Sous un grand arbre, une femmes vend des colliers #Off2Africa 89 Bouaké Côte d'Ivoire
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#Off2Africa 89 Bouaké Côte d’Ivoire

Il n’est pas obligatoire d’être vacciné pour franchir la cinquantaine, même en Afrique


Passer d’un pays à un autre par la route offre toujours son lot de péripéties au voyageur nomade (je n’oublierai jamais l’épisode Birmanie, il y a longtemps…) Rétrospectivement, je peux affirmer qu’au palmarès des frontières délicates, celle entre le Sahara occidental et la Mauritanie, même via le no man’s land « Kandahar » et le poste PK 55, a été la plus simple de toutes. Pourtant, c’est celle qui semblait la plus risquée. J’ai certainement bénéficié de la présence de Brahim, mais même en comptant la cargaison suspecte d’un des passagers…, ce fut un jeu d’enfant. Les contrôles à moto entre les deux Guinées ou le chantage du gros militaire entre la Guinée et le Mali se classent dans le milieu de la liste. Au jeu « Comment bien harceler le toubab », les grands gagnants sont le point-frontière de Rosso (Mauritanie — Sénégal) en version diurne, ex æquo avec le passage Zégoua/Pogo (Mali — Côte d’Ivoire), de nuit et avec contrôle sanitaire de surcroît… #Off2Africa 89 Bouaké Côte d’Ivoire

Sous un grand arbre, une femmes vend des colliers #Off2Africa 89 Bouaké Côte d'Ivoire

Le contrôle des bagages

Notre bus s’immobilise au milieu de nulle part, c’est le branle-bas de combat en pleine nuit. Tout le monde descend. Je fais de même, mais avec mon sac que j’ai gardé sous mon siège plutôt que dans la soute. Les militaires et leurs chiens entourent le véhicule, les visages des passagers sont balayés par les faisceaux des lampes-torche. Il fait froid, je suis à moitié réveillé et je reste à proximité de mes compagnons de voyage rencontrés à Sikasso. Tous les bagages sont posés à même le sol pour l’inspection, non seulement les valises et les sacs, mais également – et peut-être surtout – les marchandises indéfinissables emballées de toiles. Il va falloir tout déballer, faire examiner les contenus puis tout remballer. Évidemment, la scène se déroule devant tous les passagers, seules les femmes âgées sont épargnées. Tous les autres bagages sont ouverts sur un claquement de doigts des militaires qui exposent ainsi, à la vue de tous, vos effets personnels. Il faut rester alerte pour s’assurer que rien n’est glissé à votre insu dans votre sac, ou dérobé. Périodiquement, les marchands ambulants passent autour de vous pour proposer du thé ou de quoi manger, des cartes de recharge pour téléphone, des bracelets. Ne pas se laisser distraire. Sous le soleil de Rosso, il était au moins plus facile de faire attention. La nuit ajoute un élément d’inquiétude. La frontière n’a été rouverte que depuis peu, après une mutinerie de soldats ivoiriens à Bouaké. Je ne me souviens pas exactement du temps passé dehors, devant les sacs ouverts. Le voyageur nomade développe assez rapidement un flegme qui lui permet de supporter ce genre d’expériences. Toujours est-il que nous finissons par repartir, avant de nous arrêter à nouveau quelques centaines de mètres plus loin…

Le contrôle sanitaire

Après l’inspection des bagages, voici le poste sanitaire. Sur le bas-côté de la route, une bicoque fait office de dispensaire médical. Quelques pas plus loin, une tente militaire. Entre les deux, une petite construction en dur d’où entrent et sortent des soldats et, parfois, des voyageurs. Il faut impérativement être immunisé contre la fièvre jaune pour entrer en Côte d’Ivoire. Je le suis. Confiant, je salue le préposé en blouse blanche et lui donne mon Certificat International de Vaccination flambant neuf, établi par le Centre de vaccinations internationales Air France de Paris. La jeune femme qui s’était occupée de moi connaissait bien l’Afrique pour y avoir été postée comme militaire. Nous avions largement débordé sur le temps de consultation en discutant de mon voyage à venir.

Èèèèh ! Tu n’as pas le vaccin contre la méningite !

Ça commence… Non, je n’ai pas le vaccin contre la méningite qui n’est pas obligatoire, mais seulement conseillé (en cas de contact étroit avec la population locale et/ou si le voyage en saison sèche de décembre à juin, ce qui est mon cas, je vous l’accorde).

Èèèèh ! Tu dois te faire vacciner contre la méningite !

Non, cette procédure n’est pas obligatoire, je ne veux pas me faire vacciner, et surtout pas en pleine nuit, dans votre baraque de fortune où les conditions de conservation des produits doivent certainement laisser à désirer. Merci, mais sans façon.

À côté de moi, la plupart des voyageurs (dont certains ne parlent pas français) sont traités sans égard aucun. Effrayés par le ton des préposés à blouse blanche, ils rechignent mollement avant de sortir les billets froissés et compter la somme importante dont ils doivent s’acquitter. Pensez, il y a même un tarif promotion « Fièvre jaune + méningite », on aurait tort de s’en priver… De toute manière, aucun ne protestera. Aucun, sauf un irréductible qui résiste encore et toujours…

L’imposant type protégé par un grillage a tout de même un mouvement de surprise quand je lui assène que ma mère est médecin, que mon certificat de vaccination est valable, que l’immunisation contre la méningite n’est pas obligatoire (preuve à l’appui, en français dans le texte). Devant la perspective de perdre la face (et quelques milliers de CFA) devant ses subordonnés, il s’empare de mon carnet, le pose hors d’atteinte, et m’informe que sans vaccin contre la méningite, il ne me laissera pas passer. Je suis maintenant un des derniers passagers du bus, les autres sont déjà à bord, le chauffeur s’impatiente…

Le contrôle militaire

J’aurais éventuellement accepté de payer un bakchich, mais en aucun cas, je ne me ferai vacciner au milieu de nulle part. Je refuse tout net et campe sur mes positions. Du jamais vu ! Tout le monde commence à s’énerver, le ton monte entre ceux en blouse blanche et ceux en treillis, l’irréductible et le chauffeur de bus. Finalement, le « toubib » décide de s’en laver les mains et de refiler le « toubab » et son dossier au chef de camp. Celui-ci trône sous la tente militaire, face à un grand bureau qui croule sous les dossiers.

Pourquoi tu ne veux pas te faire vacciner ? Tu dois te faire vacciner pour entrer chez nous, en Côte d’Ivoire !

Après une énième répétition de l’histoire, le militaire juge qu’il faut absolument me faire rédiger et signer une déclaration sur l’honneur en guise de décharge, puisque je prends le risque d’entrer dans son pays sans m’immuniser contre la méningite.

La victoire du toubab

Sikasso est célèbre pour son tata, une imposante muraille en terre construite au XVIIIe siècle pour défendre la ville malienne contre les agresseurs. Je fais de même en résistant contre les abus de pouvoir et je repars avec mon passeport et mon certificat dûment tamponnés. Je n’ai rien payé. Le chauffeur fait mine d’être un peu contrarié, mais les autres passagers exultent. D’ici à notre arrivée à Abidjan, je ne compterai plus les contrôles inopinés et le racket dont chacun est victime. Toutes les occasions sont bonnes pour soutirer de l’argent aux voyageurs. Face à la corruption rampante des gouvernements successifs, les simples gens sont excédés et je les comprends !

Dans le bus, l’écran de télévision crache une déferlante d’images violentes typiques des films d’action Nollywood. Je m’endors pour quelques heures et me réveille en pleine savane boisée. La région produit du cacao (la Côte d’Ivoire en est le premier producteur mondial), du café, des ignames, des bananes plantains, du manioc, du sorgho, du mil, des ananas grâce à son climat tropical humide. Sous un ciel bleu clair, le bus bringuebale en évitant, mais pas toujours, les crevasses de la route. Après la nuit noire et froide que nous venons de vivre au poste-frontière, tous les passagers accueillent avec plaisir l’entrée dans Bouaké.

Située en plein centre du pays à environ 350 kilomètres d’Abidjan, la seconde ville la plus peuplée de Côte d’Ivoire est un carrefour commercial important. Elle a également fait office de marché aux esclaves avant le XIXe siècle, sous les Portugais. En 2002, Bouaké, la plus peuplée des villes tombées sous le contrôle de la rébellion, devient la « capitale des rebelles » (le territoire occupé par les rebelles représente 60 % du territoire national ivoirien). Les échauffourées sont relatées par tous les quotidiens, Le Monde notamment : « L’année 2017 fait bégayer l’histoire ivoirienne. Comme en janvier, des mutineries ont éclaté, vendredi 12 mai, dans plusieurs villes de la première puissance économique francophone d’Afrique de l’Ouest. Lundi, les autorités n’étaient toujours pas parvenues à rétablir l’ordre. Des tirs sporadiques et en rafale ont été entendus au petit matin à plusieurs endroits de Bouaké, aux rues quasi-désertes, ainsi qu’aux abords des trois camps militaires de la capitale économique, Abidjan. »

Pendant que les mutins jouent aux soldats dans les rues, la population continue de vivre et d’espérer davantage que les prolixes discours de l’élite politique. Dans la cour de la petite gare routière, je retrouve les images habituelles : la mosquée, l’épicier, les toilettes, le marchand de thé, le panneau des destinations desservies au Niger, en Mauritanie, au Mali, au Sénégal.

Une femme s’est installée à l’ombre d’un grand arbre et vend des colliers. L’espace d’un instant, j’ai le souvenir des rudrakshas, ces chapelets traditionnels hindous que je trouvais à l’entrée du Vadapalani Murugan Temple à Chennai (j’ai toujours celui que m’avait offert mon ami Pradeep). Je passais devant le temple à moto chaque soir, après le travail. Je m’y arrêtais souvent, ne serait-ce que pour un jus de fruits frais. J’y avais aussi accompli le rituel Archanai pour mon anniversaire, le 22 février 2014. Exactement trois ans plus tard, je franchis la frontière de la cinquantaine en Afrique et la vie continue…

#Off2Africa 89 Bouaké Côte d’Ivoire
Mercredi 22 février 2017


Durant #Off2Africa, j’avais pour habitude de ne partager qu’une photo par jour, sans légende.
Celle du jour figure en haut de ce récit ; en voici d’autres…