#HolaBCN Se remplir de vide


J’avais promis un voyage de Madrid à Cadix, des Golfos aux Bulerías, de Rocío Jurado à Tomatito. Alors, voici… #HolaBCN Se remplir de vide

Quand nous serons arrivés à Cadix, Quiñones nous accueillera, pieds nus © 2021 Gilles Denizot

Après deux consultations médicales, dans deux lieux différents, pour deux pathologies différentes, je suis sorti épuisé, face à ce modèle biomédical III (Humanitats i Salut) qui déshumanise le patient. Cela faisait depuis avril dernier que j’attendais de rencontrer un médecin, d’obtenir le compte-rendu d’une radiographie et, enfin, la prise en charge d’une douleur chronique. Le face-à-face avec le traumatologue fut stérile. Enfin, face-à-face, c’est vite dit : le médecin du XXIe siècle passe plus de temps à tapoter sur son clavier d’ordinateur qu’il ne regarde l’être humain face à lui. Quant à le toucher, le palper, c’est devenu une pratique du siècle dernier.

Alors, je suis sorti déçu et fatigué, mais pas en colère. Je ne suis plus en colère, je consume cette colère en dansant. Cependant, je ressens encore ce feu intérieur face à une injustice. Avant, quand j’étais énervé, je chantais Die Frist ist um (Der fliegende Holländer, Wagner). Maintenant, je tape dans les mains, je tape des pieds, j’ai les poils qui se dressent en écoutant du flamenco. Cela exprime de façon plus adéquate mon sentiment interne : le feu, la dignité, le cri, le souffle long. En fin de compte, c’est ma manière de tourner en dérision les vicissitudes. On retrouvera ce sentiment dans l’Acte IV de Carmen

Dans Ma note finale (sur 100), je mentionnais cette phrase « Don’t be afraid ». Aujourd’hui, je poursuis en espagnol, avec le terme Bulería.

Comme on l’apprend grâce au site flamenco plus (une ressource formidable découverte durant le cours Cante Flamenco Tech, 2.ª edición, 2020, Universitat Pompeu Fabra), la bulería est devenue depuis le dernier tiers du XXe siècle le style le plus populaire parmi les flamencos et le grand public. Dans les années soixante-dix, Camarón et Paco de Lucía (que j’écoutais toujours en remontant le long du cimetière pour aller à mon cours d’espagnol à l’Instituto Cervantes de Tanger) ont fait passer la bulería au ‘no más va’, en apportant d’innombrables éléments qui ont surtout enrichi le rythme du style et du flamenco en général. En passant, j’adore cette expression ‘al no más va’ qui désigne le meilleur qui puisse exister, être imaginé ou désiré.

Les musiciens classiques identifieront son rythme spécifique quand on leur parlera d’hémiole, l’insertion d’une structure rythmique ternaire dans une structure rythmique binaire, ou inversement. Elle apporte une sensation hispanique que – par exemple – Ravel utilise dans sa Chanson romanesque, la première du cycle Don Quichotte à Dulcinée (¡Hola, Cervantes!), dès les deux premiers vers :

Si vous me disiez que la Terre (2-2-3)
À tant tourner vous offensa (2-2-3)

Quant aux musiciens de jazz, c’est tout bonnement le swing. Comme quoi, il y a toujours beaucoup plus de similitudes que de différences.

Revenons aux vicissitudes… Le nom bulerías vient du mot espagnol burlar, qui signifie « se moquer », ou bullería, qui signifie « vacarme ou cri ». Dans le lexique de la tauromachie (abordé hier dans Los golfos de Carlos Saura), burlar s’emploie pour décrire comment le toréro esquive la charge du taureau. Dans le duo final de l’Acte IV de Carmen, l’héroïne fait exactement cela face à José, jusqu’à l’accélération finale (« Où vas-tu ? / Laisse-moi ») quand on sait que l’inévitable est déjà écrit. José a beau supplier, dire qu’il donnerait tout pour recommencer, « jamais Carmen ne cédera : libre elle est née, et libre elle mourra. »

La supplique de José ressemble fort aux paroles ‘Que no daría yo, por empezar de nuevo…’, une bulería de Rocío Jurado, qui fut la grande cantaora de Cadix. Fernando Quiñones (dont la statue du bout du malecón, ‎⁨Playa de la Caleta, le représente pieds nus) avait souligné que la bulería de Cadix apporte toujours une légère touche indienne dans l’esprit et l’esthétique de cette ville, et qu’elle est plus vivante que celles d’autres localités. Cela donne un ¡Ay! impressionnant pour lancer le couplet… 

Hasta sentir el beso de la madrugada…

Avez-vous vu comment la jeune chanteuse placée juste derrière Rocío Jurado la regarde ? Et cette phrase, ‘Hasta sentir el beso de la madrugada’ (Jusqu’à sentir – ou entendre – le baiser de l’aube… merveilleux.)

La même intensité admirative du regard, chez le guitariste Tomatito, dans cette version :

Rocío Jurado et Tomatito

La bulería est question de rythme. Tomatito (qui débuta avec Camarón et Paco de Lucía) incorpore précisément des éléments de jazz dans son style de flamenco ; tous deux, dit-il, « sont apparus comme une réponse à la discrimination, un cri de souffrance ou la joie de la libération ». En voilà un exemple phénoménal :

Extrait de Rito y Geografia del Toque

Comment en suis-je arrivé à Tomatito ? Parce que mon ami Juan, revu hier soir à la FilmoTeca durant Los golfos a un petit air de ressemblance avec le prodige de la guitare flamenca.

Avant, quand j’étais énervé, je chantais Wagner. Maintenant, je danse du flamenco ou de l’ecstatic. Je sors justement de la première session de l’année. C’était tellement bon, j’ai brûlé toute la fatigue, la déception et toute la colère qui commençait à poindre… J’étais fatigué, je ne le suis plus. Tout cela m’a mis le feu, une énergie vive et saine.

Comme a dit Paco (le DJ de la session) ce soir : ‘me lleno de vacío’ (je me remplis de vide, j’adore aussi.)

J'ai la chair de poule en entendant le ¡Ay! lancé par la cantaora Rocío Jurado

#HolaBCN Se remplir de vide


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