Silence NC11 journal éloignement
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Silence NC11

Journal de l’éloignement – En moins d’un an, dans ce bref laps de temps, notre amour a vécu…

et dont la page se tourne la nuit.

qui s’écrit le jour

Un journal de l’éloignement


Mais à quoi pensais-je en décidant de regarder ta photo du 22 avril 2018 à Barcelone ? C’est comme un poignard en plein cœur ! Tu fêtes tes trente ans en compagnie de deux amies, dont M. que tu m’avais présentée à Buenos Aires. La photo est floue, mais les expressions qui jaillissent de toi sont évidentes : tu es hilare, beau et jeune.

Hilare, sans doute parce que vous avez bien célébré et vous avez eu raison. Il faut se réjouir du temps qui passe quand il est habité par l’amitié sincère. Accepter sans gêne d’être heureux et se laisser emporter par cette énergie vivifiante, aussi souvent que possible.

Beau, tu l’as toujours été à mes yeux et je ne me réfère pas uniquement à l’aspect physique, une beauté sobre, lumineuse, qui n’exige pas d’être mise en avant, qui n’envahit pas.

Jeune et un soupçon d’insouciance dans cet instantané de toi, alors que tu ne sais pas encore que dans moins de deux mois, nous allons nous rencontrer.

Un an plus tard, notre amour a vécu. Je n’ai pas vu de photo de tes 31 ans, l’ultime souvenir visuel que j’ai de toi est ton visage sur mon écran d’ordinateur. Le 2 avril 2019, je recevais ton email m’annonçant ta décision de rompre et je suis resté deux jours sans te répondre.

Permets-moi une digression. Je me souviens que lorsque tu m’avais contacté, j’avais été touché de plein fouet par ton énergie et la simplicité de ta démarche, et j’avais là aussi pris deux jours pour te répondre. Non par négligence, mais parce que j’avais ressenti que rien ne serait plus pareil après avoir accepté de te rencontrer. J’étais tapi dans ma maison de Tanger, ne sortant que pour aller étudier et maintenant tant bien que mal une barrière autour de moi. Aussi, lorsque je me décidais à te répondre, j’acceptais de te laisser entrer dans mon cercle ou d’en sortir pour aller à toi. Le premier mot que j’avais employé était : « Wow ». Avant même d’écrire : «¡Gracias, Nacho, por tu mensaje!» Quelques lignes plus bas, je terminais par «Cuídate (y mantén esa sonrisa asombrosa)» à quoi tu répondais par «Gracias por lo de la sonrisa, la mantendré.» J’y reviendrai.

Le 2 avril 2019, donc, le sol se dérobait sous moi et me laissait sonné, abasourdi, incrédule. J’ai alors à nouveau pris deux jours pour explorer mes sentiments, jeter des mots sur le papier, les ordonner, puis te répondre. Le lendemain, le 5 avril, je recevais un nouvel email en guise de fin de non-recevoir. C’était fini, de ton côté du moins. J’étais tétanisé et ne pouvais pas réagir, je t’ai donc laissé sans réponse. Trois jours plus tard, c’est toi qui me relançait pour me demander « comment vas-tu et si cela te dérange que je t’écrives, que nous soyons en contact », alors même que tu avais clairement indiqué ton besoin d’être seul et sans moi dans ta vie. Autant dire que j’étais complètement dérouté et il me fallut encore deux jours supplémentaires pour te répondre que je ne comprenais pas ta demande de rester en contact, que j’avais besoin de temps pour digérer ta décision et d’une coupure pour tourner la page. Quelques jours passèrent avant que je ne te demande une conversation vidéo. Je savais que j’avais besoin de réponses, de t’expliquer mon côté de la situation et t’informer de ma décision de couper le contact jusqu’à être libéré de mon attachement. Tu as accepté et le lendemain, tu apparaissais sur mon écran. Et là j’ai vu… Tu n’étais plus le même que sur la photo du 22 avril 2018. Tu n’étais plus hilare, tu étais triste et abattu, en souffrance, tu pleurais par intermittences, tu semblais avoir perdu ta jeunesse, ta beauté s’était teintée de gravité, ta luminosité semblait étouffée. Tu n’avais pas maintenu le sourire du premier jour, tu l’avais perdu pendant notre temps ensemble.

Nous avons parlé près de deux heures. Il y avait beaucoup d’amour, de tendresse, de tristesse, mais cela n’a pas modifié ta décision. Tu portais toujours l’anneau que je t’avais offert, et moi le tien. Tu as dis : « Je le porte encore parce que quand je le vois, je pense à toi » et, en ce qui me concerne, j’ai pensé « Je le porte encore parce que je me sens toujours engagé envers lui ». Je cherchais un moyen de pouvoir t’approcher, te soulager de tout ton malheur. Cela me fendait le cœur de te voir souffrir ainsi. Et c’est là qu’intervient un trait essentiel de mon caractère, et son revers, problématique.

Je crois être une personne qui ressent de l’empathie, qui aime faire plaisir, qui s’investit énormément pour ceux que j’aime, qui croit en la loyauté et qui vit probablement de manière romantique les relations humaines. J’irais au bout du monde pour mon partenaire, lui démontrant une dévotion immense et absolue, lui offrant un soutien indéfectible. Je pense aussi que tu partages certains (mais pas tous) de ces aspects et que toi aussi, tu as une disposition à prendre soin de l’autre. Tu l’as fait pour moi, souvent.

En explorant les situations durant lesquelles j’ai eu des réactions insolites, que tu n’as pas comprises et qui ont fini par te faire douter, en découvrant avec Muriel la raison de mon comportement (tu te souviens que je t’avais dit au téléphone avoir compris la raison profonde et que cela m’avait apaisé), j’ai pris conscience de la face cachée de mon empathie. Je prends toujours la responsabilité de rendre l’autre heureux, allant souvent jusqu’à m’oublier. C’est un fardeau insoutenable, mais je ne m’en rendais pas compte. Je voyais simplement les réactions que cela occasionnait, comme le regrettable épisode du mate, quand je me suis énervé sans comprendre pourquoi, un incident mineur qui a pourtant pesé dans ta décision de rompre.

Le revers de mon empathie, c’est de penser qu’il est de ma responsabilité de rendre heureux. En me portant garant de ton bonheur, j’entravais ta liberté, je prenais en quelque sorte le contrôle sur toi bien que de manière involontaire. Je t’empêchais d’être toi. Je réalise maintenant que non seulement je n’en avais pas le droit mais qu’en outre, il ne m’incombait pas de faire ton bonheur. J’avais juste à être moi-même, pour le meilleur et pour le pire, que cela te rende heureux ou non.

Nous avions parfois évoqué la possibilité de suivre des chemins différents, toi et moi, durant notre voyage. J’aurais dû accepter, car il n’était pas de ma responsabilité de t’offrir un beau voyage. Tu songeais à prendre un avion de Lima à Buenos Aires et rentrer plus vite ? J’aurais dû te laisser faire et te retrouver ensuite. Je voulais quitter San Luis où je me sentais mal pour aller explorer le Chili ? J’aurais dû avancer seul, te laisser avec tes amis pour nous retrouver ensuite. Tu veux te séparer de moi ? Tu veux continuer à porter notre anneau ? Tu veux t’installer seul en Espagne ? Tu veux garder contact avec moi, devenir amis, nous revoir ? C’est ton choix, mais ce n’est pas de ma responsabilité. Fais ce que tu veux. Si ça marche, tant mieux, sinon tant pis.

Ce qui m’affecte, c’est de savoir qu’en moins d’un an, entre la photo de tes 30 ans à Barcelone et notre dernier dialogue en vidéo, peu avant tes 31 ans à Buenos Aires, dans ce bref laps de temps, tu as été heureux et triste. Tu as eu mal, tu as souffert, tu t’es senti perdu. Je pensais qu’il était de ma responsabilité de t’éviter le malheur, de tout engager pour te rendre heureux. Non seulement ce n’était pas mon devoir mais de surcroit, j’ai totalement échoué.

Pour avoir involontairement entravé ta liberté, exercé un contrôle sur toi, empêché de vivre et d’être pleinement, pour tout cela je te demande pardon.

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