Une insolite septième corde, une table en acajou amer.
Ni voix diaphanes, ni mantras obsédants, aucune touche noire ou blanche, seul un archet qui sinue entre les boyaux d’animaux torsadés… #HolaBCN Souffle court

Il y a des jours comme ça où tout vous tombe des mains, et d’autres où je me réveille avec un étau autour des poumons. Cette sensation que mon diaphragme d’ancien chanteur d’opéra ne sait plus quelle est sa fonction première. Champ de ruines des illusions, des projets et des lendemains qui…


Finalement, la vie et la mort n’y sont que la conséquence d’une construction bien ou mal bâtie. C’est ce que dit un des personnages de Taniguchi : tu vis, tu meurs, ce sont des conséquences. C’est un proverbe de go et de vie. Vivre, mourir : ce ne sont que des conséquences de ce qu’on a construit. Ce qui compte, c’est de bien construire.
Muriel Barbery, L’élégance du hérisson
Sans mise en garde, ce passage m’a projeté contre la paroi. Souffle court, le compte n’y est pas.
L’aléatoire s’est heureusement proposé de ne faire vibrer que sept cordes ; une délivrance. Ni voix diaphanes, ni mantras obsédants, aucune touche noire ou blanche, seul un archet qui sinue entre les boyaux d’animaux torsadés. Prélude incertain qui cherche sa voie sur le manche obscur de l’instrument que joue Hille Perl. Est-ce la viole de gambe originale du XVIIIe siècle fabriquée par Matthais Alban au Tyrol en 1687, ou une réplique de Tielke par Ingo Muthesius ? Je ne sais pas, mais j’y pense, je recherche l’information, ça me force à me concentrer, ça me calme.



On dit que Monsieur de Sainte-Colombe aurait demandé au luthier Michel Collichon (1666-1693) d’ajouter cette insolite septième corde pour produire un la grave. Il aura si peu vécu, il aura construit huit instruments. Visite virtuelle du Musée de la Musique qui possède la plus ancienne viole de gambe de l’atelier parisien. Elle date de 1683 (dix ans avant la mort de l’artisan), sa table est façonnée en acajou amer. On peut entendre le son du fac-similé en acajou réalisé par Tilman Muthesius en 2002. Cette couleur-là m’est trop criarde, trop aveuglante, comme le soleil d’acier ce matin. Un autre jour peut-être, en concert dans une abbaye. En tout cas, une idée de longue balade jusqu’à la Philharmonie pour admirer cette viole de gambe de plus près.



Je me souviens être venu à ce répertoire grâce au film Tous les matins du monde (Alain Corneau, 1991), sans doute comme tant d’autres jeunes mélomanes. Ce fut un immense succès, je m’étais empressé d’acheter le disque que j’écoutais en boucle. C’est alors que je découvrais Jordi Savall qui m’emmena plus loin encore. Pour d’autres, le chemin fut celui du roman de Pascal Quignard. En bout de route, le goût de cette musique, la rencontre de personnes. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas encore ouvert L’amour la mer (Pascal Quignard, 2022) que m’a prêté Mercedes. J’apprends que Monsieur de Sainte-Colombe s’y promène aussi…
Je feuillette, j’entrevois :
Le pouls qui s’interrompt, le mouvement du cœur qui cesse de battre, au bout du bras. […] N’y a-t-il pas de la démence à jeter dans la lumière ce que l’immense masse bleue de la nuit préservait ?
Pascal Quignard, L’amour la mer
Cette clarté que j’aimais tant, qui me faisait vivre et qui, ce matin, m’aveugle. Comme un éclair qui me traverse la rétine, me vide de mon air. C’est pourquoi les humbles notes soufflées de cette septième corde grave me stabilisent. Des sons qui émanent de l’ombre douce, alors que le jour se jette contre le mur et le lacère.

#HolaBCN Souffle court
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