#HolaBarcelona — Janvier 2023

Valsons et pétillons pour entamer ce Nouvel An


Outre le traditionnel concert de Vienne, il y aura de l’opéra full frontal nudity, de passionnants cours de philosophie et de poésie, et des lectures à la plage. Un concert franco-espagnol et du ballet ré-imaginé. Une inscription sur les listes électorales et une cure d’artichauts, parce que c’est la saison… Voici #HolaBarcelona janvier 2023

#HolaBarcelona janvier 2023 © Gilles Denizot

Dès les premières heures de 2023, coup de trique du concert de Vienne avec Franz Welser-Möst. Le cava était bien frais, les croissants croustillants, mais la légèreté du répertoire et de l’occasion feront défaut. Qu’à cela ne tienne, le cava était bien frais.

On continua par une Tosca aberrante au Liceu. Voir deux hommes s’embrasser sur scène ne me dérange pas, des éphèbes qui posent nus non plus. Ce qui me semble regrettable, c’est de mettre en scène ses fantasmes en dénaturant le propos d’une œuvre d’art. La production de Rafael Villalobos m’a rappelé une Traviata dans un certain théâtre français. J’avais dû faire avec l’univers libidineux du metteur en scène, puisque j’étais engagé pour y chanter. En revanche, je suis parti pendant le Vissi d’arte vulgaire de Sondra Radvanovsky. J’ignore ce que trouve le public barcelonais à cette chanteuse. Elle est de tous les éloges (la Gloriosa), de toutes les distinctions (médaille d’or 2023 des mécènes du Gran Teatro del Liceu). En ce qui me concerne, après l’avoir entendue dans Tosca et Macbeth, j’ai annulé ma place pour son récital et m’efforcerai d’aller au Liceu quand elle n’y chante pas. De colores etc. 

Comme avec la création de l’opéra Marie du compositeur Germán Alonso à Madrid, le sado-masochisme et la nudité gratuite sont très XXe siècle… Pour persuader le public bourgeois du Liceu, le programme nous explique qu’avec une grande intelligence [sic], Villalobos relie Cavaradossi au réalisateur et écrivain Pier Paolo Pasolini, également artiste romain, qui a vécu recherché et menacé par le fascisme et qui a fini par être assassiné en 1975. Pasolini lui-même est représenté, dans cette production, avec cette élaboration par couches et textures que propose Villalobos. Pasolini est, avant la lettre, l’annonce du sort auquel Cavaradossi lui-même sera confronté. Parfois en référence au film posthume Salò o le 120 giornate di Sodoma (Salò ou les 120 jours de Gomorrhe) ; par exemple, dans le second acte, avec l’humiliation sexuelle de jeunes hommes nus se reposant après une orgie cruelle. 

Terreur et vie : Tosca du point de vue de Pier Paolo Pasolini, c’est bien joli, mais je suis venu voir Tosca, pas Salò (que j’avais découvert au cinéma, à l’époque il n’y avait pas YouPorn.)

« La seule justification pour réaliser une nouvelle production est d’essayer de regarder l’œuvre d’un autre point de vue » nous certifie la nouvelle sensation européenne de la mise en scène. Dans ce cas, on ajoute : d’après Tosca. (Grazie.) Je n’ai rien à dire sur la seconde couche, l’univers passionnant du peintre baroque italien Michel-Ange Merisi par Caravage, pour illustrer le baiser de Tosca. Était-ce justifié, nécessaire ? Comme je suis parti pendant le Vissi d’arte, je n’en sais rien.

En revanche, une rencontre fortuite à côté d’un ascenseur, sans point de vue ni grande intelligence, suffit à justifier le bacio di Tosca… Même sans musique, on entend la force dramatique de l’ouvrage de Puccini.

Il bacio di Tosca (Daniel Schmid, 1984)

Bref. Je connais probablement trop tous ces opéras, quasiment toutes les répliques de certains. C’est aussi là que je mesure la différence entre ma mémoire de l’époque et l’actuelle. Ce doit être mon grand âge ; peut-être pourrais-je finir mes jours à la Casa Verdi ?

Pour entraîner ce qui me reste de mémoire, je poursuis mes cours à la Pompeu Fabra. En Éthique et Philosophie Politique, nous étudions Aristote, Hobbes, Locke, Rousseau, Hegel et Marx avec Antonino Firenze. J’ai adoré ce type qui citait de mémoire des passages entiers d’obscurs traités écrits en grec ancien et qui, à la pause, se fumait une clope tranquille dans le patio.

En littérature catalane contemporaine, nous explorons un siècle de poésie en 30 poèmes et 2 manifestes. Le sujet et la manière d’enseigner de Jaume Subirana me ferait répéter ce cours ad vitam æternam. Le seul problème (mais il y en a de pires) est la masse de textes à lire. Ma liste de lectures pour les vacances ne cesse de s’allonger.

Au café du coin, je commence les Élégies de Bierville, de Carles Riba, en préparation d’un séminaire. À la plage, avant que ne se couche le soleil, ce sera Pere Quart. Dans ma chambre, Ginebra o la cambra solitària, de Rodoreda. Un auteur en révélant un autre, j’ai un coup de cœur pour Vincent Andrés Estellés. Après avoir dévoré son Coral romput pour un autre séminaire, je dévalise le stock de ma bibliothèque de quartier. Dans son Obra Completa VII, je me délecte de ses hommages à Apollinaire ou Baudelaire, dans lesquels on rencontre aussi Picasso, Toulouse-Lautrec, Verlaine et Rimbaud, Van Gogh et Debussy.

Je baigne dans cet univers poétique, oscillant entre l’Espagne et la France, quand je me rends un dimanche matin à l’Auditori. Sur la galerie à côté de la scène, il y a un fauteuil isolé. C’est le luxe absolu à petit prix. Je m’y installe pour écouter un programme que j’avais marqué d’une pierre blanche : Debussy, Saint-Saëns, Ravel et surtout Noches en los jardines de España (Manuel de Falla). Voilà une autre œuvre gravée dans ma mémoire. J’avais suivi la préparation quotidienne de mon ami le pianiste Enrique Pérez de Guzmán pour un concert qu’il s’apprêtait à donner à… Barcelone, dans le vénérable Palau de la Música.

Le dimanche, musique franco-espagnole au coin de la rue. Le mercredi, produits franco-espagnols dans une échoppe du quartier. C’est la fête, ne serait-ce que pour parler en VO avec ce marchand français qui propose une abondance de bonnes choses. Je goûte ses fromages, j’écoute les anecdotes de son village comme cette vieille dame qui cultive des oranges dans son jardin. Elle n’a qu’un arbre dont les fruits sont les meilleurs que j’aie jamais mangés. Ils sont acides comme j’aime, et mordre dans l’écorce fait jaillir une brise au parfum orangé. Enfin, il y a les artichauts. D’ici ou de là-bas, c’est la saison. À Barcelone ou à Asnières, c’est la fête de l’effeuillage (et je ne suis pas peu fier d’avoir converti une auguste catalane à la recette de l’artichaut à la vinaigrette).

Tout cela n’est probablement pas très écologique. Certes, les oranges de la vieille dame valaient bien cette transgression. Cependant, des deux côtés de la frontière, une sécheresse persistera toute l’année. Le prix de la pastèque aura tellement grimpé en été que je déciderai de m’en passer. Et quand on crèvera de chaleur, toutes fenêtres ouvertes, les touristes feront des clapotis dans la piscine de l’hôtel. L’Ajuntament de Sant Martí n’en a cure. Dans cette mairie où je me rends pour m’inscrire sur les listes électorales, on ne parle en catalan qu’avec réticence et après réclamation. Nous verrons bien si le bulletin de vote fera bouger les choses…

L’environnement sera au cœur de Jungle Book reimagined by Akram Khan Company :

Je n’avais encore jamais vu le travail d’Akram Khan sur scène, mais j’en connaissais toute l’inventivité grâce au documentaire MOVE

Je suis bien conscient des messages profonds de l’œuvre originale, mais je suis également conscient de l’importance et de la pertinence de ces messages pour le monde d’aujourd’hui. Et j’ai toujours pensé qu’avant les mots, il y a les actes. C’est pourquoi j’aimerais aborder cette production avec une action directe pour répondre au changement climatique qui affecte et continuera d’affecter chaque être vivant sur cette belle planète. Comment créer une pièce avec moins de décors, afin de voyager plus léger en tournée ? C’est pourquoi j’aimerais proposer une scène vide, c’est-à-dire l’absence de décor physique. Pour cela, j’aimerais explorer, utiliser les technologies, les projections et la cinématographie comme un décor non physique. Il faut se souvenir que les grandes histoires peuvent souvent être racontées avec les outils les plus simples : nos corps, nos voix et notre conviction dans cette histoire.

Akram Khan, Jungle Book reimagined
Dans une double fenêtre une plante verte et en reflet un balcon
#HolaBarcelona janvier 2023 © Gilles Denizot

Aux antipodes d’une Tosca dénaturée et inutile, le point de vue novateur de la production d’Akram Khan présentée au Liceu fera réfléchir. Il y avait bien sûr la jungle d’avant la liste noire, celle d’avant la partition entre Bangladesh et Pakistan. Il y a les personnages de Kipling dont je lisais, enfant, les aventures. Il y aura surtout le cataclysme de l’exil, les dérèglements du climat et le futur incertain…

Un arbre aux feuilles jaunes sur un fond de ciel bleu et bâtiments du campus UPF #HolaBarcelona janvier 2023 © Gilles Denizot

#HolaBarcelona janvier 2023


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