Un arrière-goût de novembre, quand le War Requiem redevient d’actualité, en passant par le Festival Llum BCN, un autre Winterreise… et 55 ans au compteur !
Voici #HolaBarcelona — Journal de février
Encore plus de films — #HolaBarcelona Journal de février
Suite (et fin) du cycle Gitai à la FilmoTeca de Catalunya avec trois long-métrages : Kadosh, Kippur et Yom Yom. L’actualité étant ce qu’elle est, commençons par Kippur (2000)…
Nous sommes en 1973, Amos Gitai se souvient : « C’était une journée un peu venteuse, très calme et silencieuse, comme tous les jours de Kippour, personne n’utilise sa voiture. La ville était comme enveloppée d’une couche de silence, c’était une sensation très étrange et très agréable. Tout d’un coup, à 14 h 00, les sirènes ont brutalement déchiré ce silence : c’était très violent, comme un rapt soudain. La guerre du Kippour a été la dernière où la jeunesse était contente de partir parce qu’elle se sentait redevable à la collectivité. Moi, j’étais très antimilitariste, et je n’étais pas du tout heureux de partir. Mais il y avait beaucoup de jeunes, comme mon collègue dans le film, qui partaient avec enthousiasme. Le début de cette guerre a été le dernier grand événement collectif rassembleur dans la société israélienne. La déception quant à l’innocence des politiciens n’en a été que plus forte. »
Combien de jeunes russes partirent avec enthousiasme faire la guerre en Ukraine ? Ce conflit sur le continent européen suscitera-t-il un rassemblement, une prise de conscience collective ? Et quand cette aberration prendra fin, que nous restera-t-il de l’opinion déjà bien entamée que nous avons des politiciens ?



Dans mon Journal de novembre, j’évoquais la pertinence du War Requiem de Britten et l’appel du compositeur à la fin de toutes les guerres. Que dirait-il de l’invasion russe en Ukraine ? La production de Kramer et Tillmans épousait l’esprit inquiet de Britten en nous offrant des images obsédantes des atrocités humaines : ces visages déformés de jeunes soldats qu’accompagnaient les vers de Wilfred Owen, le soldat-poète mort durant 14-18, me reviennent alors que j’écris ces lignes.
« Kippur n’est pas un documentaire, mais c’est un document sur l’expérience du métier de soldat et la sensation d’être perdu au milieu d’une guerre », dira Gitai. De fait :
Tout au long du film, le spectateur reste enfermé dans cette question absurde : sommes-nous dans la guerre ou cela se passe-t-il ailleurs, hors-champ, ou cela se passait-il juste avant que la caméra n’arrive ? On ne sait jamais avec certitude et on se rend compte que cette incertitude est en fait la vérité la plus profonde de la guerre, telle que le cinéma ne l’a presque jamais montrée, avec une force et une intensité à couper le souffle. (…) Le principe de filmer la guerre dans Kippur est simple, limpide. Privilégier les espaces en temps réel, (…) faire de la caméra une personne supplémentaire marchant avec les soldats, courant derrière les autres pour monter dans l’hélicoptère avant qu’il ne décolle. Le spectateur est à l’intérieur de la guerre tout en restant à l’extérieur du groupe, en l’accompagnant. Jamais le film n’encourage chez le spectateur le fantasme d’être l’un des leurs.
Charles Tesson, Cahiers du Cinéma, n°549, septembre 2000
La déception à l’égard des politiciens face au chaos qu’amène tout conflit ne peut que se transformer en amertume quand, malgré la « victoire », la question qui subsiste est un immense « pourquoi ? ». Pourquoi tant de morts et de pertes pour un résultat aussi minime ? Ce désenchantement de la population était le point de départ de Devarim (1995), dont je parlais dans mon Journal de janvier, première partie de la trilogie sur les villes.



Après Tel Aviv, c’est à Haïfa avec Yom Yom (1998) que se joue le deuxième volet :
Yom Yom se déroule à une époque de confusion morale et politique. Le film est structuré comme une série de vignettes sur la toile de fond d’une situation grave : où va le pays ? Du haut de son perchoir, Mimi, une contrôleuse de la circulation, observe le chaos d’un air amusé. Yom Yom s’inspire de la tradition de Haïfa et la coexistence pacifique entre voisins arabes et juifs pour raconter une histoire comique et sombre de personnages mus par des loyautés divisées et des inhibitions névrotiques. Le génie de Gitai est de montrer que le conflit s’infiltre dans chaque rencontre, du marché à la chambre à coucher et au-delà. Les portraits saisissants des types sociaux israéliens, qu’il s’agisse de réservistes arrogants ou de nababs malchanceux, contrastent fortement avec les images véhiculées par les médias.
Leslie Camhi, The Village Voice, 20 février 2001
Je me souviens avoir beaucoup aimé Haïfa, peut-être en raison de cette ambiance multi-religieuse qu’on retrouvait à Tanger ou dans le film Un été à la Goulette (dont l’histoire se déroule en 1966, à la veille de la guerre des Six Jours). Je garde aussi de mes années indiennes la cohabitation des temples, des mosquées et des églises, mais c’était avant l’éruption nationaliste et son abcès haineux…
Enfin, troisième partie de la trilogie des villes : Kadosh (1999) et Jérusalem (plus exactement Mea Shearim, son quartier ultra-religieux). Dès le générique, le spectateur de la FilmoTeca est plongé dans l’univers de Shtisel, One of Us, ou Unorthodox.
Kadosh – le titre signifie ‘sacré’ – aborde des thèmes universels. Parmi eux, les exigences de la religion ultra-orthodoxe, qui enferme autant qu’elle soutient, et la souffrance des hommes et des femmes dont la religion passe avant l’amour, mais dont la culture manque de vocabulaire pour exprimer la douleur personnelle. Pourtant, Kadosh est aussi exotique à l’extrême, un portrait austère et choquant de la vie quotidienne, une histoire d’horreur, ou plutôt deux histoires d’horreur entremêlées, sur des femmes tyrannisées par des hommes au nom de la croyance religieuse.
The Wall Street Journal, 17 mars 2000
« Qui enferme autant qu’elle soutient » est précisément l’aspect qui m’interpelle, quelle que soit la religion. Je trouve cette dualité captivante, et je n’utilise pas ce terme au hasard. À moins de vivre dans une communauté (religieuse ou autre) qui enferme, il est impossible d’en percer les secrets et de les comprendre, notamment ceux qui soutiennent.
Il y a longtemps, j’avais eu ma période Isaac Bashevis Singer et avait dévoré tous ses ouvrages (rien qu’en anglais et en français, cela en fait beaucoup). Au-delà des histoires de la rue Krochmalna qu’habitent des personnages savoureux, un aspect me fascinait : la joie. Je me souviens encore, après toutes ces années, d’une phrase-clé qui disait « Il faudrait toujours être heureux. » Cela m’apparaissait comme l’essence mystérieuse de cette vie hassidique qui, en dépit des privations et des commandements, semblait apporter un bonheur simple et authentique. À cette image merveilleuse, Singer ajoutait tout un monde de plaisirs terrestres où la chair octroyait bien des tracas, dans l’assiette comme dans le lit. La vie personnelle de l’auteur, prix Nobel de littérature 1978 et né en Pologne alors sous occupation russe (tiens, tiens…), rassemblait les éléments principaux que l’on retrouve dans Kadosh et autres séries citées plus haut : sa sœur rêvera d’échapper au sort des femmes pour pouvoir étudier comme les hommes, tandis que son frère aîné se révoltera et tournera le dos à sa destinée de rabbin.
Fil conducteur de ces histoires d’orthodoxie, ce sentiment d’appartenance d’où transpire la notion nauséabonde de détenir la vérité. Ceux qui ne partagent pas ce style de vie et de pensée sont de facto exclus et perçus comme dangereux (on le voit dans les manifestations anti-LGBT, alors qu’octroyer le droit au mariage égalitaire n’enlève rien aux unions traditionnelles ; en Israël, bien que toujours illégal, on a toutefois connu quelques progrès dans ce domaine). Ce séparatisme d’une part (les ultra-orthodoxes se mettent volontairement à l’écart du monde moderne) et d’autre (tout ce qui n’est pas comme nous est contre nous) baigne dans une violence inouïe, quelle que soit la doctrine.
Avant même la fin du générique de Kadosh, la bénédiction matinale rituelle hérisse le poil encore endormi : « Béni Sois-Tu, Eternel, notre Dieu, Roi du monde, de ne pas m’avoir fait femme » (quand la femme, elle, dit simplement « Béni Soit Celui qui m’a faite selon Sa Volonté »). Les ultras vous expliqueront que la femme possède une nature plus proche du Divin et nécessite moins de commandements à pratiquer ; l’homme remercie Dieu de l’avoir créé homme, donc imparfait, afin d’avoir un travail supplémentaire à effectuer pour combler ses manques. (Ben voyons !) Forts de cette vérité, les ultras de tous bords en profitent toujours pour imposer une ségrégation violente et justifier les pires traitements misogynes (en Inde aussi, bien que parfois une voix s’élève pour dénoncer les normes patriarcales et réfuter l’archétype de la femme impure, inférieure et mauvaise). Dans Kadosh, les coups et le viol seront montrés dans toute leur horreur ; pire encore, l’exclusion et la loi implacable du silence s’infiltreront partout (la scène du mikveh est terrible…)
En 2022, déjà 14 femmes ont été assassinées en Espagne. Nul doute que tout ira mieux après la Journée internationale du 8 mars…
Pendant ce temps, d’une façon très poétique, Gitai fera dire à son héroïne à peine réveillée : « Les femmes pleurent en dormant ».
Encore plus de lumières — #HolaBarcelona Journal de février
Dans mon Journal de novembre, je racontais comment mon quartier de Poblenou s’illumina durant le festival Llum BCN. L’édition 2022 revint du 4 au 6 février, dans un format plus souple (il n’est plus nécessaire de réserver), mais moins accessible (sans réservation possible, les files d’attente sont interminables).
Je n’aurai pas à aller bien loin pour découvrir la première installation, puisqu’elle est projetée sur la façade de mon immeuble !
OracLED (œuvre de l’association culturelle barcelonaise BeatMe Lab) recrée un paysage onirique au centre duquel se dresse un oracle lumineux. Un monde de rêve représenté par la lumière, une atmosphère énigmatique qui, combinée à une induction musicale, propose une sensation hypnotique et attrayante pour le spectateur.



Je verrai aussi :
- Like Turtles (Artec Studio)
- Les tortues marines confondent souvent le plastique que nous jetons dans les mers ou les océans avec de la nourriture, ce qui constitue une menace pour leur survie. Like Turtles nous met à leur place pour nous faire prendre conscience de l’importance du cycle de production, aussi appelé économie circulaire, dans laquelle ce qui est produit doit s’inscrire dans un cycle de vie et ne doit pas générer de déchets polluants. Réutiliser, recycler, respecter, réduire sont les maîtres-mots.
- La Formigonera del PobleNew: balada per a un estómac (Miralda – FoodCultura)
- Icône d’un quartier en pleine mutation. Représente le déplacement ; exode et arrivée ; va et vient, la métamorphose d’un nouvel espace urbain. À travers un élément si typique et habituel de la construction, il invite à la réflexion, symbolisant l’estomac du Poblenou en digestion continue, dévorant, déconstruisant et construisant, métabolisant le quartier : le passé, le présent, et le tumulte de la vie des voisins.
- Espectre (Mariona Benedito + Cube.bz)
- Spectre d’une ancienne centrale électrique qui alimentait les usines et les ateliers du Poblenou industriel. Des fréquences qui deviennent un récit en son et lumière, qui défient la mémoire de ce qui n’est plus là. Obscurité aveuglante, rétention rétinienne, perception subliminale, controverse conceptuelle, synesthésie audiovisuelle, brutalisme lumineux, obscurité blanche, mémoire sensorielle et stimuli complémentaires, entre autres, sont des concepts et des outils utilisés dans la création de ce poème visuel, métaphore du passé.
- Hogar (ETSAB-UPC, Escola Tècnica Superior d’Arquitectura de Barcelona)
- Au cours des dernières années, tant à Poblenou que dans le reste du monde, la construction de la ville s’est souvent détachée du concept de maison, en tant qu’espace domestique, lieu chaleureux, point de rencontre ou espace sûr. La récupération de cet abri est plus nécessaire que jamais. Une maison pour tout le monde ! Cette année, l’installation ETSAB amène la maison dans les rues, à portée de main, afin de récupérer un Poblenou à taille humaine. Ce concept fait écho à mon billet 80 de Conakry. J’y évoquais la maison en carton d’urgence de l’architecte japonais Shigeru Ban, et la réflexion de Yumi Umiumare qui explore l’idée qu’une maison, habituellement objet de permanence, pourrait être spécifiquement conçue pour offrir un confort momentané.
- Pixel(ados) (UPC School. Màster de Lighting Design)
- Une matière opaque qui devient translucide grâce aux reflets lumineux de nos corps qui prennent la forme d’un pixel. Nos ombres transcendent ce panneau de pixels analogiques qui nous connectent et nous relient.
- Nedant en plàstic (UIC Barcelona School of Architecture)
- « Nageant dans le plastique » vise à dénoncer l’un des problèmes environnementaux les plus préoccupants d’aujourd’hui et à sensibiliser à l’effondrement que les plastiques provoquent dans nos océans. Le mouvement d’une grande vague de plastique créée à partir de centaines de bouteilles recyclées et l’allumage séquentiel de 50 groupes de lumières de Noël réutilisées plongent le public dans un jeu de hauteurs et de formes pour capter le message d’avertissement.
Encore plus de chansons — #HolaBarcelona Journal de février
Je retrouverai enfin la joie d’assister à nouveau au spectacle Las Canciones, de Pablo Messiez, que j’évoquais dans #HolaMadrid de janvier. Cette fois-ci, la représentation a lieu en dehors de Barcelone, au Teatre Auditori de Granollers. C’était exaltant, encore plus que la première fois. J’avais choisi une place différente, plus proche de la scène, ce qui m’a permis de voir et surtout entendre davantage, de noter des détails qui m’avaient échappé à Madrid. Vraiment, c’est une pièce remarquable, portée par une distribution qui l’est tout autant. J’ai, sans gêne aucune, dansé pendant les 15 minutes d’entracte et vécu cette soirée comme un rappel qu’il faudrait toujours être heureux ! J’attends maintenant avec impatience de découvrir le prochain spectacle de Pablo Messiez, intitulé Cuerpo de baile, dans le cadre du Festival Dansa Metropolitana :
La danse, le théâtre et la musique se rejoignent sur un même plan pour construire une dramaturgie qui fuit les conventions théâtrales. A travers le corps, Messiez s’éloigne des clichés scéniques pour nous offrir un spectacle singulier qui veut se différencier de tout ce qui est répétitif dans le monde du théâtre.
Encore plus de danses — #HolaBarcelona Journal de février
D’un art à l’autre, du théâtre à la danse via le cinéma, le lendemain j’allais au CaixaForum pour voir Sasha Waltz, un portrait (2014).
Ce documentaire de Brigitte Kramer ouvre la porte de l’univers intime de la chorégraphe allemande et révèle sa vision de la danse, à travers des fragments de son travail au fil des années. Basée à Berlin, Sasha Waltz est connue pour ses créations insolites à l’opéra et dans des musées. Les formations chorales, les thèmes profonds et l’utilisation spectaculaire de l’esthétique et de l’architecture sont quelques-uns des aspects les plus significatifs de son travail. Je n’ai qu’une seule hâte, c’est de pouvoir assister à un de ses spectacles !
Après la projection, je verrai aussi Mirar, Descobrir, Recordar (Regarder, Découvrir, Se souvenir), un projet photo d’un groupe de jeunes entre 17 et 19 ans qui ont émigré seuls de la Guinée, du Maroc et du Sénégal. L’exposition est accompagnée de textes (en amazighe, arabe, bambara, mandingue, peul et wolof) dans lesquels les auteurs partagent leurs impressions sur la ville, leurs expériences et leurs souvenirs. Ces récits sont émouvants et purs. Ils m’ont fait penser à un camarade en classe de catalan, qui, lui aussi, a parcouru des milliers de kilomètres depuis le Ghana (via Istamboul et Hambourg) pour arriver à Barcelone. Son histoire, sa résilience et son courage m’ont bouleversé et sont une leçon de vie, car on ne peut vraiment mesurer la complexité des combats intimes auxquels se livrent ceux qui nous entourent. Parfois, on croise la route d’un autre voyageur, on se retrouve face à un frère, on se reconnaît dans le message, surtout dans les non-dits, les moments de pudeur extrême et le silence :



He après a fer panoràmiques perquè veure vistes del mar i de l’horitzó em dona calma.
J’ai appris à prendre des vues panoramiques, car voir la mer et l’horizon m’apaise.
Outre les thèmes qui me sont chers, la mer, le ciel, les nuages, la lune, j’ai aussi apprécié de pouvoir tout lire en catalan, fort d’avoir appris à conjuguer au passé ce trimestre.
Encore plus de musiques — #HolaBarcelona Journal de février
Misha Maisky est de passage au Palau de la Música. Je ne l’ai jamais entendu en concert, c’est l’occasion ! Ce sera mon cadeau de la Saint-Valentin (on n’est jamais mieux servi que par soi-même) et quoi de plus rare que d’écouter trois Suites de Bach (N° 1, 4, 5) dans la ville du légendaire Pau Casals ? Je suis placé au balcon, au-dessus de la scène, pour ne rien manquer du jeu et surtout du coup d’archet.
Les Suites pour violoncelle de Bach sont des œuvres majestueuses et imposantes. Redécouverte au début du XXe siècle et promue par Casals, cette partition figure désormais au répertoire de tout bon violoncelliste. Mais en jouer trois (a fortiori, six) en récital n’est à la portée que de rares élus. À 74 ans, Maisky est un mythe vivant, et il ne décevra pas. Seul en scène, face à un auditoire recueilli, il enfourche son instrument, peint les lignes musicales à sa manière, nous fait re-découvrir cette musique qui m’accompagne depuis longtemps. C’est dans les moments les plus tendres, les plus intimes, que Maisky me touchera. Il y a là des niveaux sonores presqu’immatériels. De même, la Suite N°4, si ardue, si complexe, fut un grand moment d’architecture musicale. Néanmoins, je retournerai encore à ma version préférée, celle de János Starker (Mercury Living Presence 1965, le son, le son !) qui a enregistré l’intégrale à cinq reprises, excusez du peu.



Encore plus de voyages — #HolaBarcelona Journal de février
Aux voyages d’hiver dans mon Journal de novembre, il faut ajouter une nouvelle proposition. Après les deux ballets (Opernhaus Zurich et Liceu Barcelone), voici le long-métrage d’Inés García à la FilmoTeca. Le film, tourné en 16 mm, est muet, mais l’accompagnement est assuré en direct par le baryton Oriol Mallart et la pianiste Carmen Santamaria. J’ai surtout été très amusé par mes voisins, un couple âgé qui avant, pendant et après la projection, nous firent profiter de leurs commentaires et de leur connaissance toute relative de l’œuvre (je traduis sommairement du catalan) :
(Madame, qu’on sent inquiète devant la singularité du programme) — Mais c’est elle la réalisatrice ? Et elle a aussi écrit les chansons alors ?
(Monsieur, se voulant rassurant, protecteur et un poil Mansplaining) — Mais non, c’est Schubert qui a écrit les textes et les chansons. (Je me fais violence et me tais…)
(Madame, vaguement apaisée) — Ah, oui, c’est bien alors.
La projection commence, chanteur et pianiste en direct ; Madame vérifie que son sac est à portée de main…
Madame, qui déjà s’ennuie ferme, ne comprend rien (il n’y a aucun sous-titres) et fait ressortir le sac à main de dessous son siège, l’ouvre dans un bruit sec de fermeture éclair et se rabat tout de go sur son stock de bons becs, enveloppés à l’unité dans le typique plastique-qui-fait-bien-du-bruit.
La bouche pleine, Madame et Monsieur ne se manifesteront plus que par le déballage des friandises et nous serons à peu près à la chanson N° 15, quand Monsieur, très sûr de lui, informera à la cantonade (Madame incluse) qu’il ne reste que deux chansons (le cycle est écrit sur 24 poèmes de Wilhelm Müller…) Madame, le dentier englué, ne peut que grogner de satisfaction car, somme toute, 17 chansons en allemand et sans sous-titres, c’est fastidieux et amplement suffisant.
Je ne me souviens plus des chansons 16 et 17, car je n’attendais que de voir la réaction du couple… Bref, à la fin de la 17, je redoute les applaudissements, le bruit de fermeture éclair et le lever du siège comme en 40. Six mélodies suivent encore et occasionnent des réactions mitigées : Madame, totalement désorientée, n’essaie même plus d’assourdir le plastique-qui-fait-bien-du-bruit tandis que Monsieur, vaguement contrit, s’absorbe dans l’écoute du dernier quart du cycle, ce qui fait tout de même très long.
Es lo que hay, Grüß Gott! Je me suis bien amusé, en tout cas. Adéu i bona nit.



Encore plus d’années — #HolaBarcelona Journal de février
Le mardi 22, je me suis réveillé un an plus âgé. Mon téléphone est toujours éteint ce jour (Sonja en faisait autant, chaque année je me souviens d’elle en respectant cette tradition), mais le beau temps régnait à Barcelone. L’an dernier, il y pleuvait, comme quoi les choses s’améliorent. Je me suis offert une belle journée à la plage, une balade dans le vieux Poblenou, un thali végétarien et un cours de catalan (sans rien dire à personne). Exactement dix ans auparavant, j’avais passé la nuit dans un bus entre Bangalore et Chennai ; arrivé à l’aube, je m’étais directement rendu à mon cours de yoga, puis j’avais retrouvé tous mes élèves. Ils m’avaient dûment badigeonné le visage de gâteau au chocolat — comme le veut la coutume là-bas —, nous avions ri, nous étions heureux. Dix ans plus tard, la vie m’a donné Barcelone, la mer, le ciel, le soleil… et même des tulipes rouges et jaunes, comme le jour de ma naissance…
#HolaBarcelona Journal de février 2022
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