En décembre, à Madrid, un poème éclaire mon propre monde inconstant. Il y a comme une lueur qui pointe, d’abord faible puis suffisamment certaine pour donner confiance. Le labyrinthe doit bien avoir une issue…
Après un mois de novembre morose et vide, j’avais envie de me calfeutrer dans ma mansarde de Lavapiés. Je ne suis pas un grand amateur de la période de fin d’année, la perte de la lumière naturelle ne peut être compensée par la frénésie festive. D’ailleurs, je n’ai personne avec qui partager quoi que ce soit. Je n’attends que d’être catapulté de l’autre côté du calendrier, qui prend une ride de plus à minuit. Même joueur joue encore, comme je l’écrivais à Dakar… #HolaMadrid — Décembre labyrinthe éclairé
En décembre, Madrid connut quelques belles journées, froides, mais ensoleillées. Il fallait sortir de la maison et en profiter ! C’est donc ainsi que j’entrepris un grand tour du Rastro, là où se tient normalement le marché aux puces, fondé vers 1740. En période Covid, le mythique lieu de rendez-vous des chineurs a été interdit, durant huit mois. À la fin novembre, on annonçait son imminente réouverture… Dans le quartier du Rastro, il y a des cafés qui espèrent le client et du linge qui pend aux balcons. Il y a aussi une librairie dans laquelle je n’étais encore jamais entré. Elle porte le joli nom de Los pequeños seres (Les petits êtres) Ce jour-là, dans la vitrine, la couverture d’un livre de contes de Palestine a attiré mon attention. Ma trouvaille dans ma poche, j’ai remonté la Calle de la Ribera de Curtidores en remuant des pieds les feuilles mortes, presque comme un gamin. C’est alors que je me suis souvenu d’une certaine photo de moi, enfant…
Cette balade me fit tellement de bien que je décidai de tirer profit de chaque moment de soleil, à l’extérieur. Déambuler dans les rues d’une ville, au petit bonheur la chance, offre son lot de surprises et de trouvailles.
Je suis retourné au musée Imprenta Municipal-Artes del Libro que j’avais visité durant l’Architours d’Emilio en été 2019. Inauguré en décembre 2011, ce lieu méconnu présente une collection de plus de 3 000 pièces liées à l’histoire de l’imprimerie, du livre et des arts graphiques des 200 dernières années. On y voit aussi les ateliers professionnels d’impression typographique et de reliure artistique et artisanale. Le bâtiment, achevé en 1933 par Javier Ferrero Lluisá et Luis Bellido, est un joyau caché de l’architecture rationaliste des années 30 à Madrid. Ce courant recherchait une architecture fondée sur la raison, aux lignes pures et fonctionnelles, basée sur des formes géométriques simples et des matériaux industriels (acier, béton, verre), tout en renonçant à une ornementation excessive et en accordant une grande importance au design, également épuré et fonctionnel.
J’ai aussi localisé la maison où mourut Cervantes, dans le quartier Cortes, et à deux pas, celle de Lope de Vega. Décidément, ce mois de décembre tournera autour des écrivains et des livres. De retour à la maison pour la merienda, le goûter des enfants et des personnes âgées, je m’octroie un peu de douceur de vivre, un thé et une lecture…

Sur la petite commode jaune à l’entrée, le calendrier 2020 de l’Institut Cervantes est arrivé à sa dernière page. En décembre, c’est la femme de lettres et poétesse uruguayenne Ida Vitale, née à Montevideo en 1923, qui est à l’honneur. En 2018, à 95 ans, elle est la cinquième femme à remporter le prix Cervantes, plus haute distinction de la littérature en espagnol. En 2021, Ida Vitale sera suivie par une autre uruguayenne, Cristina Peri Rossi.
«Solo acepto este mundo iluminado
Ida Vitale, Este mundo
cierto, inconstante, mío.
Solo exalto su eterno laberinto
y su segura luz, aunque se esconda.»
« Je n’accepte que ce monde éclairé certain, inconstant, le mien. Je ne fais qu’exalter son labyrinthe éternel et sa lumière sûre, même si elle se cache. »
J’avais tant aimé mon bref séjour en Uruguay… Bien qu’il soit le deuxième plus petit pays d’Amérique du Sud, c’est là-bas que je me suis senti le plus libre ; peut-être était-ce dû à l’horizon sans fin, certainement aussi en raison de son esprit de tolérance et de respect des droits humains. Cette tranquillité m’a fait du bien, surtout à la fin du voyage, ne sachant pas ce que l’avenir me réserverait…
#poesíaparaunacuarentena Abdelghani Fennane
Pendant le long confinement à Tanger, je n’arrivais à lire que des poèmes. Je ne voulais pas me plonger dans un roman pour suivre de multiples personnages et une histoire à rallonge. En revanche, les courts textes en vers ou en prose me semblaient des fenêtres ouvertes sur des paysages changeants, une sorte de thali littéraire aux saveurs variées. J’avais dévoré un recueil de poésie marocaine contemporaine, le matin sur la terrasse :

Alors, je me suis plongé dans les œuvres d’Ida Vitale (pour celles et ceux qui lisent dans la langue de Cervantes, il y a cette sélection élaborée par la poétesse, disponible gratuitement). J’ai aussi découvert un texte de 1998, Exilios, qui ne pouvait me laisser indifférent :
#HolaMadrid — Décembre, ou le labyrinthe éclairé
Pendant ce temps, un drapeau espagnol d’un kilomètre de long, composé de milliers d’ampoules LED, est allumé à Madrid. (Souvenons-nous qu’à 12 kilomètres de la capitale, dans le plus grand bidonville d’Europe occidentale, près de 4 000 personnes, dont 1 800 enfants, vivent dans l’obscurité…) Les dépenses liées aux illuminations de Noël ont atteint 3,17 millions d’euros alors que le personnel médical manque et que certaines ailes d’hôpitaux de la région sont fermées. Un an plus tard, les néo-franquistes de la Communauté de Madrid entraveront l’accès au traitement du VIH pour les sans-papiers déjà suivis ou qui viennent d’arriver en Espagne. Pourtant, grâce aux progrès scientifiques réalisés dans le domaine du VIH, les personnes infectées sous traitement antirétroviral, avec une charge indétectable, ne sont pas sexuellement infectieuses. C’est le principe U=U (undetectable = untransmittable ou indétectable = non transmissible) En d’autres termes, il existe de nombreuses preuves scientifiques montrant qu’elles ne peuvent pas transmettre le virus, même lors de pratiques à risque. Par conséquent, empêcher les personnes séropositives d’accéder au traitement n’est pas conforme à l’objectif de l’ONUSIDA et pose un problème de santé publique évident.
Quand les politiques éteignent la lumière et ferment la porte du labyrinthe, la poésie d’Ida Vitale nous éclaire :
«A veces su luz cambia,
Ida Vitale, Este mundo
es el infierno;
a veces, rara vez,
el paraíso.
Alguien podrá quizás
entreabrir puertas,
ver más allá
promesas, sucesiones.»
En décembre, les quelques lignes d’Este mundo distilleront leur sagesse et me feront réfléchir sur mon propre monde inconstant. Il y a comme une lueur qui pointe, d’abord faible puis suffisamment certaine pour donner confiance ; le labyrinthe doit bien avoir une issue… C’est le temps des résolutions de fin d’année, de faire des projets pour 2021. Je sais déjà que Madrid n’est pas pour moi ; une autre ville se profile à l’horizon…
#HolaMadrid — Décembre, ou le labyrinthe éclairé
#LuzParaLaCañada
Le 2 octobre 2020, l’entreprise Naturgy et le Gouvernement de la Communauté de Madrid décident de couper l’électricité à près de 4 000 personnes, dont 1 800 enfants, qui vivent désormais dans l’obscurité. Cela se passe à la Cañada Real Galiana, à 12 kilomètres de la capitale, le long de l’autoroute M50 : le plus grand bidonville d’Europe occidentale.
Quatorze mois plus tard, le courant n’est toujours pas rétabli. Il y a un mot pour ça en espagnol : vergüenza.
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