Silence NC6 Journal de l'éloignement
histoires, silence

Silence NC6

Puisque je n’ai plus à accepter un itinéraire à deux et que tu as choisi le tien, je suis libre…

et dont la page se tourne la nuit.

qui s’écrit le jour

Un journal de l’éloignement


La photo était si étrange que je me suis arrêté pour l’étudier. Un grand mur blanc sur lequel avait été construit (plus exactement, était accolé) un escalier, également blanc. La scène était inondée de soleil. Quelque chose avait attiré mon regard et enfin je compris : il n’y avait aucun accès à l’escalier, ni par la première marche, ni par la dernière. L’escalier est littéralement collé au mur, il perd donc sa fonction essentielle : offrir une suite de marches pour monter ou descendre. Beau et inutile.

Il me semble qu’on pourrait tout à fait vivre ainsi, solitaire dans sa bulle. Ni sortie, ni entrée, ni descente, ni montée. Vivre dans le souvenir et ne pas s’en échapper. Non ? Ou à tout le moins déclarer « Maintenant, je vais profiter de ces derniers jours et ne pas me compliquer la vie pour prendre une décision. Plus tard, j’aurai le temps de choisir. »

Je suis venu à Tanger sans savoir pourquoi. La première fois, le 25 novembre 2017, je croyais être en route vers l’Amérique du Sud mais la vie me plaçait là et m’offrait l’apprentissage de l’espagnol puis notre rencontre et enfin le voyage #Off2Sudamérica à deux. La seconde fois, le 31 mars 2019, je croyais être en visite en attendant de te retrouver en Espagne. Mais la vie me ramenait là pour que j’aie un toit quand le ciel allait me tomber sur la tête. Cela n’a pas tardé… Alors il faut comprendre que Tanger est la porte qui s’ouvre tandis que l’autre se ferme. Accepter ce cadeau de la vie même en pleurant. Te poser, regarder autour de toi, devant toi.

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« La réalité est que dans une relation, on ne finit jamais d’apprendre, cela demande de l’énergie, du dévouement et de l’engagement (entre autres choses), et comme je te l’ai dit : je n’en peux plus, je suis fatigué. »

Moi aussi je suis fatigué. Pas uniquement physiquement, je suis fatigué émotionnellement, fatigué de la vie. Fatigué de toujours tout perdre et en particulier les personnes qui me sont chères. Entreprendre, construire, contribuer sans pouvoir en jouir ensuite. Tu as raison de dire que l’apprentissage ne termine jamais. L’engagement non plus. (Je viens de réaliser qu’en espagnol, compromiso signifie aussi bien engagement que fiançailles ; ironique, non ?) Je suis fatigué d’avoir entrepris notre voyage ensemble pour me retrouver à nouveau là où j’étais en juin dernier. Fatigué de voyager en rond.

Un jour je t’avais confié : « Je me sens bloqué dans le passé de l’Inde ». Tu m’as répondu, dans un de ces moments où tu semblais si mûr : « Tu ne peux pas avancer si tu regardes encore en arrière ». Tu m’inspirais confiance et j’ai fait le pas, je me suis remis à regarder devant et à avancer. Ce que je ne savais pas c’est que le voyage serait en solitaire. Tu me disais que je ne ressentais qu’amertume envers l’Inde alors que c’était toujours de la joie en évoquant Tanger. Savais-tu alors que tu allais tourner les talons ou était-ce la vie qui déjà entamait le jeu des chaises musicales ? L’amertume venait de la blessure d’avoir donné le meilleur et d’avoir reçu la porte en pleine figure. Mais la colère peut aussi s’épurer dans ses variantes : la frustration, l’irritation, le sentiment de culpabilité. Je n’avais pas laissé la véritable colère s’emparer de moi. Mais à présent, elle monte, je la sens très proche et cette fois – pas comme avec l’Inde – je vais l’accepter et la mettre à profit. Car à quoi bon t’avoir écouté, fait confiance et entamé le chemin si c’est pour être lâché en route et me retrouver au même point qu’avant de te connaitre ?

Mais suis-je vraiment à la case départ ?

Non. La réalité est que je commence à identifier ce que je vais garder de nos neuf mois, ce que je vais utiliser pour moi. Comme tu disais : « Maintenant, je vais profiter de ces derniers jours et ne pas me compliquer la vie pour prendre une décision. Plus tard, j’aurai le temps de choisir. » Je vais tout d’abord m’assoir sur le toit de la maison et accepter de regarder à nouveau le panorama du côté gauche. Reprendre mon souffle et me ressourcer après avoir tant engagé dans l’aventure. (Que me reste-t-il de tout cela sinon le sentiment d’un grand gâchis, d’un magistral retour de bâton ?) Ensuite, renouer avec l’indépendance et l’instinct de survie. Puisque je n’ai plus à accepter un itinéraire à deux et que tu as choisi le tien, je suis libre. Et donc, je reprends les cours d’espagnol. Le défi : étudier en 120 heures les 180 heures du niveau suivant, seul et en ligne, en trois mois. Puis, me présenter à l’évaluation à la rentrée, la passer haut la main et intégrer le niveau final. C’est-à-dire un programme de deux ans ou 480 heures, en 240. Pues, ¡claro! Étudier l’espagnol et l’arabe à Tanger avait contribué à me libérer et je n’ai pas l’intention de perdre aussi cela.

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Hier, on m’a demandé (guiño aux aficionados du « on ») « Mais est-ce que c’est possible ? » Tout est possible, tout. Mais tout ne se réalise pas et il est certain que rien ne se matérialisera en restant assis sur ta chaise, face au détroit.

Yalla, lève-toi et marche.
(Pun intended)

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