#InAfrica pluie de sueur
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#InAfrica — Pluie de sueur عرق الشتا

Le programme de la Cinémathèque de Tanger annonçait une séance à 17 heures, le mercredi 17 janvier…


Quand je suis arrivé au Cinéma Rif, l’illustre bâtiment situé sur la place du Grand Socco, personne n’avait encore acheté de billet et la projection ne pouvait être maintenue qu’à partir de deux spectateurs. #InAfrica pluie de sueur

Cela m’a fait penser aux taxis-brousse des routes d’Afrique, dont les plus riches passagers peuvent s’offrir les deux places à côté du conducteur (oui, un seul siège qui compte double quand il est occupé par un seul voyageur). Partie remise, donc…

Hier soir, la séance de 19 heures a bien eu lieu ; j’ai enfin pu découvrir la grande salle du Rif. Quelques personnes assises, plusieurs qui entrent (et sortent) en cours de projection, et de multiples interruptions intempestives de smartphones allumés, éteints, qui sonnent… (C’est encore pire en Inde où les gens parlent carrément pendant le film ! Je me souviens d’un concert de musique carnatique à la Music Academy de Chennai durant lequel il me fut impossible d’entendre les musiciens à cause des conversations téléphoniques du public.) Passe encore pour le son de la prière qu’on entend venir de la mosquée Sidi Bou Abib ou la rumeur du café situé dans le cinéma, mais franchement !, avons-nous vraiment besoin de consulter nos messages pendant un film ou un concert ? Ne pouvons-nous pas nous libérer de ce joug, le temps de vivre une expérience artistique ? L’option « vibreur » atténue certes le désagrément sonore, mais n’empêche pas les éclats subi(t)s de lumière dans une salle obscure.

Voilà. C’est dit. Au-delà de ces quelques bémols, parlons du film !

« Pluie de sueur » (عرق الشتا), du cinéaste marocain Hakim Belabbes, est une splendeur ! Peut-être un chouïa long (pour employer un arabisme en français) mais les 126 minutes regorgent d’images somptueuses (photo Amine Messadi), de scènes émouvantes ou drôles (ne pas manquer la traque du poulet dans le bureau du banquier…), de jeu d’acteurs et d’actrices (la prestation de Fatima-Ezzahra Bennaceur, dans le rôle d’Aida, lui a d’ailleurs valu le Prix du meilleur rôle féminin au 18e Festival national du film de Tanger 2017 ainsi qu’au 6e Grand Maghreb Film Festival d’Oujda), d’une musique (Amir Sayed Al Hassan et Mohammed Ali Essoudani) jamais envahissante, qui élève l’émotion, mais sait aussi laisser de larges plages de silence. Toutes ces pépites sont insérées dans une mise en scène juste, pudique et franche qui touche au cœur des thématiques du film sans manichéisme. Le Grand Prix du Festival national du film de Tanger 2017 est mérité et couronne incontestablement cette belle réalisation.

Il était une fois…

M’barek (Amine Ennaji) est un paysan qui cultive son lopin de terre dans un village marocain. Il y vit avec sa femme Aida (Fatima-Ezzahra Bennaceur), son vieux père malade (Hamid Najah) et son fils Ayoub (Ayoub Khalfaoui, prix du meilleur second rôle masculin à Tanger), un adolescent atteint du syndrome de Down. Ce bout de terre est leur unique source de revenu, mais la sécheresse bat son plein...

Pluie de sueur, longue bande-annonce

Je ne suis pas critique de cinéma ; je vous invite donc à lire ici le très bel article qu’a rédigé Fadwa Misk pour La Vie éco, auquel je souscris pleinement.

Hakim Belabbes partage avec nous, dans sa note d’intention, sa rencontre avec un vieux paysan de ce que l’on a toujours nommé « Le Maroc inutile ». Cet homme n’avait pu rembourser un emprunt auprès du Crédit Agricole (c’est un comble, pour une banque avec un tel nom…) et avait été dépossédé de tout, puis jeté dehors avec sa famille. Une tragédie bien actuelle, au Maroc, en France, en Inde et ailleurs, qui est à la source du projet « Pluie de sueur ».

Les films de Satyajit Ray, en particulier « The Apu Trilogy », (l’Inde se rappelle toujours à mon bon souvenir…) ont inspiré Hakim Belabbes pour leur capacité à « dire, en toute simplicité et profondeur, le sort des faibles et des humiliés de ce monde ; ceux qui tentent de faire face aux destins sur lesquels ils ont si peu de contrôle ». Une « simple histoire de lutte face à ce que la vie nous réserve, une histoire de gens ordinaires à la recherche d’une vie digne, basée sur le travail acharné et l’intégrité. »

Je vous le dis : courez dans votre salle préférée pour voir « Pluie de sueur » ! (Et n’oubliez pas d’éteindre votre téléphone portable…)

En savoir plus :
« Pluie de sueur » (عرق الشتا) 2017
Site officiel
Critique
Grand prix du Festival national du film de Tanger 2017
IMDb
Programme Cinémathèque de Tanger