#Back2Africa 6 Mohammedia Casablanca
#back2africa, maroc, voyages

#Back2Africa 6

Le voyage continue, comme le long d’un ruisseau en hiver, jusqu’au retour du printemps


#Back2Africa 6 Mohammedia Casablanca

#Back2Africa 38
Mohammedia
Mercredi 27 décembre 2017

À l’Espace Al Baraka, les poissons morts étaient joliment disposés, afin d’attirer le regard et le porte-monnaie des chalands. (Il n’est toutefois pas certain qu’ils approuvaient la signification de l’enseigne…) Les ménagères s’extasiaient devant l’abondance de l’étal et, tandis que la poiscaille se lamentait sur son manque flagrant de chance, le vieux loup de mer façon Capitaine Haddock se tenait prêt à écailler, écorcher, désarêter, dépouiller et lever des filets à la demande.

À point nommé, voilà qu’une bonne femme gourmande, flanquée d’une fillette au chandail rose, manifesta un intérêt grandissant pour la pêche du jour. Après s’être enquise du prix du bar (qu’elle jugea trop élevé), elle jeta son dévolu sur un couple de merlus, quelques sardines, et une grosse poignée de calmars. Agrémentés d’épices et de citrons confits, le tout cuit en tajine, la matrone ne doutait pas une seconde du succès à venir.

Elle poursuivit son chemin à travers les allées du souk, ravie d’avoir pu abaisser le prix initial par un marchandage acharné auquel le Capitaine Haddock n’avait eu à cœur de résister.

#Back2Africa 39
Mohammedia
Jeudi 28 décembre 2017

 #Back2Africa 2017-2018 © GILLESDENIZOT

Une infinie chape de nuages gris anthracite et, en dessous, un ciel jaune et limpide. Je pense aux grandes toiles de Rothko, celles de sa dernière période, que j’avais pu admirer à la Hamburger Kunsthalle en 2008. Une émotion particulière et forte se dégageait indépendamment des couleurs utilisées. Rothko lui-même voulait que le spectateur se sente « enveloppé à l’intérieur » du tableau et recommandait d’ailleurs de se placer à quelque 45 centimètres de distance de la toile pour en ressentir toute la puissance. Il souhaitait, par son travail, exprimer les émotions humaines fondamentales telles que la tragédie, l’extase, le destin funeste. Le crépuscule du jeudi 28 décembre 2017 donnait au ciel l’apparence d’un gigantesque canevas peint par Rothko, semblable aux œuvres Nº 10 (1950), Nº 24 Untitled (1951), et Nº 9 Dark over Light Earth (1954). Quand l’art devient réalité…

 #Back2Africa 2017-2018 © GILLESDENIZOT

#Back2Africa 40
Mohammedia
Vendredi 29 décembre 2017

Un jour plus tard, c’est dans un ciel bleu et calme que la lune apparut. Elle brillait de toutes ses forces tandis que le vent glissait entre les palmiers. J’étais allé à pied jusqu’à mon café habituel, face à la gare, et avait profité de la balade pour traverser à nouveau la médina. Sur le chemin du retour, j’avais levé les yeux et, à la manière des Romantiques, m’étais adressé à la lune. N’était-elle pas la même qu’en Inde, celle que je regardais assis sur ma terrasse des nuits durant ? Ne se souvenait-elle pas de moi, ne pouvait-elle pas intercéder et permettre mon retour ?

Au jour 40 de mon périple en solitaire #Off2Africa, j’avais cité Sénèque : « Les choses qui te manquent, ne les regrette jamais. » Le 4 avril 2015, après la création de mon spectacle iktsuarpok à Chennai, j’avais justement pris une photo de la lune à travers les palmiers. Dans la nuit silencieuse, alors que le monde était assoupi, j’avais confié ce que j’avais sur le cœur…

#Back2Africa 41
Casablanca
Samedi 30 décembre 2017

 #Back2Africa 2017-2018 © GILLESDENIZOT

Comme durant #Off2Africa, le meilleur moyen de ne pas tourner en rond est toujours de sortir des quatre murs et de se confronter au monde. L’occasion est vite trouvée, car j’ai justement une course à faire à Casablanca. Je saute dans un train à double niveau pour me retrouver, trente minutes plus tard, dans la capitale économique du pays. Cette petite escapade me ravit et plutôt que de prendre un taxi, je décide de marcher. Le temps est relativement doux, il y a du monde sur les larges avenues bordées de palmiers, dans les marchés en plein air. Le concert de klaxons surgit de tous côtés ; la circulation ne se fluidifie pas pour autant. Casablanca est une immense ville encombrée, une ville qui court, et pourtant il subsiste de ci, de là quelques îlots de tranquillité qu’on peut aisément découvrir à pied. Je m’attarde même dans la médina qui grouille dans les fumées des grillades et le parfum du thé à la menthe…

 #Back2Africa 2017-2018 © GILLESDENIZOT

#Back2Africa 42
Mohammedia
Dimanche 31 décembre 2017

Pour la première fois depuis longtemps, je réalise que l’année qui prend fin aujourd’hui ne m’a pas semblé aussi difficile que les précédentes. Je n’ai certes toujours pas de visa pour rentrer en Inde, et les « diplomatiques officiels » ne semblent guère s’en préoccuper, mais j’ai de nouveaux projets. J’ai commencé 2017 en Afrique, j’y suis encore pour accueillir 2018. Quand je dis accueillir, ce n’est pas tout à fait exact, car j’ai bien l’intention de respecter ma tradition (vous ne voyez pas de quoi je parle ? Lisez ici.)

Il y a un peu d’incompréhension, voire de tension à la maison depuis que j’ai indiqué calmement – mais fermement – que je n’irai pas au réveillon dans un hôtel de Mohammedia. Je préfère rester tranquillement devant le feu de cheminée avec des douceurs et du thé à la menthe, m’endormir avant les douze coups de minuit et me réveiller en 2018.

Dans l’après-midi, je sors pour une balade sur la plage. Mon jeune frère Elias m’accompagne et nous partageons une belle conversation. Il a l’âge d’être mon fils, mais c’est mon frère ; nous sommes issus du même père, mais il est un être totalement différent. En échangeant sur des sujets importants, j’admire le potentiel à sa disposition et je mesure également combien il doit être difficile de se lancer dans la vie en 2018. Toutes ces options, toutes ces problématiques tournent et se confrontent dans le monde actuel. À plusieurs reprises, comme lorsque nous avions initié cette discussion à Paris quelques mois en arrière, je me rends compte que je connais les doutes qu’il rencontre, j’en ai fait l’expérience, j’en ai tiré des leçons. Cependant, comme un professeur qui connait les réponses, il ne sert à rien de les confier à l’élève, il faut que l’élève trace son chemin lui-même, comprenne le mécanisme et en retire sa propre sagesse. Il me serait si facile de lui dire : « Fais ci, fais ça ! », cela ne lui apporterait rien. Elias fera ses propres choix, il découvrira à sa façon son chemin et les écueils de la vie.

Le soleil s’apprête à disparaître une dernière fois ; avant de quitter la plage, nous envoyons un message vidéo à notre sœur Céline pour lui souhaiter d’avance une bonne année. Sur le chemin du retour, le ciel se teinte de rose, rouge, et pourpre. Enfin, la nuit tombe, la famille sort festoyer et le silence retombe dans la maison.

Ma dernière photo du jour est composée des neuf photos que vous avez préférées en 2017 (de haut en bas, et de gauche à droite) :

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#Back2Africa © GILLESDENIZOT 2017-2018

Amsterdam : le musée de l’Hermitage, pour l’exposition « 1917. Les Romanov et la révolution. La fin de la monarchie. »
Genève : une après-midi hors du monde, à naviguer sur le voilier de Muriel
Paris : deux scooters bigarrés et amoureux à Pigalle
Ziguinchor : la belle porte aux couleurs de la Casamance
Tanger : l’ombre d’un palmier sur le sable, un grand nuage dodu flottant au-dessus
Ziguinchor : la solitude calme d’un homme sur l’immensité du fleuve
Paris : l’explosion printanière, rose sur bleu
Mohammedia : le vieil homme et ses oranges
Conakry : un lever de soleil grandiose

Le classement final me convient bien : l’Europe s’y retrouve quatre fois, l’Afrique cinq fois (avec Tanger en son centre), et l’Inde… plus du tout.

Beslama, 2017 !

#Back2Africa 43
Mohammedia
Lundi 1 janvier 2018

 #Back2Africa 2017-2018 © GILLESDENIZOT

Endormi avant minuit, je me suis réveillé à l’aube, avant le premier appel à la prière. À ma ligne Pondichéry – Yercaud – Mumbai – Dakar, j’ajoute Mohammedia en 2018. Je rappelle à mon souvenir le maquis de Yoff, la généreuse assiette de thiep, les sourires des cuisinières, le calme et le goût de la différence qui ont marqué l’année, l’apprentissage de l’indifférence aussi. Je ne suis toutefois pas convaincu que l’adolescent que j’étais approuverait l’adulte que je suis devenu. Il lui volerait certainement dans les plumes pour son manque apparent de colère et sa résignation. Et l’adulte de lui rétorquer que cela fait longtemps que la coupe a débordé, que le pot s’est cassé, qu’il y a du bon dans le lâcher-prise.

 #Back2Africa 2017-2018 © GILLESDENIZOT

#Back2Africa 44
Mohammedia
Mardi 2 janvier 2018

Sous le soleil, les sons enivrants de la voix de Pandit Jasraj tournent autour de moi et du linge qui sèche. Ma pratique de yoga dure maintenant au moins 45 minutes et j’évalue mes progrès en fonction des musiques que je choisis pour chaque session. Je suis encore loin de mon endurance acquise jour après jour en Inde, mais je m’en rapproche.

En 2016, à Mumbai, j’avais été hypnotisé par cette version rare du rag Hussaini Kanra qui rythme mes mouvements ce matin :

Rag Hussaini Kanra

Immédiatement après avoir déniché cette merveille, je m’étais lancé à la poursuite des paroles, de leur sens, de la structure de composition, de son interprète principal. Très peu d’informations étaient disponibles en ligne et j’avais donc posé la question à mon élève Haroon. Il pourrait certainement percer davantage le mystère. De fait, deux niveaux de lecture étaient envisageables ; l’un deux (à mon sens, le plus passionnant) avait le goût du soufisme. Qui est cette figure aimée, désirée et regrettée que le chanteur évoque ? Pandit Jasraj est réputé pour son habilité à explorer et représenter l’inhabituel grâce à son extraordinaire palette vocale et son talent de musicien.

Prenant sa source dans Hussaini Kanra, Pandit Jasraj nous fait glisser comme le cours d’un ruisseau. Il nous emmène sereinement tout d’abord jusqu’au rag Sahana. Celui-ci est dit Vakra, ou tortueux, car les notes en gamme ascendante et descendante suivent un motif en zigzag. Puis le paysage sonore se pare de couleurs printanières avec l’apparition du rag Bahar. Là aussi, il est d’usage de chanter en mode Vakra.

L’enregistrement est gorgé d’une beauté unique qui, année après année, m’enchante et m’inspire. C’est toujours le cas, au moment où je rédige ces notes, seul face au détroit de Gibraltar…


For those of you who do not read French, the following video will present you with a visual summary of this post. 
Pour ceux qui souhaitent aussi parcourir ma route en images, voici une courte vidéo (ainsi que des photos plus bas) :

#Back2Africa 6 Mohammedia-Casablanca © GILLESDENIZOT 2017-2018

Durant #Off2Africa, j’avais pour habitude de ne partager qu’une photo par jour, sans légende.
Celle du jour figure en haut de ce récit ; en voici d’autres…