Une partie de moi s’est remise en mouvement.
Un instant a suffi pour oser le vide et me lancer sur un chemin régénérateur… #HolaBCN Extase et dégoût
Extase. Du latin ectasis, du grec ekstasis, transport. En littéraire, état de quelqu’un qui se trouve comme soustrait au monde sensible.


Depuis quelques jours, je retourne presque quotidiennement à la plage. Je m’élance avec gratitude et plonge sous l’eau les yeux ouverts, puis je flotte et me laisse porter par la vague. Très vite, les poissons viennent danser autour de moi. Je les salue en catalan, parce qu’ici, ils parlent certainement cette langue. Ce jour-là, un vendredi, j’ai reçu un beau cadeau en retour.
Un thérapeute. Un groupe d’amis. Un cercle de parole. Un espace pour danser et croître.
— Bonjour, je m’appelle Gilles. Aujourd’hui, j’ai découvert ton site.
— Pues, ¡qué bien!
Un va-et-vient d’appels manqués s’ensuivit, avant de finalement pouvoir se parler.
— Ce soir, je serai à la porte de la session Ecstatic Dance à Poblenou.
— Ah, c’est mon quartier, mais qu’est-ce que c’est que la danse extatique ?
La danse extatique est une forme de danse libre née à Hawaï vers l’an 2000. Depuis, elle n’a cessé de se développer et de s’étendre. Il s’agit d’une expérience non verbale à travers la musique et le mouvement. Un espace au-delà de l’esprit où le corps peut s’exprimer librement, en se connectant intimement avec soi-même et/ou le groupe. La musique, comme seul guide, offre un collage de rythmes et de mélodies variés, qui nous font vibrer dans une myriade de paysages et de sensations. En commençant doucement et en augmentant progressivement l’énergie, nous pouvons dépasser nos limites et accéder sainement à un état de connexion, de joie et de plénitude. Une atmosphère de connexion est créée où chacun se sent en sécurité et libre de danser, de s’exprimer, de s’amuser, d’explorer, d’être vulnérable, de découvrir.
Trois lignes directrices simples permettent à tous les participants d’y accéder :
– Nous dansons pieds nus pour être plus connectés à la terre.
– Nous dansons en silence pour encourager la connexion, la créativité et la spontanéité.
– Nous respectons l’espace des autres, en nous assurant qu’ils sont disponibles pour partager une danse. La danse est adaptée à tous les âges et aucune expérience préalable n’est nécessaire.


Après The Second Woman, j’avais juré ne plus me lancer de défis. Mais, évidemment, je suis incapable de me cantonner au been there, done that. Les petites voix se sont déchaînées : danser ? Mais tu n’as plus la forme physique acquise en Inde. Et d’ailleurs, tu n’as rien à te mettre. C’est du New Age, tu es déjà trop vieux pour ça.
Un jour, quelqu’un m’avait dit que mon ego ne survivrait pas à une session de Bikram Yoga. Du coup, hop, j’y suis allé avec ma sœur (c’est toujours elle qui a allumé ma pratique sur le tapis, quel qu’il soit). Bikram Yoga? Been there done that. (D’autant que le nom du prédateur Bikram devrait tomber dans l’oubli le plus profond.) Je l’ai fait, ce n’est pas pour moi. Je préfère l’authentique chaleur de ma professeur Beena, sur son rooftop à Chennai. Là-bas, j’ai ri, pleuré, sué, me suis étiré et ai grandi.
Depuis 2016, je n’avais pas réellement retrouvé une pratique physique. Ni en yoga, ni en quelque autre discipline. Je ne suais plus vraiment. Bien que mon poids ait baissé considérablement (grâce au jeûne alternatif ?), je sentais mon corps se recroqueviller, s’ankyloser. Des douleurs dans la main gauche, puis la droite, dans les pieds aussi. Il fallait reprendre une activité, c’est chose faite. Been there, doing that.



Ce dimanche-là, j’étais devant la porte du Cosmos. J’avais fait taire les petites voix. En revanche, le petit groupe déjà présent me salua, me parla, m’inclut instantanément. Andrés était bien à la porte, très surpris de m’y voir aussi. J’entrai dans la grande salle où flottait une senteur de sauge brûlée, pourtant il y faisait frais. Dans une relative pénombre, des corps déjà en étirement silencieux. Je choisis mon coin et commençai l’échauffement que m’avait appris Beena. Je ne tardai pas à me sentir immergé dans cet état de quiétude, paupières légèrement entrouvertes sur des lueurs floues.
Nous sommes maintenant une cinquantaine, assis en cercle. Proches de moi, le DJ et une jeune femme accueillent les nouveaux-venus, trois ce jour-là. Me suis-je demandé si j’étais observé ? Je ne sais pas, mais je n’ai pas déçu. J’ai dansé les deux heures sans m’arrêter un instant, sans boire (vieille tradition yogique, pour que l’eau n’éteigne pas le feu du mouvement), sans sortir de la salle.
J’ai fait ce que Gabrielle Roth (1941-2012) propose dans son livre Sweat Your Prayers (1997) :
Sweat is an ancient and universal form of self healing, whether done in the gym, the sauna, or the sweatlodge. I do it on the dance floor. The more you dance, the more you sweat. The more you sweat, the more you pray. The more you pray, the closer you come to ecstasy.
La transpiration est une forme ancienne et universelle d’autoguérison, qu’elle soit pratiquée dans un gymnase, un sauna ou une hutte de sudation. Je le fais sur la piste de danse. Plus on danse, plus on transpire. Plus on transpire, plus on prie. Plus on prie, plus on se rapproche de l’extase.
J’ai TELLEMENT transpiré. Sans volontairement prier, j’ai toutefois bougé dans tous les sens, sans (trop) me soucier du regard d’autrui. Deux heures pour être le danseur que j’ai souvent rêvé être. Deux heures pour réaliser ma propre chorégraphie et distiller les cinq rythmes du mouvement qu’a décrit Gabrielle Roth : fluide, staccato, chaotique, lyrique et calme. Ensemble, ils forment ce qu’elle a nommé la vague.

Quand nous arrivâmes aux dernières minutes, je dansais encore. Le cercle se forma à nouveau, cette fois en se touchant. Au cours de la session, j’avais eu quelques interactions dansées avec certaines personnes. J’ai surtout partagé une danse avec un jeune type dont les racines viennent probablement du sous-continent indien. Ce fut insolite et merveilleux. Nous nous sommes surpris l’un, l’autre. Le contact physique (mais pas uniquement) fut l’unique de ma session. Un monde a été dit à ce moment, sans un mot.
Think of your body as a begging bowl for spirit.
Once your body surrenders to movement, your soul remembers its dance.
Depression is stuck energy, sadness that hasn’t been released. The only way to get over your depression is to move.
Your breath is the most vital and important thing about you. If you don’t breathe, you die. But more importantly, if you don’t breathe, you can’t dance.
La nuit était tombée, les aficionados du football étaient englués devant leur poste de télévision. Plutôt que de rentrer me doucher, je suis allé m’immerger. J’ai mis la tête sous la mer, l’eau me cicatrisa, me caressa aussi là où une peau de tristesse s’était détachée en dansant. On dit que la danse est l’outil pour consumer la colère ; ce dimanche-là, le feu s’est mis à brûler…
L’antonyme de l’extase est le dégoût, une des six émotions de base (Ekman, souvenir de Philosophy of Emotions à l’université). Le dégoût est aussi la réaction que m’inspira ma dernière visite à l’Hospital del Mar. Dégoût et colère face à ce corps médical recroquevillé, perclus de diplômes, sourd au monde et aveugle à la curiosité du patient, son engagement personnel. Il n’y a rien de pire que les diplômés idiots. Depuis la pandémie covid, tous sont barricadés derrière la cita prèvia et la consulta telefònica. Nous ne sommes pas loin des robots médicaux aux diagnostics chatgptéens.
Il n’y a que trois raisons qui vaillent la peine d’être maltraité à l’Hospital del Mar : l’infirmière à la crinière teinte Rouge Framboise A12, l’Ester à la boutique bio à l’entrée, et la mer en face. À peine sorti de la salle d’examen, je suis allé saluer ma copine de la boutique. Nous parlons toujours en catalan, nous rions, elle me libère du stress. Ce mercredi-là, elle m’a fait de petits cadeaux. Je suis donc allé me plonger dans l’eau avec gratitude. Pour elle, pour ces gens qui voient qu’au-delà du corps, il y a autre chose de bien plus précieux. Bref. Pour reprendre une référence musicale : ce grand corps malade a tout de même dansé sur la vague.

« It’s never too late to find your flow », écrivait Gabrielle Roth. (Je dirais même plus : il était grand temps !)

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