Pranayama, kimchi et duende flamenco.
Peut-on prendre part à une activité sans figurer immédiatement dans un fil publié sur les réseaux asociaux ? Le Social Hub Barcelona ne semble pas comprendre la question… #HolaBCN Fermentation sociale


Tout commença par une session intitulée Queer Prana Yoga. Normalement, j’aurais levé les yeux au ciel. Cependant, après ma retraite au vert dans la campagne catalane, j’essaie de ne pas (trop) porter de jugement hâtif et je tente de nouvelles expériences. Ce dimanche-là, Gabriel était de passage à Barcelone, je lui proposai l’idée, il n’avait encore jamais fait de yoga, mais il accepta spontanément. Excellent programme (planazo, comme on dit en espagnol) qui combine yoga à 11 heures et brunch au Little Fern à 13. Que demande le peuple ?
Nous entrons dans la salle où attend déjà une bonne dizaine de personnes. Chacun, chacune s’étire et se prépare. J’avise un coin accueillant pour y dérouler mon tapis. La session est guidée par un certain Kirill Slobodianiuk. Le gars est digne d’une couverture de GQ Magazine, édition Top Ten Yoga Influencers. Un écran géant est allumé, une présentation PowerPoint figée sur la première planche.
« Namaste, namaste, etc., Aujourd’hui, nous allons parler d’anxiété. » (Attends, me serais-je trompé de salle ?)
En avant pour la présentation sur écran, avec bullet points, diagrammes, etc. (C’est là que j’ai eu envie de simuler une colique soudaine et de prendre mes jambes à mon cou, ce qui, entre nous soit dit, ressemble fort à une asana…). Il est clair que l’orateur ne maîtrise pas (encore) son sujet. Il n’en a ni les connaissances, ni la pratique, ni le talent. J’ai l’impression d’être au cours de Philosophy of Emotions de l’UPF, en nettement moins bien. Comme on notait sur les compte-rendus d’examens en Inde : « There is room for improvement. »
Pour celles et ceux que ça intéresse, voici ce qu’est une véritable présentation, niveau Masterclass :
Pendant ce temps, au Social Hub, le bellâtre lit péniblement les paragraphes copiés-collés d’une encyclopédie en ligne. Nous apprenons donc que « la vie sociale est très facile à Barcelone, que les rencontres sexuelles y sont aisées, que cette ville renforce donc l’estime de soi ». (Oui, vous pouvez lever les yeux au ciel.)
Pour qui souhaitait attirer l’attention sur la notion de toxic shame, c’est réussi… Les pieds dans le plat, avant même de les aligner en tadasana. La honte est une émotion complexe qui fait des ravages parmi les communautés dans lesquelles elle parvient à s’imposer. Au lieu de nous centrer sur notre souffle et faire travailler le corps que nous possédons ici et maintenant, voilà qu’un influencer bien doté nous fait sombrer dans le regard qui juge, qui compare.
La présentation enfin terminée, on enchaîne sur la question (primordiale, selon le Kiril) du consentement. (Accrochez-vous, ça va déraper.)
Consentement, n. m. nom masculin
Accord.
Avez-vous son consentement, est-il d’accord ?
Synonymes : acceptation, approbation.
« Faisons deux groupes, voilà. L’exercice consiste à se laisser tomber en arrière ; n’ayez pas peur, vos camarades vous soutiendront. J’insiste sur le consentement : il est formellement interdit de toucher les zones intimes, prenez aussi la peine d’indiquer tout autre endroit de votre corps que vous considérez hors limites. Tout le monde présent doit se sentir en sécurité, pour pouvoir travailler sans inquiétude. »


La photo de gauche fut publiée sans mon consentement par Kirill Slobodianiuk. J’ai recadré plus serré pour éviter que les visages n’apparaissent, ne laissant que le mien, ce qui est mon droit. Photo de droite #HolaMadrid.
Bien. Au lieu de superviser les mouvements, le Judas empoigne son téléphone portable et nous tourne autour en filmant et photographiant (en vertical, parce que c’est mieux pour les stories asociales) ! Attends mon gars, tu viens de nous bassiner avec le consentement et tu me filmes – sans mon accord – alors que je dois avoir confiance pour me laisser tomber en arrière ? Il doit bien exister une présentation PowerPoint qui te fera comprendre la vacuité de tes belles intentions…
There are too many stories of people experiencing harm and judgement in spaces that are intended for health and wellness. The focus of the Queer Prana Yoga session will be on the connection between breath, movement and the state of feeling a safe place within, which is important when dealing with the toxic shame issues, which occur all too often against the queer community. Besides common yoga postures and exercises, Kirill will bring attention to how we are doing them and what we feel. This class will not only be physical but also about the connection with yourself and self-awareness.
Comme je le craignais, les photos et vidéos furent directement publiées sur le réseau des influencers, sans mon consentement. Veni, vidi, non retornari, jamais plus. Namaste aussi.


Comme je ne suis pas rancunier, j’ai tenté une Fermented Food Masterclass au Social Hub Barcelona Poblenou. (Accrochez-vous encore, ça va dépoter.) Le kimchi, c’est bon, savoir le faire soi-même, encore mieux. (Spoiler : va l’acheter dans un supermarché asiatique du Passeig Sant Joan, c’est très bien aussi.)


Ingénu et plein d’entrain, je gare mon vélo et j’entre dans la salle. Il fallait s’y attendre : l’écran géant est allumé et nous n’avons pas encore noué notre tablier que, déjà, une ribambelle d’influenceuses nous canardent le portrait en souriant bêtement. Puis, la cheftaine lance l’inévitable PowerPoint en… lisant péniblement les paragraphes copiés-collés d’une encyclopédie en ligne. (Je profitai d’identifier la sortie de secours la plus proche.)
« Hi efryvoane (accent allemand à couper au couteau), nous allons parler de fermentation, German Edition ! Tous, fous allez préparer la Sauerkraut und les Saure Gurken !, ja? » (Alors là, j’ai failli gueuler ‘Muskatnuss, Herr Müller, MUSKATNUSS!‘, mais je me suis retenu.)
Le kimchi étant la version coréenne de la sauerkraut, et comme il fallait choisir l’un OU l’autre, j’ai sauté sur le chou blanc. (Les cornichons dont raffole ma sœur se trouvent au supermarché allemand du quartier.) Nous sommes les uns sur les autres. Il n’y a pas d’espace suffisant pour couper, trancher, râper en paix. D’ailleurs, il n’y a qu’un grand couteau, dont je m’emparai prestement. Je mis à profit la technique apprise récemment en regardant les émissions culinaires : doigts repliés et tzak tzak tzak, je débite le chou façon Masterchef. Ça n’a pas manqué, clic clic clic, la ribambelle d’influenceuses m’a canardé. Bien que je n’utilise plus ces réseaux asociaux, je dois sous doute apparaître sans consentement dans leurs flux, en yogi de-ci, en commis de cuisine de-là. La barbe.


Heureusement, la Masterclass (qui n’est même pas du niveau d’un atelier) ne dure qu’une heure, au lieu des trois annoncées initialement. J’aurais probablement appris plus tout seul, en tentant l’expérience à la maison. Mais, comme il faut être social et woke, je ne mourrai pas idiot. J’ai cependant résisté aux injonctions de la meneuse de revue qui insistait avec ses « you cut ze keukeumbers, you put also karrot, ja…, good for vitamine A ». (Pas de karrot dans mon kimchi !)
Le clou de la session fut le fou rire à peine contenu en entendant la phrase :
And zen…, you put in ZE BRINE !
Allez, je me casse.


En sortant du Social Hub, je remarquai un cantaor qui semblait donner cours en plein air. Un guitariste rangeait son instrument, un autre accordait le sien. Le professeur lança une phrase, l’élève répéta la mélodie. Sous un ciel crépusculaire, mon petit pot de kimchi dans mon sac, je m’immergeai en silence dans ce duende flamenco impromptu…

#HolaBCN Fermentation sociale
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