#HolaBarcelona — Journal d’octobre

L’automne s’installe doucement à Barcelone ; on dit la tardor en catalan, joli, non ?


L’automne s’installe à Barcelone, mais j’aime toujours autant regarder les nuages amoncelés, comment ils se préparent à déferler sur la ville et, le moment venu, entendre la pluie s’abattre en trombes d’eau. Les averses ici ne me dérangent pas, ce n’est pas la bruine désolée qui lavait les ruelles de Tanger de jour et glaçait ma nuit. À Barcelone, la pluie s’impose forte, mais passagère. L’automne s’installe doucement ; on dit la tardor en catalan, joli, non ? Voici #HolaBarcelona journal d’octobre 2021

#HolaBarcelona — Journal d’octobre © Gilles Denizot

Miguel Delibes ou Merlí ? — #HolaBarcelona Journal d’octobre

Il me revient le goût des soupes de légumes, du vin rouge et des tartines de confiture maison… Je m’installe sur le canapé avec le livre que je dois terminer (cela fait bientôt un an qu’il me tombe des mains, mais je persiste !). Quand le chapitre en cours est clos, je m’offre une longue pause en regardant la série Merlí. Je l’ai déjà vue plusieurs fois en catalan. Pourtant, je la goûte encore davantage à présent, car je comprends les dialogues et reconnais les lieux…

Professeur ou élève ? — #HolaBarcelona Journal d’octobre

Il faut dire que je suis très Merlí. Je ne partage pas toutes les caractéristiques du personnage, mais je me reconnais beaucoup en lui. Son amour des élèves et son lien avec eux, sa manière de voir la vie, ses erreurs de parcours aussi. Encore plus que chanteur, je suis prof ! Il m’est impossible de résister à ce sentiment de partage de la connaissance, c’est un besoin vital. Cela m’a tellement manqué depuis l’Inde, mais l’enseignement m’avait écœuré, comme dans un épisode de la série. Quand on donne, il faut parvenir à ne rien attendre en retour et ce n’est pas évident. En chemin, il y a des déceptions aussi intenses que certaines joies, parce qu’on s’est imaginé que l’autre (élève ou collègue) comprendrait cette vocation, ce don de soi, non pour se glorifier et gagner en popularité ou en pouvoir, mais parce qu’on ne peut donner qu’avec générosité. Certains enseignants traversent leur vie professionnelle la peur chevillée au corps. Peur des élèves ou de leurs propres lacunes (alors qu’il suffit de dire : « Je ne sais pas, mais je vais chercher et te répondrai bientôt »). Professeur ou élève, j’aime passionnément les deux situations et ne suis facile dans aucune. Je suis exigeant avec moi-même et avec mes élèves, et je le suis aussi avec mes professeurs. Je continue d’apprendre, je crois même pouvoir dire que, depuis l’Inde, j’ai nourri l’élève en moi plus que je ne l’ai jamais fait auparavant.

Apprendre me rajeunit

D’aussi loin qu’il me souvienne, j’ai été attiré par les langues étrangères. Enfant, en vacances en Espagne (alors franquiste – un comble tout de même – car mes grands-parents maternels avaient une maison à Cullera, dans la province de Valence), dans quelle langue pouvais-je bien parler avec les copains du quartier ? De là vient peut-être ma facilité avec le catalan ? Il m’est impossible de résister à l’envie de dire ne seraient-ce que quelques mots basiques dans la langue locale. Je l’avais évoqué dans mon billet #Off2Africa 84, en route de Kankan (Guinée) à Bamako (Mali) :

« Ah, tu vas au Mali » me lance un client, et d’annoncer à la cantonade que je vais au Mali… « Tu parles le malinké ? », et de lancer la leçon par « Bonjour, je m’appelle Souleiman. Ça va ? Je vais au Mali » ce qui nous donne « Hissoma, N’tolé Souleiman. Tana té ? N’wato Mali. » J’articule consciencieusement les mots, sous le contrôle de mon professeur, et tous autour ponctuent chaque répétition d’exclamations ravies ! La voiture est loin d’être prête, je commande donc un autre café, en malinké : « café soucra té yé », soit « sans sucre », mais le vieillard à la cafetière n’en aura cure et me servira « soucra yalla » parce que j’ai un long voyage devant moi et qu’il estime que bien sucré, c’est mieux ! Yalla pour du café sucré alors… avant de m’assoir devant le pare-brise fêlé ; il est déjà presque dix heures quand nous nous mettons en route. N’wato Mali !

Apprendre me connecte aux autres

Yalla… Voilà une autre raison de mon attirance pour les langues étrangères ! Quand j’ai commencé d’étudier l’arabe moderne, j’ai reconnu des mots appris en hindi ou en tamoul. Je suis absolument convaincu qu’apprendre des langues aide à voir les similitudes entre nous tous, plutôt que les différences. Mais (en français) se dit lakin (لكن) en arabe standard (walakin ولكن en arabe darija) et lekin (लेकिन) en hindi… J’adore par-dessus tout les personnes qui passent d’une langue à une autre dans une même phrase. C’est le cas à Barcelone, par exemple : dans Merlí Sapere aude (deux saisons supplémentaires dérivées de la série originale), les personnages utilisent alternativement le catalan et l’espagnol. À Tanger, on ne s’étonne pas de parler l’arabe (standard ou non) mêlé de français ou d’espagnol, et tout le monde vous comprendra. En Inde, tant de mots proviennent du sanskrit, du persan, de l’ourdou, jusqu’à l’écriture de gauche à droite ou inversement. À Chennai, les élèves natifs d’Inde du Sud s’appropriaient très vite les autres langues dravidiennes (tamoul, télougou, kannada, malayalam) sans se poser de questions identitaires. Je n’ai d’ailleurs jamais compris le nationalisme, cela m’horripile. J’aime le partage des cultures, les pas que l’on entreprend pour découvrir l’autre. Pour le voyageur que je suis, ce chemin passe d’abord par la langue, puis par la littérature (avant même la musique, étrange…)

Débarqué en pleine mousson à Chennai, je m’étais rapidement rendu compte du large éventail d’origines de mes élèves. Pour les inclure tous, il me fallait aller jusque dans les extrêmes et les ramener au centre. Il me semblait irréaliste et stérile (voire colonial) de leur imposer l’art lyrique, le Bel Canto, la méthode européenne. D’ailleurs, tous avaient déjà commencé d’imiter les vidéos trouvées en ligne. En vain, car ils ne possédaient ni la technique ni l’instrument des chanteurs d’opéra. Je décidais donc de m’approcher d’eux et d’apprendre à les connaitre, pour mieux ensuite leur faire découvrir ma culture et la leur enseigner.

Chaque première leçon commença par trois questions : comment t’appelles-tu ? Quel âge as-tu ? Quelle est ta langue maternelle ? Puis je leur demandai de me chanter quelque chose qui provenait de leur culture musicale (et j’en profitai pour écouter attentivement le son de leur langue). Je découvris des similitudes sonores entre le bengali et le français, entre le télougou et l’italien. Je décidai donc de choisir le répertoire en conséquence et les résultats furent impressionnants. Quand mes collègues conseillaient d’imiter tel chanteur allemand ou russe, je mettais à profit la prononciation pure d’un élève de Kolkata ou la brillance des voyelles d’un chanteur d’Andhra Pradesh. Pour enseigner la technique vocale, je demandais à un élève du Karnataka de démontrer la voyelle OU et j’élaborais de nouveaux exercices qui provenaient tous de la culture indienne. Voici comment j’ai commencé d’identifier les similitudes pour développer dans ma classe une méthode d’enseignement unique.

Comment enseigner la maîtrise du souffle ? J’adaptais les exercices de pranayama appris au yoga, dont j’utilisais aussi les asanas pour améliorer la posture des élèves. Un des exercices premiers du disciple en chant hindoustani exige de maintenir un SA (swar ou note tonale), sans vibrato, sur la voyelle A : on dit qu’on chante en akar. La voyelle A est la plus ouverte, celle qui demande le plus grand soutien, et comme dans l’école du Bel Canto, c’est la voyelle A qui est utilisée comme référence… J’ai donc combiné le S des exercices de souffle à la voyelle A, ce qui nous donnait le SA hindustani. Très rapidement, mes élèves en chant classique occidental se firent remarquer en cours de chant hindustani. Leur SA était pur et stable, et quand on leur demandait de chanter en akar, ils pouvaient graduellement le faire sur toute leur tessiture.

Apprendre me structure

Comment enseigner, à partir du A, les voyelles O (ouvert ou fermé) et OU ? Tous les jours, en classe de yoga, mon professeur me faisait chanter trois OM avant et après la pratique. Ma sœur (qui a bien plus d’expérience que moi en yoga) avait noté que je chantais le OM d’une manière différente. Je me suis mis à étudier cette syllabe, qu’on dit être le son originel, primordial. De fait, OM s’écrit aussi AUM. Il contient les trois phonèmes sanskrits A – U – M. L’alpha et l’oméga de l’alphabet grec s’y retrouvent, de même que le AVM (un ancien symbole chrétien), similitudes encore. En hindouisme, le A représente le commencement, le U, la continuation, et le M, la fin. Sa prononciation est enseignée en relation avec les organes du chant (gorge, palais, langue, lèvres) et on dit même que ce son n’est pas produit par de l’air qui passerait à travers le larynx… Il n’en fallait pas plus ! J’ai expérimenté et pratiqué pour être capable de démontrer un son AUM stable et pur, en combinant les voyelles A, O ouvert, O fermé, et OU. Chaque voyelle était produite en me servant de la technique de chant lyrique. J’indiquais chaque résonateur et en terminant avec le son M, pour éveiller le placement vocal dans le masque (ce que je nommais, pour les élèves en Inde, Ajna). On dit qu’Ajna, ou sixième chakra se trouve sur le front entre les sourcils, et qu’il est le lien direct avec Brahman, dont le son n’est autre que la syllabe AUM… Voilà, voilà… Un professeur qui étudie, ça vous change la vie (même si ça ne vous assure pas un visa de travail).

Dernière petite anecdote, il existe une croyance selon laquelle les sept swaras de la musique hindoustanie ont été conçues à partir des sons de la nature. Shadaja (Sa) est représenté par « le son ravissant du paon lorsque les nuages de pluie se rassemblent dans le ciel. » Le paon, animal emblème de l’Inde (dont le son n’est pas aussi ravissant que cela chez Ravel), et les nuages de pluie qui recouvrent Barcelone alors que j’écris ces lignes. C.Q.F.D.

Apprendre me libère

En écrivant ce journal d’octobre, j’ai voulu savoir ce que je recherche dans l’étude d’une langue étrangère. Je crois que c’est de trouver le secret d’une langue, ou tout au moins un aspect singulier, ce qu’aucun professeur ne vous enseignera. Aucun, à moins de lui proposer ce défi et qu’il – ou elle – le relève. J’ai eu cette chance à l’Institut Cervantes de Tanger. Un jour, après bien des efforts de la part de ma prof, j’ai compris la différence entre le passé simple et l’imparfait ! Cela semble futile, mais notre français courant a perdu cette finesse. Alors qu’un enfant de Madrid alternera entre les deux temps, sans même y penser, un enfant de Paris ne dira plus : « Tandis que la pluie tombait, je fis une balade ». Il y a une conception du temps, de la description de celui-ci, totalement différente. Cela me semble très poétique…

Une balade à Gràcia — #HolaBarcelona Journal d’octobre

Le 8 octobre, tandis que la pluie ne tombait pas, je fis une balade dans le quartier de Gràcia. Première halte : l’exposition gratuite ‘L’underground i la contracultura a la Catalunya dels 70: un reconeixement’ au Palau Robert. Cette présentation de plus de 700 pièces offre une perspective exhaustive et inédite sur les figures centrales et les mouvements sociaux et culturels d’une époque cruciale. Divisée en différents espaces thématiques, elle documente l’émergence des communes, du féminisme, du psychédélisme, de l’écologie, de la spiritualité, de la musique et de l’art d’avant-garde, des bandes dessinées et des fanzines, et bien d’autres domaines.

#HolaBarcelona Journal d’octobre

#HolaBarcelona #UndergroundCatalunya au Palau Robert

Immédiatement à l’entrée, j’ai souri en voyant la mise en scène d’un salon marocain et un poster de Jimi Hendrix. Vous souvenez-vous de mon billet #Off2Africa 4 à Essaouira ? Je vous y parlais de Diabat, un village berbère qu’Hendrix projetait d’acheter au début des années 1970…

En parcourant les différentes salles, je prends conscience des luttes nécessaires pour obtenir des droits que l’on pense désormais acquis. L’avortement, le divorce, la sexualité, l’abolition de la peine de mort, les homosexuels, le féminisme…, autant de combats qui ont mobilisé une grande partie de la population en Catalogne, particulièrement la jeunesse, au cours des années 1970. Un bref survol de l’actualité espagnole fait froid dans le dos. Considérons les fémicides, les agressions homophobes, le refus de légaliser la marijuana à des fins récréatives, une proposition du groupe de gauche Más País. Tenez-vous bien, le parti socialiste (PSOE) a voté contre, même si cela signifiait s’aligner sur les néo-franquistes, le Parti populaire (PP) conservateur et le parti d’extrême droite Vox, qui s’opposaient également à cette mesure. Grâce à l’accord improbable entre ces groupes, la proposition du 19 octobre 2021 a été rejetée à une écrasante majorité, avec 75 voix pour, 263 contre et neuf abstentions. On croit rêver… Encore une fois, l’amnésie collective

À la sortie de l’exposition, une série d’affirmations à donner la nausée : « La féminité signifie appartenir à un seul homme », ou « Il est fondamental de conserver sa virginité jusqu’au mariage », et bien sûr, « L’homosexualité est une maladie ».

L’expo est prolongée jusqu’au 6 mars 2022. Allez-y ! Vous pourrez aussi profiter du merveilleux jardin du Palau Robert, avant de poursuivre la balade dans les ruelles de Gràcia. J’y ai déniché mes sandales catalanes typiques (les avarcas minorquines) et une paire de jeans (la dernière datait d’avant #Off2Africa…) chez Humana : 10 € pour les deux articles, vive la contre-culture ! Et pour déjeuner, un repas TooGoodTooGo à 3,99 € (au lieu de 12) chez Veg World India, salutations et remerciements en hindi en prime. Petit clin d’œil spécial Sandrine, un tournage de film sur la place Joanic…

#HolaBarcelona — Journal d’octobre

Edita Gruberová

Le 18 octobre, j’entame une session de dix jours de cours pour chanteurs en Inde (vive #OperaLab2Go, le programme 100 % en ligne). Le soir-même, triste nouvelle : la soprano Edita Gruberová vient de mourir à Zurich. J’avais eu la chance de partager la scène de l’Opernhaus avec elle, j’avais fait découvrir sa voix exceptionnelle aux élèves de mon programme spécial SVP à Chennai. En automne, les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi.

Ballada de Santa Maria del Mar 2021

Je ne regrette pas, en revanche, d’avoir assisté à la Ballada de Santa Maria del Mar 2021. Pour la première fois, je me retrouve de nuit dans la basilique que j’aime tant. Le quartier prend des allures de Quartier Latin une veille de Noël, une Bohème en plein air, mais à Barcelone la population se presse pour accueillir les géants ! Ce fut un spectacle impressionnant ; je me souviendrai longtemps des visages émerveillés des enfants dans le public…

#HolaBarcelona — Les géants débarquent !

Andròmeda Encadenada

Le public de Barcelone peut désormais jouir à 100 % de salles de spectacle. Pour célébrer la fin de cette restriction, certains théâtres offrent des places à 10 €. J’assiste le 28 octobre à une création mondiale au Palau de la Música Catalana : Andròmeda Encadenada, opéra en un acte pour soprano, violon amplifié, harpe, percussion et musique électronique en direct. Le livret de Marc Rosich s’établit à partir d’un texte de l’écrivaine basque Fátima Frutos. Avec María Hinojosa, soprano, Marc Charles, violon, Esther Pinyol, harpe, sous la direction musicale de José Rafael Pascual-Vilaplana. Je le disais sur twitter en félicitant toute l’équipe : c’est un rare sentiment, et un privilège, que d’assister à la création d’un opéra. En janvier à Madrid, j’assistais à une autre première, celle de l’opéra Marie, de Germán Alonso. Je vous en parlerai bientôt…

Mais avant cela, bienvenue en novembre ! À Barcelone, il y aura la Castanyada Tardor 2021, le War Requiem et Winterreise au Liceu, le festival Llum 2021 dans mon quartier de Poblenou, et tant de choses à vivre et à écrire…

#HolaBarcelona Journal octobre

#HolaBarcelona Journal octobre 2021


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