#HolaBarcelona — Journal de mai

En mai à Barcelone, un ciel mandarine et un calendrier qui vire au rouge…


Voici #HolaBarcelona — Journal de mai

#HolaBarcelona — Journal de mai

Au cinéma — #HolaBarcelona Journal de mai

Un aller-retour à Perpignan pour me faire inoculer la dose de rappel Covid et je continuai mon voyage à travers le cinéma asiatique… Un film chinois, pour commencer : Chun jiang shui nuan, de Gu Xiaogang · 2019 · 150’

Chun jiang shui nuan, de Gu Xiaogang · 2019 · 150’

Le destin d’une famille s’écoule au rythme de la nature, du cycle des saisons et de la vie d’un fleuve, sur 2 heures 30… Chun jiang shui nuan, présenté en clôture de la 58e Semaine de la Critique à Cannes, est le premier de la Trilogie de Peinture Chinoise en Rouleau Mille Miles le long de la Rivière Yangtsé. Je ne suis pas certain d’aller voir les deux prochains rouleaux ; c’est interminable, c’est chinois, ça gueule beaucoup. Autant, je peux m’engloutir cinq heures de Wagner, autant au ciné, si le film dépasse les 90 minutes, il faut vraiment que ce soit sensationnel pour que le temps passe inaperçu. Bon, j’avoue : la production complète des Troyens (Berlioz) que j’ai chantée plus de fois que je ne l’aurais souhaité à l’Opernhaus de Zurich était toute une odyssée (La Prise de Troie le matin et Les Troyens à Carthage le soir, les travailleurs du dimanche reconnaissants). Berlioz écrivit qu’il était tourmenté par l’idée d’un vaste opéra ; vaste, ce n’est rien de le dire. À titre de comparaison, 2 heures 30 de Chun jiang shui nuan, c’est à peu près Il barbiere di Siviglia. (Ce journal s’annonce prolixe… NDLR.)

Bref. La Chine, je n’ai jamais compris… le Japon, beaucoup plus. Après Umimachi Diary et Ichimei, suivront deux autres films de l’Empire du soleil levant (je préfère aussi l’aube au crépuscule, ça tombe bien) :

Gûzen to sôzô, de Ryûsuke Hamaguchi · 2021 · 121′

Gûzen to sôzô, de Ryûsuke Hamaguchi · 2021 · 121′

Grand prix du jury à la Berlinale 2021, le film réunit trois courtes histoires successives : un triangle amoureux inattendu, un piège de séduction raté et une rencontre qui résulte d’un malentendu, trois mouvements pour dépeindre trois personnages féminins et retracer les trajectoires entre leurs choix et leurs regrets.

Le voyage se terminera par Haruharasan no uta, de Kyoshi Sugita · 2021 · 120’ — Grand Prix du FIDMarseille 2021.

A story of grief told with the lightest of brushstrokes, écrira James Hadfield pour le Japan Times. Un pur poème cinématographique, fondé sur un tanka de l’écrivain Higashi Naoko : 

Gazing Upon / the Address Unknown stamp / The recorder / Played by Mr Haruhara.
Haruharasan no uta, de Kyoshi Sugita · 2021 · 120’

Le réalisateur, né à Tokyo en 1977, confie : « Mes scénarios sont remplis de secrets, mais aucun des acteurs, à commencer par Chika (Araki, rôle principal), ne m’a demandé quoi que ce soit sur les répliques. » 

« Lorsque vous dépeignez des personnages dans un film, vous ne pouvez pas dépeindre tout ce qui leur est arrivé, mais vous pouvez dépeindre quelques secondes ou minutes choisies. Ces quelques secondes permettent de saisir les raisons pour lesquelles le personnage agit d’une certaine manière. Si, à un moment donné, quelqu’un appelle ce personnage par-derrière et que celui-ci ne se retourne pas pour regarder, il doit y avoir une raison à cela. Il est peut-être perdu dans ses pensées au point de ne pas pouvoir réagir, ou bien il ne fait pas attention parce qu’il est fatigué. Ou peut-être qu’ils peuvent dire qui c’est juste à la voix, et qu’ils ne veulent pas les voir parce qu’ils se sont disputé la veille. Quelle que soit la raison, cela doit se voir dans le dos de cette personne. Le passé d’une personne se reflète toujours dans son apparence actuelle, d’une manière ou d’une autre. C’est pourquoi plus vous remplissez l’intérieur d’un cadre de choses à décrire, plus vous pouvez laisser libre cours à vos pensées sur ce qui se passe à l’extérieur du cadre. Je pense que c’est une raison suffisante. »

« Ce qui est tout aussi important, c’est que, même en admettant que vous connaissiez des événements du passé de quelqu’un, il n’y a aucune raison que cela vous permette de comprendre facilement cette personne. Même si vous en savez beaucoup sur le passé d’une personne, celle-ci reste une énigme. Tout le monde reste une énigme jusqu’à la fin de sa vie. »

Je vous en ai déjà trop révélé…  Allez voir ce film, ou qu’il reste à tout jamais une énigme.

Pour se rincer la bouche, toujours à la FilmoTeca, rien de mieux que de revoir un film français : 

On connaît la chanson, d’Alain Resnais · 1997 · 120’, la bande-annonce vaut son pesant de caramels mous :

On connaît la chanson, Alain Resnais · 1997 · 120’,

Au restaurant — #HolaBarcelona Journal de mai

Quand les amis viennent faire un tour par Barcelone, c’est l’occasion de les emmener dans mes restaurants favoris ou d’en découvrir de nouveaux. Le brunch au Little Fern est un plaisir rare (partagé avec Muriel en septembre dernier), mais toujours fiable. Situé dans un coin ensoleillé de mon quartier de Poblenou, ce café de style néo-zélandais propose des plats à base de plantes, inspirés de cuisines du monde. Avec un peu de chance, vous pourrez vous installer sous les arbres et déguster leur phénoménal Avocado Smash (avec grilled halloumi, parakalo!) et, de retour à la maison, leur liste de musique sur Spotify vous maintiendra dans l’ambiance…

En revanche, n’allez PAS au Can Dende ! Enfin, vous faites ce que vous voulez mais, c’est coûteux, l’attente est interminable, le service désagréable et les plats, mauvais. La critique du Barcelona Food Experience date déjà de plus de deux ans ; le chef a peut-être changé… Toujours est-il que l’expérience s’est soldée par un passage direct aux toilettes (malgré leur limonade maison au gingembre et curcuma, une épice efficace contre les… troubles gastro-intestinaux). Cinq ans en Inde, à manger avec les doigts sur le bord des routes, et pas un problème gastrique ; jamais non plus dans les maquis durant #Off2Africa (notamment à Conakry) ou #Off2Sudamérica. Alors, le Can Dende, jamais plus non plus.

Pour ne pas rester sur une note scatologique (dont les Catalans raffolent pourtant), je vous emmène découvrir une pépite gastronomique dans le quartier de Gràcia : le Santa Gula ! Pour le coup, Barcelona Food Experience ne s’est pas trompé, leur critique qui date de plus de trois ans est toujours valable. Le menu suit le rythme naturel des saisons et le chef, Martín Marchese, incorpore dans ses créations les produits du moment qui enrichissent ses recettes de style méditerranéen avec de petites touches internationales, résultat de la nature itinérante des créateurs de cet espace.

Tout a été impeccable, l’accueil, le service, l’attention aux détails, la compagnie et les plats ! Voilà l’aubergine fumée et laquée à la feta crémeuse et aux herbes asiatiques ; voici le thon tataki, avocat, mangue, sauce teriyaki et émulsion au wasabi ; enfin, la ganache au chocolat 70 %, huile d’olive et toasts. C’est à se damner…  

Au sortir du Santa Gula, j’avais prévu une surprise à proximité, partagée avec 47 000 personnes (et mon masque, parce que Covid était probablement dans le coin aussi) : l’artiste numérique Refik Anadol fit entrer l’héritage de Gaudí dans le futur avec une projection sur la façade de la Casa Batlló. Visible — sur écran – au Rockefeller Plaza de Manhattan, Living Architecture a été la seule œuvre d’art numérique à être vendue aux enchères chez Christie’s le 11 mai 2022, pour un prix final de 1,38 million de dollars… Moi, je l’ai vue gratuitement — pas sur écran – et c’était spectaculaire !

Living Architecture

Au musée — #HolaBarcelona Journal de mai

Gratuit également le dimanche à partir de 15 heures, le Museu del Disseny de Barcelona, à 5 minutes de la maison. (Si vous avez commis l’erreur Can Dende, le musée dispose de toilettes au design avenant…) J’y ai apprécié la nouvelle exposition permanente Objectes comuns. Històries locals, debats globals et la présentation temporaire (jusqu’au 24 juillet) Fornas. La imatge de la Catalunya dels 60. Très instructif, après L’underground i la contracultura a la Catalunya dels 70: un reconeixement, que j’avais vue en octobre au Palau Robert. Puis j’y ai aussi retrouvé de grands artistes catalans, étudiés en classe ce trimestre.

Un dimanche au Museu del Disseny de Barcelona

L’un de mes musées favoris à Barcelone est la Fundació Antoni Tàpies, j’en parlais en novembre. À l’occasion du festival #BCNPoesia (du 11 au 18 mai 2022), la fondation proposa une visite poétique (gratuite) intituléeTàpies i la malenconia

Deux poétesses éminentes, Rosa Font Massot et Susanna Rafart, furent nos guides à travers l’exposition éponyme du moment (jusqu’au 25 septembre). Leur sélection de textes sur les thèmes de la mort, la vieillesse ou le passage du temps évoquèrent un état sombre, mais doux. Si j’avais baigné dans la mélancolie en mars, deux mois plus tard, c’est une tout autre sensation qui m’anime. Je ne comprends pas toutes les finesses de la langue, mais j’aime de plus en plus la poésie et, après une centaine d’heures de cours de catalan à la CPNL, je saisis tout de même bien la majorité de ce qui se dit. Ensuite, dans la poésie comme dans la musique, il n’est pas nécessaire de tout comprendre, il suffit de ressentir. J’ai en particulier été touché par Rosa Font Massot, écrivain et professeur de langue et littérature catalanes, née à Sant Pere Pescador en 1957. Son œuvre poétique s’inspire du monde de la nature, en particulier du paysage de son enfance à l’Empordà, de petits moments de la vie quotidienne, et aspire à en capter les instants lumineux — mais également les plus sombres — afin de les partager avec les lecteurs : « Je dis toujours que j’écris parce que j’aime les mots, mais surtout parce que, pour moi, écrire c’est exister. »

Ça me rappelle le niveau Bàsic 1 de catalan…

Nous passons de salle en salle et les voix des poètes font écho aux œuvres souvent monumentales de Tàpies. Devant Parla, parla (techniques mixtes sur bois, 200 × 300, 1992), Rosa Font Massot lira des extraits de son dernier ouvrage, Esquerda, (2022). [əskɛ́rdə] n. f. : fente, lézarde, fêlure, fissure. Cette esquerda surviendra à la mort de sa mère, la douleur de la perte, du deuil, de l’absence :

I

Damunt de les parpelles, aigua.
I sal damunt del pit.
Pa i raïm a les mans,
als peus, terra.
Falten deu minuts encara.
Els ulls es vessen sobre el camp.

Sents les campanes?
Fan passos curts. Gemeguen.
Les sents?
Falten deu minuts encara.
I els teus ulls es vessen sobre el camp.
Sents les campanes, mare?


Sur les paupières, de l’eau.
Et du sel sur la poitrine.
Du pain et des raisins dans les mains,
aux pieds, la terre.
Il reste encore dix minutes.
Les yeux débordent sur le champ.

Tu entends les cloches ?
Elles font des pas courts. Elles gémissent.
Tu les entends ?
Il reste encore dix minutes.
Et tes yeux débordent sur le champ.
Tu entends les cloches, mère ?

(La Mercè, sisplau, tu voudras bien corriger ma tentative de traduction…)

Alors que Rosa Font Massot égrainait ces lignes ténues, à fleur de peau, une jeune femme s’appuyait sur une dame âgée (sa mère ?) et lui caressait l’épaule en silence ; la salle s’emplit d’une douceur infinie qui acheva de m’emporter… Je m’échappai en descendant la Rambla de Catalunya jusqu’à mon cours de catalan. La Carme ne le sait pas encore, mais je crois bien que son cadeau de fin d’année va être Esquerda

Au concert — #HolaBarcelona Journal de mai

La poésie chantait aussi dans le bel Auditori Eduard Toldrà du Conservatori municipal de Música, lors d’un concert #BCNpoesia heureusement gratuit. Je retiendrai toutefois le compositeur Jordi Vilaprinyó (mélodies sur des poèmes de Tomàs Garcés ou Joaquim Ruyra, qu’il accompagne lui-même au piano). Ne me demandez pas de détailler les textes sélectionnés. Les présentateurs liront chaque poème, je comprendrai tout ; en version chantée, je n’entendrai que hululements inintelligibles, ce qui pour un festival de poésie est tout de même navrant. (Encore un autre conservatoire dans lequel je ne vais pas me faire des amis, mais bon, Què hi farem!, comme on dit à Barcelone.) Vous ne me croyez pas (ou vous brûlez d’entendre de la mélodie catalane contemporaine) ?, cliquez ici

À deux pas du Museu del Disseny se dressent les bâtiments de l’Auditori et du Teatre Nacional de Catalunya. Je m’y rendrai à trois reprises. Commençons par le concerto pour flûte de Jacques Ibert et le très séduisant soliste de l’OBC / professeur / compositeur (également excellent pianiste quand il accompagne sa sœur chanteuse) Francisco López. Un son d’une pureté fabuleuse, une virtuosité ébouriffante qu’il développa dans deux bis (arrangements personnels) : Asturias (Albéniz) et La Canción del Fuego Fatuo (de Falla), que j’écoutais toujours à Tanger en allant à mon cours d’espagnol… Au-delà de la technique, il y eut surtout ce je-ne-sais-quoi de sensualité dans l’Andante, une invitation à une sieste gourmande dans une chambre dont les persiennes laisseraient entrer juste assez de soleil et de brise… Usted dirà:

Invitation à une sieste gourmande

Il suivit la 7e Symphonie d’Anton Bruckner, wagnérienne à souhait, que Kazushi Ono dirigea de mémoire. J’étais finalement convaincu, il me fallait réserver un billet pour le dimanche suivant : la 2e de Mahler, ultime concert du chef à la tête de l’Orquestra Simfònica de Barcelona i Nacional de Catalunya (OBC).

Was entstanden ist
Das muß vergehen!
Was vergangen, auferstehen!

« Ce qui est né doit disparaître ! Ce qui est passé doit ressusciter ! »

Quand ces mots prophétiques sont portés par les voix de l’Orfeó Català, à quelques mètres de votre siège, l’expérience devient inoubliable et fait ressurgir d’autres souvenirs. Observer Kazushi Ono déposant sa baguette sur le pupitre (après 80 minutes de musique) me remémora le dernier concert de Paul Strauss, directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liège de 1967 (l’année de ma naissance) à 1977. C’est à Paul Strauss que les Liégeois doivent la découverte de plusieurs compositeurs qui n’avaient jamais été joués à Liège, comme Bruckner et Mahler… Regardez plutôt ce document exceptionnel, tourné à la Salle Philharmonique.

Anyone who can read the Ninth Symphony knows that Beethoven stopped writing certain parts because he didn’t have the notes on the instruments. If he had had the notes, he would have written them. It’s obvious! Why should we not take advantage of it? I don’t want to hear what Beethoven heard. First of all he was deaf, and secondly, probably what he heard made him furious. I can’t imagine the first orchestra that played the Ninth Symphony is the equal of the great orchestras played today. I want to hear those pieces played by present day orchestras. (Paul Strauss in a conversation with Bruce Duffie, Chicago, August 4, 1986)

Toute personne capable de lire la Neuvième Symphonie sait que Beethoven a cessé d’écrire certaines parties parce qu’il n’avait pas les notes des instruments. S’il avait eu les notes, il les aurait écrites. C’est évident ! Pourquoi ne pas en profiter ? Je ne veux pas entendre ce que Beethoven a entendu. Tout d’abord, il était sourd, et ensuite, ce qu’il a entendu l’a probablement rendu furieux. Je ne peux pas imaginer que le premier orchestre qui a joué la Neuvième Symphonie soit l’égal des grands orchestres d’aujourd’hui. Je veux entendre ces morceaux joués par les orchestres d’aujourd’hui.

En septembre 2001, Paul Strauss avait choisi l’OPL pour son concert d’adieu, avec… la Neuvième Symphonie de Beethoven. Qui eut l’insigne honneur de chanter la partie de basse solo ? (Merci JP) Je vous le donne en mille. Ce fut juste après les attentats du 11 septembre, j’ignorais si j’allais réussir à m’échapper de New York (où je peaufinais mon O Freunde, nicht diese Töne ! Sondern laßt uns angenehmere anstimmen et surtoutund freudenvollere, que je tenais à chanter d’un seul souffle), mais quand les aéroports rouvrirent, je parvins à trouver un vol pour Amsterdam et me présenter à temps pour la séance de travail avec Paul Strauss et mes collègues. Je n’oublierai jamais les mots du chef à la fin de cette répétition… Les participants du dernier concert avec Kazushi Ono se souviendront comme moi de l’occasion. Il fut fêté comme il se doit, le public et les musiciens applaudissaient à tout rompre ; plaisir de voir que, parfois, le travail est reconnu et apprécié.

À l’opéra — #HolaBarcelona Journal de mai

J’ai fait le grand écart entre Galuppi (1706-1785) et Berg (1885-1935), quelle souplesse ! 

Au Teatre Nacional de Catalunya tout d’abord le spectacle gratuit de La Bottega d’Opera de l’Escola Superior de Música de Catalunya, dont les élèves présentent Il filosofo di campagna (1754). Beaux moyens mis en œuvre pour ce projet d’études, en particulier l’orchestre sous la direction (depuis le clavecin) de Dani Espasa. Déjà reconnu ici et ailleurs, un nom à suivre ! La mise en espace, en revanche, est faible quand la gestuelle des chanteurs est horripilante. Passons. De belles voix en gestation (Maria Monzó Pitarch, Eugenia), mais la plupart ne mûriront probablement pas (Alejandro López Amado, Rinaldo, si tu lis ceci : ¡Llámame! Truca’m! Bref, appelle-moi, je t’expliquerai comment soutenir une voix de ténor dramatique…) Que hi farem, bis… 

Wozzeck (Alban Berg, 1925) figure parmi mes cinq opéras préférés. Je garde d’ailleurs en mémoire une version exceptionnelle au Teatro Real en 2013. Toujours à Madrid, mais en janvier 2021, la création du pendant féminin de l’ouvrage de Berg, Marie, m’avait laissé un goût âpre dans la bouche et me rappellera une production de La Traviata que j’avais chantée en France. Dans les deux cas, il m’a semblé que les metteurs en scène y amalgamaient leurs propres fantasmes sexuels plutôt que d’en proposer une lecture honnête et puissante. Le sado-masochisme et la nudité gratuite à l’opéra, c’est tellement XXᵉ siècle… À Tanger, cette fois, Mirage baignait dans un même réalisme de la souffrance du personnage principal et un naturalisme sous une chape de soleil, au milieu de ruines, dans des champs qui s’étendent à perte de vue. Le film se termine sur Mohamed et sa femme sur la plage ; chez Berg/Büchner, le soldat rendu fou tuera Marie d’un coup de couteau qu’il jettera dans une mare. Il s’y noiera ensuite, sous une lune rouge sang, alors qu’il tente de laver les traces (et le souvenir ?) de son crime.

La version du Liceu (que les Parisiens ont pu voir avant nous) m’a laissé… assoiffé. Je n’avais pas trouvé ce que je viens chercher dans toute production de Wozzeck, depuis une inoubliable pièce de Büchner au Théâtre de la Colline, en passant par mon travail sur le rôle titre avec Willy Decker. J’ai compris pourquoi en lisant les explications de William Kentridge (qui ne fit que passer à Barcelone pour assister aux répétitions entre un aller-retour à New York où il reçut une distinction universitaire, alors que l’on râle sur Alagna) :

« Ce que l’opéra m’offre, ce sont des écrans à projeter et l’espace physique des acteurs. Vous pouvez me considérer comme un metteur en scène employé par un opéra, mais je préfère me voir comme un artiste à qui l’on offre une toile de 70 × 40 mètres. De plus, ils me proposent les meilleurs chanteurs à mettre devant mes dessins, puis un orchestre de quatre-vingts musiciens, un directeur musical et un chœur, plus l’éclairagiste ? Pour ma part, c’est l’occasion de faire un dessin animé à grande échelle. »

Tout est dit. Alors, oui, comme à la création à Salzburg en 2017 (également avec Matthias Goerne), il s’agit d’une production habilement construite, qui joue avec nos perspectives. C’est au public qu’il appartient de décider si les images sont des flashbacks d’un Wozzeck troublé par la guerre ou un présage Büchner-esque des horreurs à venir. Il en va de même pour la question de savoir s’il faut considérer la production comme essentiellement réaliste ou comme une représentation du contenu de l’esprit troublé de Wozzeck, Kentridge nous incitant à prendre cette dernière voie lorsqu’une armoire s’ouvre sur une représentation cauchemardesque de la scène dans laquelle il est tourmenté par le Docteur. Et pourtant, malgré tous les détails artistiques, il s’agit fondamentalement d’une conception simple, dont la principale force réside dans la clarté avec laquelle l’intrigue est présentée.

« Ce n’est pas seulement le destin de ce pauvre homme, exploité et tourmenté par le monde entier, qui me touche de si près, mais aussi l’intensité sans précédent de l’ambiance et des scènes individuelles. »

Lettre d’Alban Berg à Anton Webern, 19 août 1918

Matthias Goerne confia que « Wozzeck n’est pas la victime, ici, la vraie victime est Marie. Wozzeck est l’agresseur, même s’il a eu une vie misérable. »

Mais, dans cette histoire de violence masculine où l’homme tue sa femme, se suicide et laisse un enfant abandonné — le tout dans un contexte militaire — le personnage du fils est joué par une marionnette. Kentridge : « Le public peut voir comment c’est traité, mais, si c’est bien fait, quand ça bouge, ça nous touche, on ne peut pas exclure que ça prenne vie, on sait que c’est un objet, mais à ce moment-là, ça devient réel. » Peut-être, mais la marionnette façon Tim Burton ne m’a pas donné l’émotion réelle de voir cet orphelin abandonné sur le plateau et encore ignorant de sa propre tragédie, pendant que le hautbois et le xylophone accompagnent ses Hop ! Hop ! insouciants…

Si l’enfant était la véritable victime ?

Avec Mimi — #HolaBarcelona Journal de mai

Je vis dans une bulle à Barcelone… seul en bord de mer, parfois plus loin. Le mois prochain, je tenterai de flotter jusqu’à New York. Un lointain voyage qui m’angoisse en particulier, même après d’innombrables reprises. Mais, cette fois, nous nous souviendrons en musique de mon amie et partenaire de trente ans, Mimi Stern-Wolfe. Le 12 juin, ses plus fidèles collaborateurs donneront une représentation en sa mémoire, je me devais d’y chanter. Mes partitions annotées sont toujours en Inde ; j’en ai reçu de nouveaux exemplaires, vierges. Je rencontrerai une autre pianiste, pour ce qui sera mon premier concert depuis des années, peut-être mon ultime. L’avenir le dira…

#HolaBarcelona Journal de mai 2022


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