Un arbre indien, un centre arabe, un souvenir tangérois.
Un guitariste barcelonais, un conteur espagnol, un réalisateur catalan se rencontrent… #HolaBCN Le guitariste et le conteur
À Barcelone, particulièrement en été, l’espace et la tranquillité sont des denrées rares. Je ne me serais jamais aventuré à 20 heures au cœur de Ciutat Vella si je n’avais été convié à rencontrer un jeune réalisateur et son équipe. Ce rendez-vous suscita une succession de bonheurs fugaces (et un nouveau projet) qui méritent d’être consignés ici.

J’avais signalé mon intérêt pour un court-métrage du réalisateur Pau Dalmau. Un premier contact fut suivi par une proposition de casting. J’acceptai volontiers, mais quelle ne fut pas ma surprise quand je reçus ensuite le scénario et une note m’offrant directement un rôle !
Ce jeudi soir, j’arrivai à vélo au lieu de rendez-vous, très en avance et en nage. J’avais donc le temps de me concentrer sur le texte déjà mémorisé. Interrompant un alignement de bâtiments vénérables, Carrer del Regomir, je remarquai une brèche qui semblait déboucher sur un patio. Je m’y engage et découvre l’un de ces petits paradis urbains qui adoucissent la vie à Barcelone : le Centre Cívic Pati Llimona. Cet établissement municipal comprend un ensemble de ruines romaines que l’on peut visiter. Une oasis de photographie et d’audiovisuel dans un site patrimonial du quartier gothique, un espace d’échange ouvert aux habitants du quartier et au public.

Dans ce patio, pousse un immense Carallia brachiata. Cet arbre se plaît dans les milieux humides et salés des régions tropicales, de l’Australie jusqu’aux Ghats occidentaux :
En Inde, il abrite le papillon de nuit Dysphania percota. À Barcelone, il procure ombrage et tranquillité pour répéter une scène, pour rêver au futur…
Le bonheur fut d’entendre soudain des notes égrenées sur une guitare classique. Une voix masculine chantait doucement quelques paroles. Les sons emplissaient peu à peu le patio, grimpaient le long des racines aériennes du Carallia brachiata avant de retomber en pluie fine sur les bienheureux visiteurs. Je tournai la tête. Dans un coin, était assis un homme à la barbe blanche. Il jouait pour lui, pour nous, mais sans la nécessité d’un public. C’était une offrande spontanée et généreuse. Entre le guitariste et moi, il y avait une jeune femme blonde, immobile sur une chaise. Je ne voyais que sa chevelure en cascade sur son dos. Elle semblait en méditation, enveloppée du calme qu’inspirait le chant du vieil homme. Je me laissai happer, déposai mon Murakami du moment et fermai les yeux.
De longues minutes s’étaient écoulées lorsque la jeune femme reprit connaissance. Elle rassembla ses effets personnels, se leva et avant de quitter le patio, fit quelques pas en direction du musicien. En catalan, elle lui dit combien elle avait goûté à ce moment de paix. Je m’immisçai, troisième pointe de ce triangle impromptu, et ajoutai « I tant! ». La jeune femme s’en alla ; il me restait encore du temps, je refermai les yeux et replongeai dans la bulle sonore.



Du Centre Cívic Pati Llimona au Centre Euro Àrab de Catalunya, il n’y a que quelques pas. Remercier le guitariste, franchir la brèche, rejoindre la plaça Regomir, lever les yeux vers le balcon sur lequel se tient Pau Dalmau qui me salue. J’étais si calme, presque revenu à cet état d’esprit qui m’animait au début de ma carrière. Elle semblait de retour, cette confiance inaltérable. Ou plutôt, le fantôme du Gilles d’Inde avait momentanément disparu (on en reparlera…)
Pau m’accueillit d’un sourire joyeux. C’était comme si nous nous connaissions déjà. À voix basse, il m’informa qu’une actrice auditionnait ; j’entrai donc à pas feutrés et m’assis. De dos, devant moi, la jeune femme blonde du patio. Devant elle, l’équipe du film. Alors que la scène se déroulait, je percevais les regards dirigés sur moi. On observait mon physique et mes mouvements. On confirmait en catimini, à l’oreille, que cet homme à la barbe blanche était bien le personnage imaginé. La jeune femme obtint le rôle escompté et salua à la cantonade avant de quitter les lieux.

Alors, je me levai et serrai la main des membres de l’équipe en souriant (vieux truc d’audition à l’opéra). On en vint directement au personnage :
CUENTACUENTOS (le conteur.)
Me convenait-il ? Bien sûr ; je fis toutefois part de la difficulté que représentait ce texte en espagnol, débité de plus en plus rapidement jusqu’à s’en étrangler. Pau m’offrit la possibilité de jouer le JUEZ VIEJO (le vieux juge) tout en insistant sur le fait qu’il m’avait d’emblée imaginé en conteur d’histoires, seul sur l’écran. Je suggérai donc de pouvoir écrire la suite de la scène, afin de pouvoir mémoriser mon propre texte et le répéter jusqu’à atteindre la vitesse du débit requis. Improviser face à María Hervás au Festival Grec est une chose, le faire en solo face à la caméra en est une autre. Proposition acceptée ! Ce conte-là rejoindra ceux que j’avais écrits en espagnol à Tanger.
J’avais obtenu un rôle au cinéma, sans auditionner ! Autour de moi flottait encore la musique du guitariste. Pau, tout sourire, commença à me parler du personnage. (J’avais en tête la conteuse de l’Institut arabe à Paris…) J’étais si confiant que je décidai de m’installer sur un large fauteuil, mon Murakami du moment en main, et de jouer le début de la scène. L’équipe, surprise, pivota pour me regarder. Ma voix s’élança spontanément hors de moi, riche et forte. De mémoire, et sans faute, je prononçai le texte. Un grand silence s’imposa ensuite. C’était bien lui, le conteur que Pau avait imaginé. Il n’y avait plus qu’à confirmer les dates de répétitions et de tournage, en septembre. « Adeu, tothom! » et je me retrouvai plaça Regomir.

Quel beau cadeau de la vie que ce film à Barcelone et ce conteur dans la langue de Cervantes. Surtout, que cette proposition se concrétise dans les locaux du Centre Euro Àrab de Catalunya. Leur site ouvre sur une des vues les plus emblématiques de Tanger, que j’avais utilisée dans mon conte #InAfrica El orador (l’orateur) :
Un arbre indien, un centre arabe, un souvenir tangérois. Un guitariste barcelonais, un conteur espagnol, un réalisateur catalan se rencontrent et l’histoire continue…

#HolaBCN Le guitariste et le conteur
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