Silence NC8 © GILLESDENIZOT 2019
histoires, silence

Silence NC8

Journal de l’éloignement – Sur les étiquettes blanches, des mots, des bouts de phrases. Je savais déjà précisément ce que je voulais vivre avec toi…

et dont la page se tourne la nuit.

qui s’écrit le jour

Un journal de l’éloignement


Je me souviens d’un certain jour ensemble, le 1er mars 2019. J’étais heureux, nous partagions un mate face à l’estuaire du Río de la Plata en Argentine. À un moment, un voilier glissa dans le lointain rose et doux et je pris une photo…

C’était la dernière fois que je voyais cet endroit magnifique et terrible. Car les hommes détruisent tout entre eux, ils transforment un paradis en cimetière et c’est là, dans cette eau, qu’ont été jetés tant de corps pendant la dictature.

Inspiré par la photo, j’ai écrit un billet qui parle de navigation, de tenir le cap, d’amour et d’amitié…

Quand j’évoque la voile, je pense forcément à Genève. Tu te souviens de notre voyage ? C’était le premier trajet commun, après notre rencontre à Paris. Nous étions partis en voiture, nous avions fait découvrir le mate à nos co-passagers, nous avions traversé le lac et je t’avais présenté à Muriel.

Sur place et durant une semaine, je t’ai conduit à travers la plupart des lieux qui me sont chers. Un jour, en remontant vers la Vieille Ville, j’ai remarqué une vitrine devant laquelle nous avons posé. Je vois que je te tenais par l’épaule tout en prenant la photo de la main gauche. Nous étions si proches alors…

Sur les étiquettes blanches, des mots, des bouts de phrases.

Je savais déjà précisément ce que je voulais vivre avec toi et je t’avais proposé « Faire découvrir », « s’ouvrir à l’autre », « construire des relations », « s’engager »

Je n’avais pas vu qu’en haut à gauche, il y avait aussi « accueillir le silence »… Et toi ? Quels mots avais-tu choisis ? J’ai oublié…

Ce que je ne parviens pas à oublier, ce qui ne me quitte pas, ce sont les sensations, les odeurs, les sons. La netteté de ces souvenirs est stupéfiante de fidélité et de réalisme. Il ne m’est épargné aucun ressenti, aucune approximation qui adouciraient les chocs sensoriel et émotionnel. Je pense à toi avec tant d’acuité que c’est comme si je te touchais. Je pense à toi et instantanément je sens l’odeur de ta peau ; ça me rend fou. J’ai l’impression d’être sur des montagnes russes, lié à mon siège et envoyé valdinguer à tous moments de la journée. Il n’y a que la nuit, quand je parviens à dormir, que je ne vis plus rien. L’obscurité absolue, comme au fond de l’eau.

Tu sursautes quand l’air s’engouffre enfin dans tes poumons. Tu prends conscience de l’état d’apnée, des larmes qui ont coulé sans t’en apercevoir, de ce moment déjà dans le passé mais dont tu ressens encore la douleur dans le présent.

Quand l’angoisse me lâche, la première évidence qui s’agrippe est le manque, puis le besoin. Oui, j’ai besoin de toi. Je sais que je vais aller mieux, que la vie va reprendre ses droits, mais pour l’instant, tu me manques et j’ai besoin de toi. Il y a des moments où je me tiens presque tout seul debout, sans trop vaciller. Et puis il y en a d’autres où j’implore tous les dieux de la terre de pouvoir te retrouver et respirer le même air…

J’ai envie d’être avec toi parce que c’est bon. Sans toi, ce n’est pas aussi bon. C’est aussi simple que ça.