#Off2Africa 97 Abidjan Côte d'Ivoire
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#Off2Africa 97 Abidjan Côte d’Ivoire

Brusquement, tout devient flou, comme ma photo du jour. Je ferme mon sac et la porte du petit appartement d’Abidjan…


Pourquoi ai-je décidé de ne pas poursuivre mon périple #Off2Africa ? J’avais pourtant prévu d’aller jusqu’au Cameroun, en traversant le Ghana, le Burkina Faso, le Bénin. Je ne savais pas encore trop comment j’allais arriver à Yaoundé, car il m’aurait fallu passer par le Nigeria. J’avais envisagé de trouver un bateau pour São Tomé, puis un autre pour Douala… #Off2Africa 97 Abidjan Côte d’Ivoire

Cela fait des années que je caresse le projet de me rendre au Ghana, des années que je suis de loin la créativité artistique à Accra, un foisonnement d’idées qui trouve sa source dans l’histoire récente du pays, le premier de l’Afrique subsaharienne à parvenir à son indépendance en 1957 (dix ans après l’Inde). Ryszard Kapuściński en parle dans Ébène, Aventures africaines. Depuis Abidjan, la distance est si courte…

Mais voilà, je suis parti en Afrique sans but, sans calendrier. Je suis parti parce que je ne pouvais pas rester bloqué à Paris, tributaire d’une décision incompréhensible qui me refusait le retour en Inde. Le temps a passé, plus d’un an déjà, et je ne suis toujours pas rentré. Je suis reparti en Afrique.

Hier soir, j’entamais la lecture d’un nouvel ouvrage de Ryszard Kapuściński : Mes voyages avec Hérodote (2004). J’essaie de ne lire qu’une portion par jour, pour faire durer le plaisir, mais en tournant la page sur le deuxième chapitre, je prends de plein fouet son titre : Condamné à l’Inde.

J’ai transgressé la règle et dévoré le récit, sans émotion négative, mais en connaissant secrètement le sentiment de l’auteur face au mystère que représente le sous-continent.

Je suis souvent interrogé sur l’Inde, pourquoi j’y suis parti et resté, ce que je pense du pays, comment j’ai pu y vivre. Je ne sais jamais que répondre, car ce que je ressens est au-delà du rationnel. C’est chez moi, c’est tout. J’ai beau en être banni, l’Inde restera toujours en moi et cela, les diplomatiques officiels n’y peuvent rien. Ce matin, sur la terrasse ensoleillée, je pratiquais encore mon yoga, celui que m’a enseigné Beena, mon professeur. Cela fait des mois que je ne m’adonne plus à cette discipline quotidienne, en réaction viscérale à l’affaire du visa.

J’ai oublié ce que je savais par cœur, mon corps a perdu la souplesse acquise. Alors je me laisse guider : avant tout, je remets les pieds sur le tapis. C’est primordial. Ne pas se soucier du résultat, mais oser se tenir pieds nus sur la surface et accepter de devoir reprendre du début. Respirer surtout. Laisser remonter les souvenirs, les enchaînements des asanas que je connaissais si bien et dont le nom en sanskrit faisait partie de mon vocabulaire. Comment Beena commençait-elle la leçon ? Ah oui ! S’assoir en lotus pour les trois AUM rituels, frotter les paumes des mains, saluer, s’incliner. Petit à petit, les gestes me reviennent et surtout, cette vigueur insensée, cette force ancestrale qui me vivifient. Le yoga est à moi, pour moi, et j’accepte après un an d’emprunter à nouveau ce chemin. Couché sur le tapis en savasana à la fin de ma pratique, je m’émerveille du ciel bleu qui me recouvre. Je me souviens de toutes les bonnes (et moins bonnes) aventures vécues en Inde. Je ris intérieurement de la liberté que j’ai acquise, en dépit de (ou serait-ce, grâce à… ?) l’apathie des diplomatiques officiels et de la plupart de ceux qui me connaissaient là-bas… Vous ne m’avez pas rendu ma vie d’avant, mais vous m’avez forcé à m’en créer une nouvelle. Et vous m’avez perdu. Ce ne sont plus vos publicités pour des Visas Inde en 7 jours que je vois collées dans les rues d’Abidjan qui me feront mal. Ce n’est plus cette interdiction de pisser, peinte sur le grand mur, comme celle que j’avais vue à Bangalore un matin. Ce n’est plus la boîte de mouchoirs aux couleurs de la Côte d’Ivoire que je confonds brièvement avec celles de l’Inde. Ce n’est même pas le drapeau ivoirien qui flotte au vent et qui me rappelle ma dernière photo, prise le 2 juin 2016 à l’aéroport de Chennai.

Depuis quelques jours, je sens poindre une force nouvelle, un besoin de combattre la bêtise de cette décision administrative. Lorsque je suis parti de Paris trois mois plus tôt, je devais prendre contact avec une avocate. Je ne l’avais pas fait, j’en avais été incapable. Peut-être parce que je ne pouvais affronter la possibilité de ne rien pouvoir faire contre l’administration indienne. Peut-être parce qu’il me fallait garder encore intact l’espoir infime que je retournerai un jour là-bas. Depuis peu, je sens qu’il faut que je rentre me préoccuper de ce dossier, quelle qu’en soit l’issue.

#Off2Africa 97 Abidjan Côte d’Ivoire

À Saint-Louis, j’écrivais :

« Et si la vie nous donnait tous les signes dont nous avons besoin ? S’il « suffisait » de les voir… Qui savait combien cette journée recelait de jalons pour mon chemin à venir ? Avec le recul, il est aisé de dire « Mais c’était évident ! » Il me fallait d’abord marcher tous ces kilomètres, vivre tous ces jours de solitude et décanter tous mes souvenirs. »

Les signes sont tout autour de moi, l’évidence est manifeste, elle s’inscrit bien haut comme cette enseigne de restaurant de la Zone 4, au nom de ma sœur. J’ai tôt fait de l’appeler et de lui dire que je veux rentrer. En quelques minutes, mon vol Abidjan-Tunis-Paris est réservé. Brusquement, tout le reste devient flou, comme ma photo du jour. Seules subsistent la force que m’a donnée l’Afrique, la sagesse acquise sur les routes, la détermination accumulée au fil des kilomètres. Je fourre tout cela dans mon sac que je referme, comme la porte de mon petit appartement d’Abidjan.

Je suis parti déraciné, je rentre par le pays de mes racines…

#Off2Africa 97 Abidjan Côte d’Ivoire
Jeudi 2 mars 2017

Durant #Off2Africa, j’avais pour habitude de ne partager qu’une photo par jour, sans légende.
Celle du jour figure en haut de ce récit ; en voici d’autres…