Si j’aime la lumière, celle du Nord me conviendrait peut-être davantage ces temps.
Une luminosité plus tendre, plus feutrée, quand les rayons du soleil se frayent un passage à travers la nébulosité. Comme le ciel de Barcelone ce matin… #HolaBCN Pays déformé
Pendant plus d’un mois, la FilmoTeca programme les meilleurs films de 2023. L’occasion de regarder dans de bonnes conditions ce que je ne vois d’ordinaire jamais (sauf dans des salles de quartier passablement défraîchies comme celles de Girona ou Maldà). Hier, j’ai voyagé au Danemark et en Islande grâce à Godland (Hlynur Pálmason · 2022 · 143′).
Godland, c’est Vanskabte Land (son titre en danois signifie pays déformé, on aime beaucoup, on emprunte) ou Volaða land (en islandais, avec cette consonne fricative dentale voisée ð que le français ne connait pas, mais qui sonne comme le ﺫ en arabe, le th en anglais ou encore, chez certains, le d final de Madrid…). Je ne me lance pas dans l’apprentissage de l’islandais, mais je ne dirais pas non au danois (aux Danois non plus, d’ailleurs). Toujours est-il qu’à la fin du XIXe siècle, un pasteur danois part en Islande pour y construire une église et photographier la population locale. Une histoire épique, inspirée par la beauté impressionnante de l’île, qui explore des thèmes tels que le colonialisme religieux, l’irruption de la civilisation et le choc culturel, ou comment l’environnement détermine l’être humain, nous dit le synopsis.
Le film dure 143 minutes. Je l’avais dit : autant je peux m’engloutir cinq heures de Wagner, autant si un film dépasse les 90 minutes, il faut vraiment que ce soit sensationnel pour que le temps passe inaperçu. Cependant, je mourais d’envie de découvrir cette histoire et les paysages dans lesquels elle se joue, je me suis donc lancé. Comme j’ai bien fait !
Tout d’abord, je m’attendais à voir l’écran s’ouvrir en Cinémascope. Avec le son, c’est pour moi la raison principale de préférer le fauteuil de cinéma au canapé du salon. L’histoire aurait été inspirée par la supposée découverte en Islande de sept photographies sur plaques de verre. Ce prétexte explique probablement le format presque carré de photographie, la taille restreinte en contradiction avec l’idée de pays aux espaces infinis. Le cadrage condensé force le cinéaste à concentrer l’image et le spectateur, son attention. J’oscille entre inspiration mouillée et compression froide. Seul l’intérieur de la maison noire parait avoir conservé son bois clair et sec, comme l’église en construction. La vue sur la nature, à travers le rectangle vertical que forment les portes ouvertes du temple, invite à la rejoindre. Mais, dès que ces portes se referment, la fraîcheur piquante des planches et des poutres s’étouffe… et moi avec. La fumée cireuse suinte la tentation, le gouffre du péché, les ténèbres.
Ensuite, et surtout, la musique ! La bande originale est signée Alex Zhang Hungtai (Taipei, 1980), musicien et acteur canadien d’origine taïwanaise. Plages étendues de silence, de murmures naturels : clapotis, oiseaux, rafales et chevaux qui hennissent. Laisser le temps s’étirer dans l’espace. Du siehst, mein Sohn, zum Raum wird hier die Zeit, chante Gurnemanz. Si rare et absolument héroïque, plutôt que de surligner ce que le spectateur devrait ressentir. Fait étrange, la BO est introuvable en ligne, pas même sur le site personnel de l’artiste. Mystère. Expérience réservée au public qui osera traverser les 143 minutes de l’île volcanique ? Indice supplémentaire de la créativité d’une autre île, Taïwan ? CHENG Tsung-lung m’avait transporté dans les rues de Bangka, le plus ancien quartier de Taipei, avec son ballet 13 Tongues.
Alex Zhang Hungtai, lui, marche dans les rues de Tianmu, son quartier d’enfant à Taipei, une ville au rythme slow pace (NY Times interview 2017). Il parcourt le monde en nomade, sans bagage physique. Il n’est de nulle part, il est lui-même. Sa véritable patrie est le territoire d’amour que sa femme et lui partagent. On ne sera donc pas étonné de ce qui est sur le point d’arriver.
Stateless (2014) est le titre qui se rapproche le plus de l’atmosphère de Godland. Alors, voici :
On aura raté le concert solo en déambulation libre dans une rotonde parisienne (ô, rage). Mais l’explorateur musical, quand il découvre un nouvel eldorado, tombe tout de même sur des pépites. Aux antipodes de la pénombre de Godland ou de Stateless, il y a de la clarté contemplative :
À 8’00, un moteur déchire soudain le recueillement. Le visage s’obscurcit, la mâchoire se décroche, le corps se durcit. Alex Zhang Hungtai s’est mué en animal glacé par le danger. L’espace méditatif si limpide qu’il avait élaboré est troublé, comme de la vase que l’on aurait remuée sans raison. Dix brèves secondes qui causeront pourtant la seule interruption de cette improvisation de vingt minutes. J’ai reconnu sa sensation de mal-être, je la connais au plus profond de moi, elle bouscule mon quotidien presque continuellement.



Le lundi, la FilmoTeca fait relâche et les abonnés réservent leurs entrées gratuites. Cette semaine, j’ai choisi de voir :
- Barcelona, abans que el temps ho esborri, chronique en sépia de la haute bourgeoisie durant la révolution industrielle à Barcelone. On y verra probablement mon quartier et ses nombreuses fabriques, la plus forte concentration industrielle à l’époque en Catalogne. (C’est terrible, parce qu’une heure avant, Godland repasse dans la grande salle… Qui sait si entre les deux mon cœur ne balancera pas ?)
- El sueño de la sultana, une réalisatrice de films d’animation espagnole – obtient un visa et – part en Inde. Elle y découvre un roman féministe transgressif de l’écrivaine Begum Rokeya, qui imagine un pays dirigé par des femmes.
- Cerrar los ojos, un exercice de mélancolie exquise et sans précipitation, une méditation sur le pouvoir et l’impermanence du cinéma, avec un rebondissement surprenant et un final joyeux (Variety 2023). Après les 143′ de Godland, pourquoi ne pas tenter ces 169′ minutes pour un autre #SilentSunday ?
Pour l’instant, restons encore un peu dans l’esthétique AZH…



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