Des rails et des fils électriques dans le soleil couchant aux abords de Barcelone #Back2Africa 1 © Gilles Denizot 2017
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#Back2Africa 1

De Paris à Tanger, via Barcelone et Sitges, #Back2Africa commence


Des rails et des fils électriques dans le soleil couchant aux abords de Barcelone #Back2Africa 1 © Gilles Denizot 2017

#Back2Africa 1
Paris – Barcelone – Sitges
Lundi 20 novembre 2017

Une immense angoisse, comme je n’en avais plus subi depuis l’an dernier, m’avait saisi la gorge et le cœur dimanche au réveil. J’en attribue la raison à un accès de resfeber, à la veille de mon départ en voyage. J’ai bien réfléchi à ma situation cette année et l’ai comparée à celle de 2016, lorsqu’il m’était devenu vital de quitter l’Europe pour me perdre en Afrique, pour ensuite m’y retrouver. Un an plus tard, je suis un autre et même si l’Inde me manque encore, je préfère – de loin – celui que je suis devenu sur les routes d’Afrique. Je repartirai, mais je pourrais aussi bien rester si toutefois j’avais un chez-moi pour m’isoler et travailler. Entretemps, j’ai rassemblé mes quelques affaires dans un grand carton. À mon retour, j’aurai décidé où j’ai envie de vivre… #Back2Africa 1

Par chance, je bénéficierai bientôt d’une maison à proximité de Casablanca. Ainsi, je décide de repartir et de mettre à profit ce temps pour reprendre mon yoga quotidien avant d’écrire chaque matin. Une sieste l’après-midi, un tour dans la ville avant que le coucher du soleil, de la lecture et une bonne nuit. J’ignore encore ce que j’écrirai, mais la discipline et la pratique que j’ai acquises en rédigeant les 98 histoires #Off2Africa vont certainement m’aider dans cette nouvelle aventure.

#Back2Africa commence par un voyage en train. Je quitte Paris le lundi 20 novembre 2017, au matin. Je dis au revoir à Sandrine. En l’étreignant une seconde fois, je lui dis « je t’aime fort » et puis je fais le premier pas dehors, vers un avenir à écrire. Sur cette page blanche, les premières étapes : Paris – Barcelone – Sitges – Tanger – Casablanca. Je m’apprête à réaliser un vieux rêve : prendre le ferry entre Barcelone et Tanger. Je ne connais pas encore cette ville, si ce n’est par les récits d’autres voyageurs. Il y a peu, j’ai vu Prendre le large au cinéma. Le personnage joué par Sandrine Bonnaire y émigre après avoir perdu son travail. On la voit de dos à plusieurs reprises, la ville de Tanger devant elle alors qu’elle arrive par bateau. Ce sera mon cas, Inch’ Allah, ce samedi après 37 heures de navigation, et si nous respectons les horaires, Tanger devrait surgir à l’horizon dans la lumière de la fin d’après-midi…

Il pleuvine à Paris, le temps est brumeux sur la première partie du parcours. Puis, alors que nous approchons de Valence, mon vieil ami le soleil fait une grandiose apparition. Il inonde la région et les quais de gare où le train s’arrête quelques minutes avant de repartir. Nous filons à travers des paysages splendides que je ne connais pas et qu’il faudrait que j’explore : le Languedoc, Sète et Sigean où je vois un groupe de maisons sur une petite île au milieu de l’eau. Le rêve d’être ainsi isolé…

Je revois Perpignan et me souviens d’y avoir chanté un Requiem de Mozart il y a longtemps. Puis, c’est la Catalogne et Figueiras ; les moustaches de Dali apparaissent… Le train s’immobilise en gare de Barcelona Sants. La lumière est dorée sur ciel bleu, les gens sont beaux. Changement rapide de voie pour attraper le train régional et trente minutes plus tard, j’arrive à Sitges. N’y étant jamais venu, je suis ravi de découvrir les lieux hors saison. Le soleil, courtois, a attendu mon arrivée avant de se coucher. Une longue marche vers la mer, à travers les ruelles de la vieille ville en admirant les maisons des Indianos, ces Espagnols partis faire fortune aux Indes comme Monsieur Bacardi (du rhum éponyme). La grande église et son esplanade large feraient un décor naturel idéal pour la procession de Pâques dans Cavalleria rusticana. La mer est belle, la lune brille dans le ciel rougeoyant. Je me lance dans une orgie de tapas dans un petit restaurant de la vieille ville, face à une large bâtisse rose.

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#Back2Africa 2
Sitges
Mardi 21 novembre 2017

Une rue de Sitges, entre ombre et lumière jaune, un homme en bas de rue #Back2Africa 2 © Gilles Denizot 2017

Une nuit paisible, une petite marche jusqu’à la mer. J’installe mon bureau temporaire sur la terrasse de l’Akelarre, Carrer del Port d’Alegre. Inondé de soleil chaud, en bras de chemise, je bois mon premier café en écrivant. Les mots coulent telle une rivière, sans peine, dans un doux clapotis. Un homme âgé, couvert d’un chapeau, lit un livre à une table sur ma gauche. Il pourrait être écrivain, sculpteur ou peintre. Nous nous saluons poliment, puis un petit groupe s’installe. Tout le monde dans le village connait l’un des leurs, un vieux monsieur dont le frère vient de mourir. Il trempe silencieusement son croissant au chocolat dans son café, tandis que j’imagine sa douleur intérieure. Je lis, j’écris, je bois des cafés (je n’ai plus besoin de les commander, la serveuse regarde la tasse vide, me sourit et m’en ramène une pleine…) jusqu’au milieu de la journée. Sur le chemin du retour, je remarque une maison magnifique à deux pas de la mer, dans une ruelle calme. Un grand panneau bleu indique For Sale. Deux rues plus haut, dans la vieille ville, je lève les yeux et découvre une terrasse fleurie au dernier étage d’un immeuble. J’imagine que l’appartement doit être ombragé, qu’il doit faire bon y vivre, y écrire, et je me mets à rêver…

J’ai cependant un sentiment d’inutilité. À quoi sert cette vie, maintenant que je n’enseigne plus ? Je n’ai pas encore de réponse. Peut-on vivre comme je le fais à présent, juste pour soi ? Quand j’enseignais, particulièrement en Inde, je ne me suis jamais posé cette question. Mon travail continuel me semblait non seulement évident, mais surtout, je savais que je remplissais une mission. Depuis juin 2016, je dois parfois lutter avec une sensation de gêne, de vacuité. Si j’apprécie mon nouveau rythme, il m’est encore difficile de le rationaliser.

En relisant mon récit #Off2Africa 9 à Tarfaya, je prends conscience des mots que j’écrivais alors :

Oui, je me sens bien au chaud et je ne suis pas le seul : un chat s’est posé dans la chaise à côté de moi et ronronne calmement. Je reste des heures, jusqu’à la nuit tombée, à siroter mon (café) « nous nous » et à regarder passer les gens. Je crois que je ne vais plus rien faire du tout dans cette vie. Juste m’assoir comme un vieux qui regarde les gens passer.

#Back2Africa 2

L'œuvre Cadira i nuvols de Tàpies, qui couronne le bâtiment de sa fondation #Back2Africa 3 © Gilles Denizot 2017

#Back2Africa 3
Sitges – Barcelone
Mercredi 22 novembre 2017

Céline ne répond pas à mon appel depuis l’Akelarre, c’est son anniversaire. Le soleil inonde la place, je prends une photo de la plage devant moi et la lui envoie avec mes vœux. J’écris un peu avant de fermer mon sac puis je saute dans un train régional pour Barcelone. Des jeunes filles s’apostrophent en riant, je les écoute parler, je les regarde tapoter sur leur mobile. Le train longe la mer en nous offrant des vues qui méritent davantage d’attention qu’un écran. Elles connaissent ces lieux, y passent au quotidien et n’y trouvent probablement plus d’intérêt. Quand j’émerge de la gare souterraine, je me retrouve sur un grand boulevard que bordent d’imposants immeubles. La foule va et vient, il règne une belle atmosphère.

#Back2Africa 3

#Back2Africa 4
Barcelone
Jeudi 23 novembre 2017

Des bâtiments qui réfléchissent la lumière bleue sur ciel bleu, et trois anciennes cheminées #Back2Africa 4 © Gilles Denizot 2017#Back2Africa 4 © Gilles Denizot 2017

Je décide de marcher jusqu’au port et d’identifier les lieux pour mon départ du lendemain. La compagnie de navigation demande aux passagers sans voiture d’embarquer quatre heures à l’avance, à six heures du matin dans mon cas ! Autant aller se renseigner sur place et de fait, une employée me confirme qu’il me suffira de me présenter à 8 h 30. Je vois les quais, les grands paquebots, les destinations possibles au départ de Barcelone et je m’imagine déjà sur le pont. Les rues que j’emprunte à l’aller et au retour sont populaires, le linge pend aux fenêtres, les gens discutent devant leur porte. Barcelone est en crise depuis longtemps, particulièrement depuis la tentative d’indépendance des dernières semaines. Les habitants continuent de vaquer à leurs occupations, de parler cette langue si belle, si riche. Ils ont une façon enjouée de se saluer, cela me ravit toujours. J’aime m’assoir dans un de ces cafés typiques, au coin des rues, pour déguster du vin et quelques tapas jusqu’à la nuit tombée.

#Back2Africa 4

Une mouette sur une rambarde, une télécabine rouge au loin et une tour jaune sur ciel bleu #Back2Africa 5 © Gilles Denizot 2017

#Back2Africa 5
Barcelone – En mer
Vendredi 24 novembre 2017

Je n’ai pas dormi. J’ai profité de la nuit de Barcelone et de ses lumières en faisant des tours à moto… Il faisait froid, mais il faisait bon et cela m’a rappelé l’Inde et ma moto Royal Enfield. À l’aube, j’ai rapidement fermé mon sac et me suis rendu au port. Après m’être enregistré, j’ai bu un café en observant les quelques passagers qui attendaient comme moi de monter à bord, des Marocains pour la plupart. Les riches étrangers prennent l’avion, les moins riches (et les aventuriers) prennent le ferry. Je fais la connaissance de Cliff, un touriste américain qui voyage depuis trois ans autour du monde. Son histoire et son parcours mériteraient d’être écrits. Il retourne à Tanger pour quelques jours avant de s’envoler pour Le Caire. La raison de ce détour par le Maroc est qu’il a dépassé la limite de validité de son visa Schengen. Un trajet maritime de l’Espagne vers le Maroc pose moins de problèmes qu’en avion. Je frémis intérieurement en l’entendant…

J’ai dormi tout l’après-midi, jusqu’au soir. Ne voir que la mer et l’horizon me convient bien. À bord, une majorité de Marocains, la plupart des hommes (les femmes, quand il y en a, s’occupent des enfants et restent le plus souvent à l’écart). Je remarque aisément les kakous habillés à l’occidentale, un brin frimeurs. Les hommes fument sur le pont, jouent et discutent comme ils le feraient au pays. Avant même d’être arrivé en Afrique, je rencontre Lymane, un Gambien qui habite Girona. Il se rend dans son pays natal. Je pense immédiatement aux hommes, femmes et enfants, jeunes et vieux, qui tentent le voyage vers l’Europe. Comment est-il arrivé en Espagne ? Précisément sur l’une de ces embarcations fragiles, quelques années auparavant, après une traversée d’une semaine, via les Canaries. Je partage avec lui ma nuit de ferry entre Dakar et Ziguinchor, au large des côtes de Gambie. Un récit bien dérisoire au regard de son aventure personnelle et des membres de sa famille, dont son jeune frère qu’il a perdu en mer. Nous nous saluons et je lui souhaite d’avance un bon voyage. En effet, je connais la route qu’il doit emprunter à travers le Maroc, le Sahara occidental, la Mauritanie, le Sénégal, avant d’entrer en Gambie.

L’espace d’un instant, je me sens très proche de lui, comme si nous partagions le secret de la route africaine et le désir de la parcourir.

#Back2Africa 5

#Back2Africa 6
Tanger
Samedi 25 novembre 2017

Depuis le ferry, vue sur les côtes africaines #Back2Africa 6 © Gilles Denizot 2017

J’ai écouté Charbel Rouhana dans The Art of the Middle Eastern Oud à la nuit tombée, dans le vent de la mer. Et, du jazz aussi, parce que le jazz dans la nuit, c’est bien… Au matin, j’attends de pied ferme (et marin) l’approche vers Gibraltar, les côtes africaines et Tanger. Une effervescence se fait sentir dans les coursives, sur le pont. Une annonce nous informe que, la mer ayant été particulièrement calme, notre arrivée est avancée de plusieurs heures. J’ai juste le temps d’écrire un peu, de refermer mon sac et de m’installer à l’air libre pour profiter du panorama. Une dernière sonnerie de corne et nous débarquons. Je suis particulièrement heureux de reposer le pied sur la terre d’Afrique, un jour plus tôt que l’année précédente. Le temps gagné sur la journée me permettra de découvrir Tanger.

À peine arrivé au Petit Socco, je m’attable au Café Tanger pour prendre le pouls de la ville. C’est là qu’une heure plus tard, une rencontre donnera tout son sens à #Back2Africa et la réponse à ma quête d’un nouveau lieu de vie…

#Back2Africa Paris Barcelone Tanger
20-25 novembre 2017

For those of you who do not read French, the following video will present you with a visual summary of this post. 
Pour ceux qui souhaitent aussi parcourir ma route en images, voici une courte vidéo (ainsi que des photos plus bas) :

#Back2Africa 1 Paris Barcelone Tanger © Gilles Denizot 2017

Durant #Back2Africa, j’avais pour habitude de ne partager qu’une photo par jour, sans légende.
Celle du jour figure en haut de ce récit ; en voici une autre…

Un tapis de yoga et deux livres de Kapuściński #Back2Africa 1 © Gilles Denizot 2017
#Back2Africa 1 © Gilles Denizot 2017