C’est #VendrediLecture sur Mastodon, alors je choisis deux extraits de 1Q84 de Haruki Murakami dans lesquels je me reconnais… #HolaBCN Ce que je dois dire

Le premier, m’a rappelé ce temps étrange durant lequel je ne parvenais pas à dire ce que j’avais besoin de dire.
« I wonder if I can do it. »
« Do what. »
« If I can say what I need to say. »
Je me demande si je peux le faire.
Faire quoi.
Si je peux dire ce que je dois dire.
Cela avait commencé en 2016, après avoir été bloqué en Europe, sans pouvoir rentrer en Inde. J’étais parti en Afrique et le voyage en solitaire m’avait permis d’éviter de devoir m’expliquer. Je ne voulais plus parler, j’avais donc pris pour habitude de choisir une photo par jour et de la partager sans légende, en indiquant ma position sur la carte. Je n’étais toutefois pas resté muet et chaque rencontre m’avait donné l’opportunité de parler aux personnes rencontrées sur le chemin. Au 70ᵉ jour, arrivé à Conakry, j’étais à nouveau prêt à dialoguer. Au bord de l’océan, le soir venu, le silence faisait place à des dialogues en tête-à-tête avec l’amie qui m’accueillait. C’est ainsi que j’étais « passé du silence d’Abramović à la communication de Baldwin ».
Cette sensation effrayante d’être incapable de vraiment dire ce que j’avais au fond du cœur m’a poursuivi plusieurs années. J’étais capable d’engager des conversations ou d’y participer, mais dès que le sujet concernait l’Inde, les mots ne sortaient plus, ou en désordre, en logorrhée confuse. J’ai récemment compris que cette condition agissait comme un couvercle fermement maintenu sur un chaudron brûlant. Le feu persiste, la température grimpe, l’explosion est imminente. La colère prenait le dessus, comme seul soulagement possible.
Parti en Afrique pour rester silencieux, je suis rentré en Europe avec des choses à dire. J’ai alors commencé à raconter le voyage, en allant au-delà de la simple énumération des lieux visités, des gens rencontrés, des mets dégustés. Durant les dix premiers mois de 2017, j’ai publié dans ce journal 102 billets, soit plus de 72’000 mots. L’année dernière, j’ai retrouvé le même rythme et produit 101 billets. Le processus d’écriture m’a été bénéfique, même si j’ai souvent eu l’impression de lancer tout cela aux quatre vents, sans être certain d’être lu ni entendu par le plus grand nombre. Cependant, il est certain que cet exercice est d’abord pour moi, pour continuer à exister. Introspection forcée, probablement bénéfique, certainement transformatrice.
Où se situe cette transformation ? Sur le terrain de l’identité. Celui que j’étais jusqu’en juin 2016 n’étant plus, il ne me restait que deux options : en finir complètement ou écrire une nouvelle histoire. Peu à peu, c’est la deuxième solution qui s’imposa.
À l’université, en cours de Philosophy of Mind, j’explorai Le soi et l’identité personnelle. Je retrouvai Locke (étudié en Étique et Philosophie Politique) et découvrais Hume, Ricœur et Strawson, mais surtout Susan James et son essai « The Question of Personal Identity », (2022).
Dans le roman de Murakami, voici que je tombe sur ce passage :

Tengo dit : « Quand j’écris une histoire, j’utilise des mots pour transformer la scène environnante en quelque chose de plus naturel pour moi. En d’autres termes, je la reconstruis. De cette façon, je peux confirmer sans aucun doute que cette personne « moi » existe dans le monde. […] »
« Tu confirmes que tu existes », dit Fuka-Eri.
« Je ne peux pas dire que j’y parviens à cent pour cent », dit Tengo.
Fugace notion du « moi » et de ce que je dois dire…

#HolaBCN Ce que je dois dire
En savoir plus sur de ci, de là
Subscribe to get the latest posts sent to your email.