, ou les trois en alternance.

Mais, comment naviguer dans une matière écrasante, paralysante ? Comment guérir quand on se sent accablé ? Là encore, chacun est unique, chacun fait son possible.

Il y a un an, je ne supportais plus ni l’enfermement ni l’ombre. J’avais absolument besoin de m’extirper de mes quatre murs, et quand la promenade quotidienne (au gré d’un hasard qui n’existe pas…) n’a plus suffi à m’apaiser, l’évasion en solitaire sous le soleil d’Afrique s’est imposée. Il me fallait aller ailleurs que là où je m’étais échoué, loin, seul, sans plan de route ni calendrier. J’ai fait ce que je pouvais, comme je pouvais. La douleur n’est pas comparable, la guérison non plus.

Je suis donc parti, d’abord pour refuser l’immobilisation forcée. Non pour chercher, encore moins pour trouver.

Comme un navigateur qui fait le point, la route m’a amené à me repérer dans le grand désordre. Je m’étais donné pour consigne tacite de toujours avancer dès que le confort s’installait, avec des étapes de récupération à Essaouira et Dakar. À Conakry, enfin, je pourrais ouvrir mon sac et trier le trop-plein avant de continuer mon chemin en Afrique, et dans la vie.

Chercher sa place en s’échappant ailleurs. Mais qu’y faire ?

En éliminant avec violence (douloureusement ? Injustement ?) l’enseignement qui faisait toute ma vie, cette dernière m’a fait don d’une page blanche et du temps pour y coucher des mots. Je suis parti pour rester silencieux, je suis rentré avec des choses à dire. Je repartirai bientôt pour écrire.

La discipline d’écriture, devenue quotidienne comme l’était ma pratique de yoga, prend la forme d’une carte que le voyageur déplie sur une surface plane et libérée. Il peut alors connaître sa position, mesurer le chemin parcouru et envisager celui qui s’ouvre à lui, puis calculer les moyens de parvenir à destination.

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
[…]
Le soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

Trouver son but, au point du jour, lorsque le soleil « ne brûle pas encore ou ne tourmente plus » mais vous « laisse en paix ».

#Off2Africa 67 Conakry Guinée
Mardi 31 janvier 2017

Durant #Off2Africa, j’avais pour habitude de ne partager qu’une photo par jour, sans légende.
Celle du jour figure en haut de ce récit ; en voici d’autres…