Silence NC16

Journal de l’éloignement – La veille, j’avais noté le changement de ma perception, de l’intérieur vers l’extérieur. À présent, je ressens le mouvement du ballet naval et je prends ma place dans le monde qui m’entoure…


et dont la page se tourne la nuit.

qui s’écrit le jour

Un journal de l’éloignement


Second jour de navigation à bord de Pollux. Nous longeons la côte belge et j’admire les éoliennes au loin. À bord, la journée est toujours calme : chacun vaque à ses occupations, dormir, écrire ou lire (je dévore « Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même », un livre de Lise Bourbeau, que Muriel a judicieusement déposé près de ma cabine et que j’ai évidemment remarqué…). Nous nous retrouvons pour partager les repas tandis que le pilote automatique se charge du reste. Le doux balancement du bateau sur l’eau nous procure à tous un sentiment de bien-être et je sens que j’ai besoin de me reposer. Je dors longtemps, j’ai l’impression de récupérer toutes les heures de sommeil perdues à Tanger. Je n’ai plus de crises d’angoisse, mon esprit se calme et j’en profite pour faire de longues siestes. Je me sens en pleine forme pour assumer le premier quart. À 22 heures, nous passons Dunkerque et nous nous dirigeons vers Calais.

A nouveau, le trafic s’intensifie. Des ferrys assurant la liaison Calais – Dover sillonnent les eaux ; je les retrouve sur la carte de l’écran, signalés par de petits triangles bleus qui tournent au rouge en fonction de leur proximité. Il y en a de plus en plus, ils sont si proches que je distingue les cabines sur leur pont, grâce aux jumelles. Comme la nuit précédente, je reste à la barre, dehors, avec mon mate pour me maintenir éveillé. Il ne fait pas froid, contrairement à la première nuit.

Soudainement, comme la veille, Pollux change de cap tout seul. Les voiles ne fonctionnent plus et le courant nous entraîne droit vers les ferrys. Je réveille Muriel, nous abattons les voiles, nous traçons un nouveau cap, puis elle retourne dormir. Je n’ai pas peur, je n’ai pas froid, je mesure parfaitement la distance de notre voilier par rapport aux paquebots qui font la traversée entre la France et l’Angleterre. La veille, j’avais noté le changement de ma perception, de l’intérieur vers l’extérieur. À présent, je ressens le mouvement du ballet naval et je prends ma place dans le monde qui m’entoure. Je me sens si bien que je décide de ne pas réveiller Muriel et de continuer encore un peu. Cela fait longtemps que cela ne m’est pas arrivé, mais je profite du calme de la nuit pour chanter : des extraits du Vaisseau Fantôme de Wagner, les Berceaux et l’Horizon chimérique de Fauré… Tout autour de moi s’étend la quiétude de la nuit noire parfois entrecoupée du grondement des paquebots au large. Peu après 2 heures, je passe la barre à Muriel et, à 3 h. 30, je vais finalement me coucher.

Je me réveille à 7 heures et je constate que Muriel et Stéphane ont décidé de longer les côtes anglaises plutôt que de descendre sur la Normandie. Le paysage est magnifique : des falaises blanches à perte de vue, une mer calme et presque turquoise, un franc soleil. Je m’installe au soleil et profite de ces longues heures sereines. Pour d’autres, en revanche, tout ne se passe pas au mieux. La radio des gardes-côtes de Brighton nous avise qu’une embarcation rouge est à la dérive avec sept personnes à bord. Les appels de détresse Pan-Pan / Pan-Pan / Pan-Pan se succèdent mais même avec les jumelles, nous ne voyons rien à l’horizon.

Pour le dîner, je concocte un risotto maison dans la cuisine de bord puis vais me coucher, laissant mes co-équipiers se charger des premiers quarts.

Quand je me réveillerai, la mer ne sera plus d’huile…


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