#HolaBarcelona — Novembre 2022

Après un mois d’octobre très riche, on marchera, on se souviendra


Tous ces gens courent d’un sens de l’autre, cric cric cric cric crisse le sable foulé… Voici #HolaBarcelona novembre 2022

#HolaBarcelona novembre 2022 © Gilles Denizot

Le premier du mois commence par cette tradition désuète peut-être, mais qui fait du bien à l’âme : le souvenir. De ceux qui nous ont précédés, de celui qu’on était, des poèmes lus et relus, des lieder chantés avant de se taire. Il y a Allerseelen, de Richard Strauss, un favori de mes programmes de récital, de Montréal à Chennai. Celui-là me caresse la mémoire sans effort, et l’autre, celui de Franz Schubert, me tourne autour avec insistance. C’est donc toujours Ruhn in Frieden alle Seelen qui marque le premier jour du mois.

Une visite du Cimetière de Poblenou semble de circonstance. Le tour sera guidé, à travers les mausolées de bourgeoises familles catalanes et les niches empilées qui en rendraient claustro plus d’un. Un feu de bois au bord du Gange m’agréerait davantage. Le guide connait ce lieu ultime comme sa poche. En catalan, il distille informations historiques et autres anecdotes qui rendent cette promenade captivante.

Mes son cor jovenívol no pot més
En ses venes la sanch s’atura y glaça
Y l'esma ja perduda, la fe abraça
sentint-se caure de la mort al bes

Vers de Jacint Verdaguer i Santaló, inscrits au pied de la statue Le Baiser de la Mort
Des rangées de niches funéraires. En arri
#HolaBCN novembre 2022 © Gilles Denizot

Outre la fameuse sculpture attribuée à Jaume Barba (1930), je m’attarderai autour des panthéons des Indianos, ces Catalans partis faire fortune à Cuba. Cela me rappelle le palais Bacardi à Sitges, que j’avais admiré en route vers #Back2Africa. Ici, la tombe de la mère de Pablo Picasso, là celle de la mère de Salvador Dalí. Un peu plus loin, à l’ombre allongée d’un cyprès repose Francesc Canals i Ambrós, connu sous le nom d’el Santet (le petit saint), que la tradition populaire considère comme faiseur de miracles. Le jeune homme, décédé en 1899 à l’âge de 22 ans, était employé du grand magasin El Siglo de Barcelone. Peu après sa disparition, la légende commença à se répandre selon laquelle il répondait aux prières des personnes qui s’approchaient de sa niche. Construit hors les murs (nous sommes en 1775) pour tenter d’éradiquer les épidémies qui ravageaient la ville, le Vieux Cimetière rappelle à ses visiteurs les six mille morts de la fièvre jaune de 1821. Pour mon récital au Grand Palais de Paris, en 1990, je crois, j’avais chanté Fièvre jaune d’Arthur Honegger. Une partition dénichée un jour en chinant. Autre curiosité, j’en parlais ici, la plaque funéraire d’un certain Narcís Monturiol i Estarriol. Également né à Figueres, il fut l’inventeur de l’Ictíneo, premier sous-marin à propulsion mécanique utilisant un combustible. Le savant au parfum de Jules Verne est presque oublié de nos jours. Tout cela me rappelle que mon billet sur le cimetière juif de Tanger est toujours en attente.

Le lendemain, Il Trovatore, au Liceu. Caruso ou Toscanini auraient dit que pour représenter correctement cet opéra de maturité, il suffit juste d’avoir les quatre meilleurs chanteurs verdiens du monde. La distribution de ce Trovatore est loin d’atteindre ce niveau. Toutefois, j’y découvre la mezzo Ksenia Dudnikova, très loin devant ses collègues (une vidéo pirate du Finale le démontrera, pour les futés.) Dans le duo du IV, Sì, la stanchezza m’opprime, o figlio… — Ai nostri monti ritorneremo, cette voix fumée, ces yeux hallucinés me font oublier le reste. Comme on dit en Espagne : Sobre gustos no hay nada escrito.

Les jours passent. Je suis mes cours de littérature comparée (derrière une étudiante à la chevelure digne de Mélisande) en espagnol, ceux de philosophie des émotions en anglais, et ceux de catalan, en catalan. Je me promène le long de murs tagués, en bord de mer et fait crisser le sable sous mes pieds. Je me rends en voisin au Teatre Nacional de Catalunya pour assister à la création de Bonobo, de et par Josep Julien.

Peut-on échapper à la violence ? Fadi a un objectif. Le processus entamé il y a quelques années est sur le point de s’achever. Ses jambes tremblent et, pour la première fois depuis des mois d’entraînement, il se retrouve incapable de conduire la camionnette jusqu’à son terrifiant objectif. Un événement imprévu dans une station-service va bouleverser ses plans et l’obliger à fuir sous la forme d’un roadmovie frénétique à travers une grande partie de la géographie du pays.

Puis, dans l’après-midi du 21 août 2017, Younes, un jeune homme de 20 ans, a été abattu par la police catalane dans un vignoble de la municipalité de Subirats, dans la région de l’Alt Penedès. Témoin involontaire de cette fin de route sanglante, l’auteur fait de son texte un outil pour poser les questions qui le font souffrir.

Des questions qui me semblent cruciales dans le contexte moral et sociopolitique de cette première moitié de siècle. Je me demande qui il est et qui nous sommes. Je me demande s’il existe une chance réelle de rédemption. Je m’interroge sur la haine et la pitié en tant que moteurs et valeurs intrinsèques de l’être humain. Je m’interroge sur la fragilité de nos convictions, de notre identité et sur l’existence ou non de secondes chances dans la vie des gens. Beaucoup de questions. Pas assez.

Josep Julien

J’ai saisi l’essentiel du texte, mais tout compris grâce à l’acteur. Le jeu de Moha Amazian te gifle, te fait penser, te maintient sur le bord de ton siège durant tout le spectacle. « La haine est un sentiment qui se cultive socialement », nous explique la philosophe Adela Cortina. Celle du Trovatore ou celle de Bonobo est un sentiment corrosif qui peut se transformer en crime. Les mesures punitives se sont révélées insuffisantes et la mort de Younes n’aura pas démantelé les germes de la haine : peurs, méfiances, préjugés, discriminations. Comme le révèle Moha Amazian : Per dir-te Mohammed, parles molt bé el català est le commentaire concret qui le met le plus en colère. 

À quelques pas du TNC, l’entrée principale du Cimetière de Poblenou est flanquée de deux obélisques aux sculptures qui symbolisent la foi et l’espoir. On peut toujours rêver, ou se souvenir…

Un ciel orangé, quelques nuages, et un bâtiment gris #HolaBCN novembre 2022 © Gilles Denizot

#HolaBarcelona novembre 2022


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