#HolaBCN — Litanie du jour
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#HolaBCN — Litanie du jour (Ode an Dietrich Fischer-Dieskau)

Jour des morts. Les sauvages du Razzmatazz, accoutrés façon Halloween, ont hurlé comme des possédés toute la nuit, boum boum boum faisaient les basses vibrant jusque dans mon lit, l’enfer.


Le sommeil m’échappe ; autant se lever, payer le loyer, faire un café et s’assoir pour écouter LE morceau traditionnel du jour : Litanei auf des Fest Allerseelen (1816) D343, de Franz Schubert sur un poème de Johann Georg Jacobi, dans LA version de Dietrich Fischer-Dieskau et Gerald Moore. #HolaBCN — Litanie du jour

J’ai tellement exploré ce Lied, l’ai chanté si souvent, récité ses vers et étudié son sens caché. Il fait partie de moi, comme Parsifal de Wagner à Pâques. (Je ne suis pas chrétien, mais comme disait ma professeur Victoria Cirlot l’autre jour : « Le christianisme n’est pas seulement une religion, c’est aussi tout un imaginaire. »)

#HolaBCN — Litanie du jour

À cette source musicale s’ajoute la poésie, le texte (il ne pourrait en être autrement, ces moments sont toujours en allemand). Cela parlera à certains quand d’autres n’y verront rien d’extraordinaire. Qu’ils goûtent au moins aux sons des syllabes…

Ruhn in Frieden alle Seelen,
    Ce premiers vers, si legato, aux voyelles si douces, les âmes comme des feuilles mortes portées encore un peu par la brise automnale
Die vollbracht ein banges Quälen,
    Puis les consonnes dures, la boule d’angoisse du tourment, la consommation de l'existence
Die vollendet süssen Traum,
    (Ici commence le mystère) La quotidienneté, la réalité de la vie vécue comme un rêve à présent accompli
Lebenssatt, geboren kaum,
    Gavées de vie (merveilleux), mais à peine nées (comprenez-vous ?)
Aus der Welt hinüber schieden:
    Qui se sont séparées (!) du monde pour passer de l'autre côté, par-dessus (hinüber)
Alle Seelen ruhn in Frieden!
    Et le retour, dans ce vers et le précédent, au legato de l'espérance, au baume de la consolation

Parmi les innombrables versions discographiques de ce Lied, seule celle de Dietrich Fischer-Dieskau me procure cette plénitude, cet Erfüllung sublime. L’autre raison, et non des moindres, est le sentiment d’humilité si caractéristique, insufflé dès les premiers sons jusqu’au dernier silence.

« Il existe un mot latin, humilis, qui, grâce au contenu qu’il recèle, a une capacité d’illumination particulière. Humilis est lié à humus, ‘sol de la terre’, et au sens littéral il signifie ‘placé bas, peu cultivé’. »


Literatursprache und Publikum in der lateinischen Spätantike und Im Mittelalter, Erich Auerbach (1958)

Neuf ans après Litanei auf des Fest Allerseelen, Schubert composera Totengräbers Heimweh (1825) D842 sur un poème de Jacob Nicolaus Craigher de Jachelutta. Plus sombre, plus tourmentée, cette nostalgie du fossoyeur est aussi à écouter. 

Dietrich Fischer-Dieskau & Sviatoslav Richter, Live recording, Salzburg, 29. VIII. 1977
O Tod! komm und drücke
Die Augen mir zu!

Im Leben, da ist's ach! so schwül!
    (cette répétition, si douce, ach! so schwül!)
Im Grabe - so friedlich, so kühl!
    (Parce que Schubert nous offre toujours ces deux faces, l’une sombre, l’autre illuminée)

von Ferne
    (Cette soudaine brillance du mot Ferne, grâce à la voyelle è)

Nous avions commencé par l'interrogation véhémente

O Menschheit, o Leben! -
Was soll's? o was soll's?!

nous terminons par 

Ich sinke… ich sinke! Ihr Lieben,
Ich komm!

Quelle douceur dans cette mort calme, paisible, ce retour vers ceux que l’on aime, ceux qui nous ont seulement précédés (‘Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen’, Kindertotenlieder 4, Mahler, 1904), selon les mots du très grand Friedrich Rückert. Là encore, un Fischer-Dieskau inégalé, mouvements sobres et regards évocateurs :

Ce qui nous emmène inexorablement à Ich bin der Welt abhanden gekommen (1901) ; encore Mahler, encore Rückert, encore Fischer-Dieskau et ce vers, cet adverbe, ce point final :

Denn wirklich bin ich gestorben der Welt.

Pour Elisabeth B.

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