Silence NC2 © GILLESDENIZOT 2019
histoires, silence

Silence NC2

Journal de l’éloignement – Ce matin, mon œil a surpris ce qui semblait être une feuille morte…

et dont la page se tourne la nuit.

qui s’écrit le jour

Un journal de l’éloignement


La veille, déjà, se percevait un changement : l’étau qui se desserre, le souffle moins entravé. Profiter de ce sursis. Dormir enfin. Le temps se modifie aussi à Tanger ; ce matin, le ciel était blanchâtre, laiteux, plus tendre. Sensation moins violente, plus sournoise. Le manque sans l’ingrédient de panique, quand tu commences à comprendre, à froid, que c’est fini. Qu’il vit et vivra dans le même monde mais que vous ne le partagerez plus. Un impensable, inconcevable désert humain.

La longue absence… mais aussi les multiples moments d’irréalité qui surviennent tout au long de la journée, comme lorsqu’on s’arrête sur une marche et que l’esprit se vide de tout, d’un trait. C’est un vertige, un trou d’air en avion. Tu le ressens pourtant comme une bulle, comme être à l’intérieur d’une bulle. C’est doux, moelleux et ça protège, les sons de l’extérieur s’éteignent ; une pulsation familière emplit et anime la bulle dans laquelle tout est comme avant. Tu reconnais tout. C’est une plongée dans un monde sensoriel inouï :

Le grain de sa peau
L’espace physique qu’il occupe
Sa façon qu’il avait de basculer la tête en arrière et de la poser sur mon épaule pour signaler son bien-être
Le temps qui s’arrête, que tu aurais dû arrêter tellement plus souvent (Reproche ? Note pour le futur ?)
Ses mains, ses doigts sur les tiens, l’anneau
Son odeur discrète

L’inspirer

La bulle éclate, te met le corps à nu ; ces sensations t’assiègent et cette phrase ricane au loin : « Je n’ai plus envie d’être en couple avec toi. »

Envie

Ce matin, mon œil a surpris ce qui semblait être une feuille morte… Instantanément, l’image qui m’assaille est celle de feuilles de tabac ; sa mère cultivait un plant dans le jardin, en récoltait les feuilles et les faisait sécher. (J’avais moi-même déplacé l’étendoir au soleil.) L’irruption de ce souvenir était si inattendue que j’ai même perçu les veinures des feuilles et la couleur de la lumière. Sa mère venait régulièrement s’assoir à la table du jardin. Elle amenait avec elle une boite en plastique contenant tout le nécessaire pour rouler des cigarettes. Les gestes étaient souples, les feuilles de tabac hachées menu, le papier qu’elle insérait dans la petite machine à rouler, le tabac qu’elle enfouissait, le tour de roue entre les deux pouces, le coup de langue et la cigarette sortait de l’engin. Je regardais fasciné par l’absolue concentration produite et la sérénité de l’occasion.

La vie est là, dans cette bulle