Comment produire du neuf en réparant du vieux ? Et dans quel but ?
Je n’ai pas vu l’exposition « Objets blessés » organisée en 2007 par le musée du Quai Branly, mais j’aime l’idée de présenter au public la face souvent cachée d’un objet, parce qu’imparfaite… #Off2Africa 87 Bamako Mali

« Entre l’Occident et l’Afrique, il n’y a pas que la mer qui nous sépare. Alors que chez nous s’impose une société de consommation effrénée, où le moindre objet usé se trouve jeté puis remplacé, la pratique de la réparation, sur le continent africain, demeure largement répandue. Voire primordiale. » L’Afrique ou l’art de réparer
Et aussi :
« Au Mali comme dans le reste de l’Afrique, on répare et on rapetasse tout ce qui peut l’être. La raison est d’abord d’ordre économique. Sans moyens pour le remplacer, prolonger la vie d’un objet est une nécessité. À Bamako comme dans les petites bourgades, il y a toujours un quartier des réparateurs, minuscules échoppes regroupées par spécialité. On y rechape gamelles en alu et bassines en plastique ; on rafistole postes radio et lunettes ; on recoud calebasses et tongs ; on raboute meubles ou instruments de musique. » Marabouts, bouts de ficelle
Exactement le contraire de la plupart des publications, sur ce que j’appelais les réseaux asociaux, qui donnent l’illusion d’une vie parfaite, un thème que j’avais abordé dans la production #ItsComplicated (Inde, 2014).
J’ai supprimé tous mes comptes facebook, instagram et whatsapp. Pourquoi ? Vous l’apprendrez ici.
(Les comptes twitter également, je l’eXpliquais ici.)
Quoi de plus banal qu’une calebasse, surtout en Afrique ? Pourtant, elle est offerte lors d’une initiation ou d’un mariage pour symboliser le récipient dans lequel les femmes feront boire leurs futurs enfants. Au Mali, on l’utilise aussi comme ustensile de cuisine et pour transporter l’eau.
« Une calebasse neuve y coûte, selon la taille, de 600 à 2 000 francs CFA, tandis que sa réparation – les morceaux cassés sont recousus et la suture, étanchéifiée avec de la bourre végétale – peut coûter de 250 à 500 CFA. On trouve des calebasses hallucinantes, réparées en cinq, voire six endroits différents, et manifestement à plusieurs reprises. Pourquoi cela ? Parce que l’écorce d’une calebasse neuve transmet son amertume aux aliments – avec, dit-on, le risque de provoquer des fausses couches –, contrairement à une vieille calebasse, même rafistolée. »
« Pour des raisons économiques et symboliques, un simple ustensile, comme une calebasse, peut se transmettre d’une génération à l’autre en connaissant de multiples réparations – fendue, elle peut être ligaturée par les femmes, qui réalisent d’extraordinaires broderies faites d’entrelacs complexes. »
À Saint-Louis, j’avais parlé des superpositions d’affiches, collées les unes sur les autres, et dont les déchirures révèlent un nouvel et insoupçonné tableau. Elles sont visibles partout à Chennai, et probablement aussi où vous habitez. Regarder seulement autour de vous, avec un œil neuf. Elles avaient inspiré ma production Pasticcio Madras (Inde, 2012).
En 2014, à la Biennale de la photographie africaine à Arles, le photographe malien Aboubacar Traoré avait présenté sa série Inch’Allah. En réfléchissant à la prise de contrôle du nord du Mali par les extrémistes religieux, et pour rendre compte du lavage de cerveaux, il a fait porter à ses personnages des calebasses évidées peintes en noir, comme des casques sans visière. À travers le titre-manifeste Afrotopia, la 11ᵉ édition des Rencontres de Bamako, Biennale Africaine de la Photographie (du 2 décembre 2017 au 31 janvier 2018) choisit d’invoquer une contribution africaine dans un monde qui impose d’inventer les ressorts du futur.
C’est en considérant ce qui semble obsolète que nous pouvons donner une nouvelle raison d’être aux objets, à soi-même. Transfigurer ce qui nous arrive, pour paraphraser mon père, se transformer et continuer. La réparation peut prendre du temps, voire 98 jours de voyage à travers l’Afrique de l’Ouest…
La fin justifiant les moyens, ce que je suis devenu sur la route m’inspire, car la vie a un étonnant pouvoir de guérison, de cicatrisation.
« En Afrique, la réparation a aussi une dimension humaine, explique Gaetano Speranza, le commissaire de l’exposition au Quai Branly. On est plus attaché à un objet qu’on a réparé. Il change de statut, il devient plus intime, et fait alors partie intégrante d’un tout. » « La réparation d’un objet est une victoire sur soi-même et sur l’ensemble d’un groupe, ajoute Salia Malé, ethnologue et conservateur des collections du Musée national du Mali. On y trouve le plaisir de le réparer et la certitude de continuer à vivre avec, c’est-à-dire de maintenir la cohésion sociale et de ne pas perturber l’ordre. »
Au Japon, les céramiques brisées sont réparées selon la technique kintsugi avec une laque mêlée d’or. L’objet usuel renaît au lieu d’être jeté. Mieux encore, il s’embellit. De l’aspect pratique à l’application philosophique, il n’y a qu’un pas. Nous avons tous nos propres cassures, nos accidents de la vie, tout ce qui nous marque et que, souvent, nous préférons cacher. Les rides de notre visage, si aisément masquées par le filtre d’une application photo, prouvent pourtant que nous avons vécu.
« Le griot répare les âmes et le forgeron, les objets », dit une maxime africaine…
#Off2Africa 87 Bamako Mali
Lundi 20 février 2017
Durant #Off2Africa, j’avais pour habitude de ne partager qu’une photo par jour, sans légende.
Celle du jour figure en haut de ce récit ; en voici d’autres…




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