Silence Journal de l'éloignement
histoires, silence

Silence NC13

Journal de l’éloignement – Les illusions sont faites pour être perdues. C’est chose faite…

et dont la page se tourne la nuit.

qui s’écrit le jour

Un journal de l’éloignement


Au cours d’une rupture, des phrases toutes faites sont parfois prononcées, telles que « Ce n’est pas toi, c’est moi ». À la douleur de la séparation s’ajoute une gifle monumentale dont on se passerait volontiers, mais l’autre nous inflige sa lâcheté sur le mode « Nous nous sommes tant aimés ». (À noter que ces phrases bateau – pour rester dans le thème marin – peuvent être émises de vive voix, mais que le plus souvent elles le sont au travers d’un email, d’un message instantané, via vidéoconférence mais sans la caméra, parce que évidemment en plus d’être celui que l’on quitte, on vous fait comprendre que la décision de vous quitter a été très difficile à prendre et que, bon, tu vois, je fais l’effort de prendre en compte ta douleur…)

L’amour, ça ne se commande pas. Ne plus ressentir ce sentiment, vouloir rompre, avoir besoin de s’éloigner, rencontrer quelqu’un d’autre, tout cela existe, tout cela est légitime, je ne reviens pas là-dessus. Si la relation qui s’achève a compté, il est d’autant plus difficile d’y mettre un terme. Rompre avec noblesse, ne serait-ce pas l’ultime preuve d’amour ?

La manière de rompre me semble très significative ; elle indique – entre autres – le respect de l’autre, de soi, et de la relation. Ne pas avoir le courage de rompre de vive voix, face à face, est – à mon sens – une lâcheté. Faire attendre l’autre quand on sait déjà que c’est fini, l’abreuver de petits messages quotidiens comme au temps heureux est – à mon sens – une lâcheté. Lui proposer de passer du statut de partenaire à celui d’ami est – à mon sens – une lâcheté. Invoquer un amour toujours vivant alors qu’on quitte est – à mon sens – une lâcheté.

Il me semble qu’un des risques de cette lâcheté est la possible remise en cause de la relation vécue. La fin de notre belle histoire prendrait donc cette médiocre tournure, cette mièvrerie d’excuses à deux sous, je t’aime mais je te quitte, et de surcroît par email ? Lâcheté ! Au-delà de comprendre et d’accepter qu’il soit difficile de rompre, il n’en reste pas moins que c’est le dernier souvenir que l’on gardera de l’autre, de celui qu’on a aimé, qu’on a un temps considéré comme son partenaire. Non seulement il me quitte mais il n’a pas le courage d’assumer sa décision, il enrobe le discours pour faire passer la pilule ? Quelle lâcheté ! Comment ai-je pu lui accorder tant de crédit ? Et ce que nous avons vécu, qu’en reste-t-il dans ce cas ?

« Souvent c’est par intérêt qu’on fait des promesses, et c’est aussi par intérêt qu’on ne les tient pas. »

Joseph Sanial-Dubay, Les pensées sur l’homme, le monde et les mœurs (1813)

Tu disais que les derniers jours passés ensemble avaient été heureux ? Mais que signifiaient alors ces derniers jours heureux ? Une mise en scène, un jeu d’acteur, toi qui aime tant le théâtre ? Et que dire de ta décision d’être heureux pendant ces derniers jours, sans te tracasser, sans penser à l’avenir, en maintenant les doutes à distance. Si tu as pu choisir cette option et qu’elle a fonctionné, pourquoi ne pas poursuivre ainsi ?

Tu ne peux pas exiger d’une relation qu’elle soit toujours un ciel bleu sans nuages. Ou alors tu souhaitais juste te divertir, mais dans ce cas, tu n’aurais pas dû me promettre l’engagement. Toi qui cherches un partenaire de confiance, stable et fiable, qui offre promesses, garanties et confort ; toi qui a besoin de te sentir apprécié et qui ne tolère ni la déloyauté ni l’incohérence ; toi, le pragmatique aux décisions sans appel, rigides et immuables, ne vois-tu pas à quel point tu t’es trahi ?

Les illusions sont faites pour être perdues, soit. Mais m’as-tu aimé moi ou l’idée de moi ? Je fais des erreurs, comme tout le monde, mais ce qui est primordial – à mon sens – c’est la loyauté de l’engagement. Je ne laisse pas les doutes s’installer et me bloquer la route. Je sais où je vais et j’y vais. Il y a du perfectionniste persévérant là-dessous mais en réalité, c’est plus simple que cela. Je ne peux pas aimer à moitié ; quand j’aime, j’accepte la personne entièrement et je fais avec ses imperfections et ses qualités. Je n’en étais plus au stade de l’envie, j’étais déjà en route vers notre futur, confiant et motivé par tes promesses.

Un proverbe arabe dit : « Fécond en promesses, mais stérile en faits. »

Les belles paroles semblent bien creuses quand elles terminent en banalités. Invoquer l’amour inconditionnel pour certains ou l’amor puro qu’on ne serait pas à même de rendre à la même intensité est – à mon sens – une lâcheté. C’est imaginer à la place de son partenaire et, d’une certaine manière, c’est aussi exercer un contrôle sur l’autre. L’amor puro dont tu parles pour me quitter, c’est un amour qui englobe le moins bon sans pour autant s’y résigner, c’est aimer malgré les crises, c’est aimer l’autre quand il souffre, quand il se débat, quand il te griffe. L’amor puro c’est voir à quel point celui qui te quitte peine à te quitter, combien il est perdu face au devoir de te quitter noblement, et lire au-delà des phrases toutes faites. Mais ne pas être dupe non plus. L’amor puro c’est le contraire de l’illusion.

Quant à celui qui est délaissé, c’est Auden qui en parle le mieux :

How should we like it were stars to burn
With a passion for us we could not return?
If equal affection cannot be,
Let the more loving one be me.

W. H. Auden, The more loving one

Une séparation reste une séparation, elle tue tous les possibles et la moindre des choses, c’est de ne pas y ajouter de la lâcheté. J’ai eu le courage de te parler face à face quand nous nous sommes rencontrés. Ce n’était pas facile de te dévoiler des choses intimes sur moi, au risque de te perdre, mais je l’ai fait. Je n’ai pas été lâche parce que tu en valais la peine. Je pensais aussi valoir la peine d’une annonce de rupture face à face, de vive voix et sans artifice. En neuf mois, les occasions n’ont certainement pas manqué. Que tu aies attendu que je sois parti, que tu m’aies fait t’attendre encore ensuite, pour enfin me quitter par email dans un florilège de phrases doucereuses est – à mon sens – une lâcheté.

Les illusions sont faites pour être perdues. C’est chose faite.