#HolaBCN Da pacem

Une forêt japonaise où passent les cerfs, ceux d’Arvo Pärt et de Ryūsuke Hamaguchi.


Les natures mortes (je déteste ce terme, je lui préfère celui de still life, on en reparlera). Voilà ce que j’allais écrire aujourd’hui… #HolaBCN Da pacem

Néons et lumière multicolore
#HolaBCN Couleurs de bonbons japonais

D’un jour à l’autre, tout change. Bien qu’il ait plu ce matin, la sensation est différente. Comme un tremblement souterrain, quelque chose qui s’énerve. Ça perce, ça tape, ça siffle, des choses tombent de l’autre côté de la paroi. (Quand de mes mains tombent des choses, c’est parce que je ne respire pas. Cette apnée est devenue mon ombre et mon reflet.) Je verse une tasse de thé, je m’assieds, j’ouvre le livre, j’oublie de boire le thé, je glisse le marque-page, je ferme le livre, je verse le thé froid dans la théière, je réchauffe le thé, je ressers le thé, je retourne m’assoir, la musique est arrêtée, je la relance, je m’assieds, je prends le livre, j’ai oublié la tasse de thé. Quelque chose s’énerve là-dessous.

Comme durant Silence NC, il n’y a que l’écriture qui me calme quand quelque chose s’énerve là-dessous ou en moi. À l’époque, je ne sentais plus mon cœur. Déchiqueté, un trou béant à sa place. Je ne pouvais pas dire je, tout au plus tu, mais en parlant en fait de moi. Je n’ai plus aimé depuis 2019, cette cavité a disparu. Ou plutôt, elle a été remplacée par ce que les Grecs entendent par un cœur qui prend peu de place. Je ressens ça aujourd’hui. Je n’écris pas quand ça va bien, parce que je suis en train de vivre. J’écris quand j’ai vécu quelque chose dont je dois me souvenir, et quand ça ne va pas bien. Pour que ça aille mieux ou bien, plus calme en tout cas.

Bref, j’écris maintenant et me voilà revenu aux natures mortes.

Komorebi dans un jardin boisé à Paris, France ©DG23

still | stɪl
noun
deep silence and calm;
stillness: the still of the night.

Du temps a été consumé à chercher une musique qui conviendrait. Pour le moins, qui ne me dérangerait pas. S’il n’y avait pas la rumeur extérieure, je resterais dans le silence. Musique, donc, pour couvrir ce qui s’énerve là-dessous et tout autour. De ma mémoire embourbée est finalement apparu le besoin d’écouter Da pacem, l’album d’un de mes compositeurs favoris, Arvo Pärt, mentionné dimanche (The Deer’s Cry).

Ce disque inclut Da Pacem Domine (Arvo Pärt · 2004 · 5’40). Courte pièce chorale pour quatre voix, ensuite adaptée pour d’autres effectifs. Voilà un des traits que j’affectionne chez ce compositeur, le morceau Fratres (dix-sept versions de style tintinnabuli, dieu que j’adore ce mot) m’a longtemps accompagné. Je ne m’étais pas rendu compte – ou j’avais oublié – que l’œuvre avait été commandée par… Jordi Savall. Pärt commença la composition deux jours après les attentats d’Atocha (11 mars 2004, Madrid), en mémoire aux victimes. La création eut lieu à Barcelone le 1ᵉʳ juillet 2004, lors d’un concert pour la paix. Da pacem, Domine, in diebus nostris… Donne-nous la paix Seigneur en ce jour… On attend encore, mais on peut faire tourner le morceau en repeat.

C’est le cas en ce moment, d’autant que depuis quelque temps, des importuns viennent taper à ma porte. Alors ça, pour moi, c’est la pire des agressions. Téléphone et notifications en mode silence n’empêchent pas que les messages arrivent. Comme je ne réponds pas, ça va jusqu’à taper à ma porte. Foutez-moi la paix. Da Pacem.

5’43 de tintinnabuli

Je fais le mort et me voilà revenu à la nature.

Une grille fermée de traviole dans une forêt de Medellin, Colombie ©GD19
#Off2Sudamérica Sur les hauteurs de Medellin, Colombie

Puisqu’on n’est plus chez soi, on va aller voir ailleurs si on y est. Tiens, le cinéma Girona affiche Evil does not exist 悪は存在しない (Ryūsuke Hamaguchi · 2023 · 106′). J’avais noté le titre sur ma liste, il passe à 16:00, c’est l’occasion (d’autant que c’est la dernière projection). Remonter le Passeig Sant Joan à vélo, tourner à gauche, acheter le pain que j’aime bien dans cette boulangerie du coin de la rue, regarder le film, penser à autre chose… Je ne suis pas retourné au Girona depuis mon anniversaire et Father of the milky way railroad, un autre film japonais…

Une forêt proche de Cologne, Allemagne ©GD18
#Off2Europe Dans les environs de Cologne, Allemagne

Evil does not exist avait remporté le prix du meilleur film (section officielle AFFBCN). J’avais vu quelques titres en compétition, mais pas celui-là. Je vais réparer ce manquement. Comme Arvo Pärt, Ryūsuke Hamaguchi en a produit deux variantes. Evil est la longue mouture avec dialogues et bande-son onirique d’Eiko Ishibashi tandis que Gift est l’idée initiale, 30 minutes sans dialogues, mais avec une musique composée en direct par Ishibashi (première mondiale au Film Fest Gent, Belgique, octobre 2023). Celle-là, je l’attends de pied ferme.

Evil does not exist 悪は存在しない (Ryūsuke Hamaguchi · 2023 · 106′)

Je reviens du cinéma, grande salle presque vide, tout devant, plongé dans cette forêt où passent les cerfs, attendant que l’étang auquel ils s’abreuvent dégèle peu à peu.

Planant long-métrage, un chef-d’œuvre, un paradis fragile, qui ne tient qu’à un cours d’eau, clair et limpide, traversant un village peuplé de quelques âmes. Hamaguchi filme un écrin de nature sauvage, à deux heures de Tokyo, là où travaille Ishibashi, comme pour capter la fin d’un enchantement. Les instruments à cordes nous le font ressentir dès le premier plan, sans parole ni comédien, installant leur refrain mélancolique et répétitif, tandis que la caméra, dans un travelling enivrant, pointe vers la cime des arbres durant quatre minutes. Cibles des chasseurs, des cerfs, à la présence énigmatique, dont la caméra ne cesse de chercher des traces dans la neige, disait Le Monde.

Et me voilà revenu à The Deer’s Cry, d’Arvo Pärt…

Une fenêtre ouverte en crénelé sur un ciel nuageux et en miroir ©GD24

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