#HolaMadrid Juillet détachement
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#HolaMadrid — Juillet, ou le détachement

L’ironie ne fera pas défaut : dès le premier jour du mois, j’irai voir ailleurs… Voie 11, Madrid — Cadix, en voiture !


Voici #HolaMadrid — Juillet, ou le détachement

#HolaMadrid — Juillet, ou le détachement

Je ne peux pas encore révéler la raison qui motiva ce petit voyage en Andalousie, car à Madrid, chacun promène son secret. Disons juste que j’avais pris un rendez-vous deux ans plus tôt, sans imaginer que la pandémie ralentirait à ce point les administrations espagnoles. J’habitais alors juste en face de Tarifa, à une heure de ferry, mais un jour, j’ai quitté Tanger… Cité portuaire, Cadix a connu les peste noire, fièvre jaune et autres choléra ; elle aura survécu à la Covid et je suis impatient d’y retourner.

#HolaMadrid — Juillet, ou le détachement

#Off2Europe — Petit voyage à Cadix et Tarifa

Cordoue, Séville, Jerez de la Frontera, enfin, Cadix… La ville s’éveille doucement, on déverse de grands seaux d’eau savonneuse sur les terrasses des cafés, tandis que les habitués profitent de la fraîcheur éphémère. Il est encore trop tôt pour la chambre, je poursuis donc ma déambulation par les ruelles dans lesquelles courent des fillettes, où l’ombre se fait rare, mais où s’engouffre une légère brise. Elle porte une invitation irrésistible à contourner la cathédrale du XVIIIᵉ siècle, pour déboucher sur le malecón. De ci, c’est l’océan Atlantique qui m’ouvre les bras. De là, toujours, la lumière de Cadix qui inonde généreusement ses habitants, qui profite de chaque paroi pour rebondir et se répandre.

En réalité, cette ville est une île. (J’ai toujours aimé les îles, le temps y coule différemment…) Pablo Juliá, photographe gaditan à la joie de vivre si contagieuse, le disait déjà dans le cadre de l’exposition «Tres fotógrafos, tres ciudades. Tánger, La Habana, Cádiz.» à l’Institut Cervantes de Tanger. Quand je ressens de la nostalgie pour la ville du Détroit, lorsque je pense au malecón de La Havane (que je ne connais pas encore), dès que j’ai soif de lumière andalouse, je regarde ce reportage :

Je ne m’étonne pas d’apprendre que Cadix est jumelée (entre autres) avec… Tanger, Dakhla, Buenos Aires, Carthagena de las Indias, Bogotá ou Montevideo… bref, cette île est un résumé du journal d’errance que j’écris depuis 2016. Il y a, dans ce petit coin du monde, des souvenirs de nombreux ailleurs.

À Madrid, je discute souvent avec Ahmed qui est, comme son nom ne l’indique pas, un Cubain fasciné par Cadix. Nous nous sommes dits que je l’emmènerai à Tanger tandis qu’il me fera découvrir La Havane, puis nous terminerons cette aventure dans la cité andalouse. À Barcelone, ma camarade de classe s’appelle Lourdes, une gatidane qui apprend le catalan comme moi et dont l’accent andalou m’enchante. Cadix a même été une option sérieuse après Madrid…

Le jour suivant, la ville est plongée dans un brouillard lunaire. Je me faufile dans les ruelles silencieuses jusqu’au terminal des bus. J’ai déjà mon billet pour Tarifa, mais je m’enquiers des toilettes à bord, vieille hantise du nomade matinal. Débarqué un peu comme à Dakhla, j’attends l’heure de mon rendez-vous en me promenant et découvre un jardin, quelques tables et un serveur tout disposé à me servir mon premier vrai café de la journée. Je retrouve aussi le restaurant à la paella délicieuse, derrière le port d’où ne part(ai)ent plus les ferrys. Durant l’été 2019, j’avais presque fait le même périple : Madrid — Tolède — Tarifa — Tanger.

Trois ans plus tard, le retour se concrétise ; je dévoilerai ce secret en temps voulu. Me voici devant le bureau du notaire avec lequel j’ai rendez-vous. J’attends l’heure avec impatience, je porte ma chemise bleue, celle des occasions importantes. Je transpire à grosses gouttes tout en triturant le dossier qui renferme les originaux et les multiples copies de diplômes, d’actes de naissance et autres antécédents pénaux, vierges bien qu’estampillés !

Mon acta de notoriedad signé d’un très officiel Don Gilles, je ressors dégoulinant, les yeux quasiment aussi humides et dévale la pente jusqu’à la mer. Devant moi, de l’autre côté de ce bout de Méditerranée, il y a Tanger, là où tout a commencé. Il me faut partager ces émotions avec la marraine de cette aventure singulière ; je suis bouleversé, heureux, épuisé… Je dormirai tout le long du retour vers Cadix. Cependant, il est encore temps de plonger dans l’eau avant les tapas de l’apéro, queso manchego y copa(s) de vino. Je trinque à la santé de Mercedes, alors que le soleil se couche sur la baie.

#HolaMadrid Juillet détachement
#Off2Europe — Cadix

Au matin, ultime café sur le toit dont la terrasse révèle — dans la pure tradition des tours miradors de Cadix — le panorama majestueux. Las azoteas de Cádiz son -eran- encantadoras, écrira Antonio González-Meneses y Meléndez (plutôt bien aussi comme patronyme chez un notaire) en parlant des terrasses gatidanes. Comme il reste encore un peu de temps avant le train pour Madrid, je retourne me baigner à La Caleta. J’y salue Fernando Quiñones (1930-1998) et sa statue qui le représente pieds nus (un écrivain immortalisé ainsi est forcément intéressant). De fait, Quiñones voyagera à travers le monde, représentera le flamenco en Amérique du Sud, se rendra au Maroc avec Goytisolo, sera reconnu par Borges, écrira de la poésie et de la prose, notamment Cinco historias del vino. Je resterai jusqu’au dernier moment à la plage et quand je monterai dans le train, mon maillot de bain sera encore imbibé d’océan…

#HolaMadrid — Juillet, ou le détachement

Les deux semaines suivantes à Madrid me permettront de m’adonner à mon grand plaisir : trier mes affaires, choisir ce que je garde (et qui doit impérativement entrer dans un seul sac) et ce que je donne, avant de déménager. Je profite aussi de retourner au Real jardín botánico pour y explorer les serres tropicales, admirer la collection de bonsaïs et visiter les deux expositions gratuites du moment. Il y a El ladrón de flores, photos de Javier Rego et Doom City, Del Ser nómada al Ser sin lugar, un travail de Montserrat Soto dont le thème va forcément me remuer les entrailles.

La serre à bonsaïs du Jardin botanique royal accueille Javier Rego et sa collection de natures mortes représentant des fleurs de Madrid. Rego a lancé ce projet l’année précédente, lorsque au sortir du confinement, il commença à se promener dans les rues de la capitale espagnole. Pendant ses trajets, il cueillait des fleurs dans les parcs, les jardins et les pots de fleurs des terrasses. C’est de ces vols que vient le nom de l’exposition. Je volerai aussi une Rosa Damascena pour Mercedes, un Syringa Lilas pour Sandrine, et les Violas Pensamiento que ma grand-mère aimait tant…

Avec Doom City, Del Ser nómada al Ser sin lugar (Doom City, de l’être nomade à l’être sans lieu), Montserrat Soto ouvre son atlas personnel, fait de photographies, de vidéos, de sculptures, de drapeaux, de livres sur une période allant de 2004 à 2019. L’artiste a voyagé de Damas à New York, en passant par la Namibie, la Tunisie, Cuba, Sao Paulo, Caracas, Jérusalem, la Mauritanie, Paris, Madrid et Barcelone, entre autres. Le projet est divisé en six étapes : Reserva tiempo Roto ; Avenida de la legalidad de lo ilegal ; Carretera al Imperio ; Limbo Bulevar ; Avenida de la ilegalidad de lo legal et Camino Infierno Ciego. L’effet sur le nomade sans visa, errant dans le no-man’s land administratif de l’autoproclamée plus grande démocratie mondiale, est du pur Kafka, comme le dahlia pompon éponyme, planté non loin de là.

#HolaMadrid — Juillet, ou le détachement

J’ai choisi les livres que je donnerai et ceux que j’emporterai. Parmi ces derniers, il y a La Busca de Pio Baroja. J’en parlais ici. Le Museo de historia de Madrid met en exergue ce même ouvrage pour décrire la réalité multiple et antagoniste de la capitale espagnole :

Le Madrilène qui, par hasard, se trouve dans les quartiers pauvres proches du Manzanares, est surpris par le spectacle de misère et de sordidité, de tristesse et d’ignorance qu’offre la périphérie de Madrid, avec ses rues misérables, pleines de poussière en été et de boue en hiver. La cour est une ville de contrastes : une lumière forte côtoie des ombres sombres ; une vie raffinée, presque européenne, au centre ; la vie africaine, les coutumes dans les banlieues.

Pío Baroja, La Busca, 1904

Situé dans un grand bâtiment baroque, l’ancien hospice de San Fernando, ce musée exhibe une importante collection sur l’évolution historique de Madrid. Il propose une vision globale des arts, de l’industrie, du quotidien et des coutumes de ses habitants depuis 1561 (quand Madrid devint capitale espagnole), jusqu’à nos jours. Ville dévitalisée, enfermée dans une clôture déjà inutile, un immense cimetière dans lequel « toute l’année est un carnaval » (Larra). Les cafés, espaces de conversation ou, selon les termes de Larra, lieux de rencontre de personnes oisives et bavardes, trouvent leur origine dans les différents mentideros. On y évoque théâtre, tauromachie, amours, vers et politique. On y lisait la gazette, on y entendait des nouveautés musicales de Rossini, jouées au piano, au violon ou par un petit orchestre sur une scène de fortune, comme ce fut le cas dans le célèbre Café de Levante à la Puerta del Sol. À l’étage supérieur, la collection présente même une maquette du Teatro Real, des souvenirs de la cantatrice madrilène Adelina Patti, et des vues du corral de Lavapiés en 1930. Eduardo m’avait fait découvrir ce logement populaire typique de mon quartier. Rien n’a vraiment changé en un siècle, la banlieue évoquée par Baroja est à présent Lavapiés ; la vie africaine, les sans-papiers qui dorment à l’ombre dans la cour du corral. Es lo que hay. Siempre.

Au rez-de-chaussée, je verrai l’exposition de photos Madrid, Filomena a mi pesar. J’ai décrit ici la tempête qui paralysa Madrid en janvier 2021 et révéla une fois encore l’incompétence de ses dirigeants, compensée par l’ingéniosité de ses habitants. Contraste aussi saisissant que de voir en plein juillet ces clichés d’apocalypse polaire…

It’s not what you look at that matters, it’s what you see.

Henry David Thoreau

Il vaut mieux un troisième petit voyage à Barcelone…

#HolaMadrid — Juillet, ou le détachement

#Off2Europe — Troisième petit voyage à Barcelone

J’en profiterai aussi pour passer à Perpignan et y recevoir la première dose du vaccin Covid. Quand je retournerai à Madrid en fin de mois, le coquet studio avec poutres apparentes sous les toits de Lavapiés me semblera encore plus vide que d’ordinaire. Le détachement n’en devint que plus aisé ; je rédigeai et envoyai ma résiliation du bail, première étape avant de révéler mon secret : dire Adiós, Madrid

#HolaMadrid — Zen minimalista, en blanco y amarillo

#HolaMadrid — Juillet, ou le détachement

#LuzParaLaCañada

Le 2 octobre 2020, l’entreprise Naturgy et le Gouvernement de la Communauté de Madrid décident de couper l’électricité à près de 4 000 personnes, dont 1 800 enfants, qui vivent désormais dans l’obscurité. Cela se passe à la Cañada Real Galiana, à 12 km de la capitale, le long de l’autoroute M50 : le plus grand bidonville d’Europe occidentale.

Vingt-et-un mois plus tard, le courant n’est toujours pas rétabli. Il y a un mot pour ça en espagnol : vergüenza.