Épuisé par cinq jours de rave sous mes fenêtres, je me suis tout de même rendu au Liceu pour la première d’Adriana Lecouvreur.
D’une part, j’avais auditionné pour cette production, mais n’avais pas été retenu. D’autre part, la représentation figurait dans mon abonnement et j’avais envie de voir ce qui aurait pu être… #HolaBCN L’ambition ne vieillit pas
Chemise manches courtes bleu roi, bermudas blancs, mocassins marrons cirés, j’inaugurais la tenue estivale. Pour une fois, c’est à pied que j’ai rejoint la Rambla, un vélo aurait pu ruiner l’effet. Cinq minutes avant le lever du rideau, il y a encore des fauteuils libres. Étrange, car la ruche des bourgeois mélomanes vrombit déjà dans l’anticipation d’écouter un opéra peu dangereux dans une mise en scène rassurante. La claque est là, elle lancera des bravo à chaque opportunité.
Soudain, Víctor Garcia de Gomar entre à l’avant-scène. C’est une personne que j’apprécie, pas uniquement gestionnaire, mais formé en chant (mention d’honneur du Conservatoire du Liceu), en droit à la Pompeu Fabra et en management à Harvard. Il nous avait offert un remarquable dialogue avec Jordi Savall la saison dernière. (Tiens, je n’ai toujours pas publié ce billet.) Un homme sans doute promis à de plus hautes fonctions dans une des grandes salles du monde. Car si le Liceu est prestigieux, il n’est pas Covent Garden, Bastille, ou Vienne, qui co-produisent avec le San Francisco Opera l’ouvrage qui est sur le point de débuter. Ainsi, quand un directeur artistique se présente devant le rideau, c’est rarement pour de bonnes nouvelles.
La salle laisse échapper un souffle, chacun reste suspendu dans l’attente de l’annonce. D’une part, Daniela Barcellona est indisposée (soulagement partiel, elle n’est pas le rôle-titre). Il n’y a aucun problème vocal et elle chantera bien la Princesse de Bouillon (soulagement supplémentaire, puis suspense, mais alors quoi ?), cependant elle a souffert de maux digestifs toute la journée et demande l’indulgence du public. (En serio, semble penser la salle). Peu de gens savent ce que requiert vraiment le chant lyrique. D’autre part, poursuit le directeur artistique, ce matin est morte Jodie Devos. Elle avait chanté Oscar dans la distribution B sur cette scène et nous lui dédions cette première.
J’avais vu la dernière représentation du Ballo, distribution A, et Oscar était chanté par Sara Blanch. Rendez-vous manqué, donc. Mais je pense au billet de Jean-Pierre Rousseau, lu à sa parution, dans lequel il évoque la soprano belge. Comme un signe de l’au-delà, au moment où j’écris ces lignes, voici la voix de Jodie Devos dans un air d’Ambroise Thomas. Spooky.
Alors, voici :
L’opéra de Cilea est bien joli, malgré la trame d’une platitude extrême, une sorte de fourre-tout au quatuors comiques, duos d’amour ou de haine enflammés, loges princières et coulisses gouleyantes, un peu de poison, un peu de folie, même un ballet à la Louis XVIII de soldats poudrés et dianes lunaires. Que demande le peuple ? B-b-b-b-b-b-bravo bêle-t-il. Dans le même style, je lui préfère nettement Pagliacci (dès le prologue, théâtre dans le théâtre, on confronte vérité et fiction), Andrea Chénier (autre figure artistique réelle à Paris qui, lui aussi, est invité à déclamer des vers devant la bonne société), Manon Lescaut (si les conflits de classe vous tentent), ou encore Il tabarro et, bien sûr, La Bohème. Comme dit l’abominable Johnnie Walker dans mon Murakami du moment :
So now we come to little ‘Mi chiamano Mimi’. From the Puccini opera. This little cat really does have that elegant coquetry, doesn’t she? I’m a big Puccini fan, myself. Puccini’s music is somewhat – what should I call it? – eternally antagonistic to the times. Mere popular entertainment, you might argue, but it never gets old. Quite an artistic accomplishment.
Kafka on the Shore, page 158


J’avoue qu’après le boum-boum des jours précédents qui m’avait laissé le cerveau en bouillie, m’asseoir dans un fauteuil de velours, dans une ambiance climatisée, fermer les yeux et entendre des aigus filés m’a semblé paradisiaque. Pour moi, il n’y a qu’un seul air qui subsiste, ici chanté à Barcelone par Magda Olivero à 83 ans. Les mélomanes sauront qu’à la demande expresse de Cilea, elle fit son retour sur scène en 1951 avec Adriana.
Il en va de même pour la production, qui m’a semblé… bien jolie. Comme on peut le lire en page 34 du programme : Tot és mentida i tot és veritat. Un parèntesi de luxe. Tout est mensonge et tout est vérité. Une parenthèse de luxe. Je n’aurais pas mieux décrit ce tableau à la Watteau (après tout, il a peint ce fameux Gilles, qui m’a toujours intrigué.) Je n’ai aucun ressentiment de n’avoir été sélectionné. L’audition s’était déroulée de manière irréprochable, je retrouvais le niveau professionnel auquel j’ai été habitué, Justin Way (qui remontait la production de McVicar) fut extrêmement agréable et j’ai noté tous les détails de caractérisation des personnages qu’il souhaitait apporter. Mon collègue choisi pour le rôle a été parfait, je n’en ai jamais douté et je l’ai applaudi chaleureusement. J’aurais volontiers pris par aux sept représentations, mais comme spectateur, une fois suffira. D’autant que Víctor Garcia de Gomar a dû avoir des sueurs froides avec les distributions. J’espérais entendre Jonas Kaufmann ; il annula et fut remplacé par Roberto Alagna. Ce dernier passa en distribution B pour laisser la place à… Freddie De Tommaso. La nouvelle coqueluche du Liceu (gagner le Viñas ouvre des portes) y a déjà chanté un récital avec Lise Davidsen (bof bof), remplacé un collègue dans Don José (géniale production de Bieito), et consulté la voyante Ulrika (Daniela Barcellona sans problèmes intestinaux) dans Ballo. Voilà qu’il revient en Maurizio, tel un histrion de télé-réalité. Oui, la voix est belle, mais cela suffit-il ? Et peut-on s’accommoder des problèmes de justesse ? Que sais-je ?



Ce qui est certain, c’est qu’on m’a appris à ne jamais se cacher derrière une indisposition. De deux choses, l’une : soit vous êtes vraiment malade et vous annulez. Soit vous entrez en scène et faites au mieux. Surtout, vous ne faites pas mentionner vos problèmes intestinaux quand l’annonce suivante sera pour dédier la représentation à votre collègue qui vient de décéder.
Mais, comme disait Louis XVIII à Talleyrand : “L’ambition ne vieillit pas.”

#HolaBCN L’ambition ne vieillit pas
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