#HolaBCN Reines de Lima

Película número 61, cette année. Et pas des moindres, j’ai beaucoup aimé cette histoire d’une famille qui se retrouve avant de se séparer.


Les lundis, la FilmoTeca de Catalunya fait relâche. Quelquefois, les abonnés sont conviés à des projections privées en présence de l’équipe de tournage. Ce lundi, j’ai découvert le dernier film de Klaudia Reynicke : Reinas (2024 · 104′)… #HolaBCN Reines de Lima

Pérou, années 1990. Alors que la situation politique est troublée et que les militaires contrôlent les rues, deux sœurs adolescentes et leur mère s’apprêtent à quitter le pays à la recherche d’une vie meilleure. Pour ce faire, elles ont besoin de la permission écrite et notariée du père. En attendant de l’obtenir, une relation inattendue et unique naît entre les filles et leur père…

Reinas (Klaudia Reynicke · 2024 · 104′)

Nous sommes donc à Lima. Chaotique, polluée, intense, contrastée, la cinquième plus grande ville d’Amérique latine m’a plu immédiatement ! La reconstitution de la capitale péruvienne est très réussie, les décors extérieurs annonçaient ceux que j’allais voir en 2018-2019, durant #Off2Sudamérica.

En particulier, les scènes à la plage m’ont rappelé le quartier de Barranco. Bien qu’on lise Callao sur les murs, j’imagine que l’équipe n’a pas tourné dans cette zone, l’une des plus dangereuses du Pérou en raison du trafic de drogue et de la mainmise du crime organisé. Barranco est un petit paradis bohème, jadis lieu de prédilection de la haute société liménienne. J’y avais passé du temps et photographié tout ce qui bougeait, ou pas : la Bajada de los Baños, le Puente de los Suspiros

La famille de Reinas appartient à la classe moyenne, elle vit dans une grande maison, la grand-mère (interprétée par Susi Sánchez) a une domestique, une voiture… Malgré ces signes extérieurs d’aisance, elle aussi connait aussi la pénurie de sucre.

Le père (merveilleux Gonzalo Molina) est un buscavidas, comme on dit en espagnol. Il vit de combines, troque un pneu légèrement crevé contre des maillots de bain pour ses filles, se dit agent secret, vante le jacuzzi de son appartement. D’aucuns diront qu’il ment, je crois qu’il est davantage mû par une immense honte qui l’a maintenu à l’écart de sa famille. Jusqu’à sa réapparition lors de l’anniversaire de son aînée, Aurora…

—Sí —murmuró Alberto sin soltar la libreta—. Sí, el próximo mes me nivelo.

El próximo mes me nivelo, conte de Julio Ramón Ribeyro (Pérou, 1972)

– Oui, murmura Alberto sans lâcher son carnet de notes, oui, le mois prochain, je passerai au niveau supérieur.

Après des images d’archives de la télévision (qui ne figuraient pas dans le script, mais fournissent au spectateur le parfait cadre pour se situer dans le Pérou du début des années 90), l’histoire débute. Lima est en couvre-feu. Soudain, une coupure de courant générale fait ressortir les bougies, mais on préserve tant bien que mal les apparences.

Comment vivre dans un pays contrôlé par l’armée, ce qui n’empêche pas les multiples attentats sanglants ? Comment protéger sa famille et survivre ? En agitant un tissu blanc quand on se risque à sortir à la nuit tombée. Ou, plus radical, en choisissant l’exil. Thème universel…

Les filles sont bien croquées, la plus âgée est insupportable comme toutes les adolescentes, la plus jeune fait son cinéma. La mère (Jimena Lindo) navigue à vue entre les écueils, le regard fixé sur l’avenir.

Collage sur un mur de Barranco à Lima, visage de femme regardant la phrase "i estoi aqui-enorme Mar humano Mar Mar mio"
#Off2Sudamérica Pérou © 2018-2019 Gilles Denizot

Mais c’est l’actrice Susi Sánchez qui m’a fasciné. Cette matriarche est le symbole du pays, la tradition qui perdure. D’un côté, elle est cinglante avec son employée de maison (qui fait suffisamment partie de la famille pour recevoir un peu de sucre, mais dont on ignore les deux heures de trajet pour rentrer chez soi avant le couvre-feu, parce qu’on a des invités). D’un autre, elle prépare spontanément le lit du gendre qu’elle méprise, parce qu’au Pérou, les femmes s’occupent des hommes comme s’ils étaient des enfants. Elle porte le visage dur de la dignité, mais pouffe de rire quand l’adolescente intervient dans la prière traditionnelle avant de manger.

En arrivant dans la salle de projection, je suis tombé nez à nez avec les invités du tournage. Il y avait Diego Vega (coscénariste avec Reynicke), Valérie Delpierre (productrice d’Inicia Films, Barcelone) au niveau espagnol C20, et… Susi Sánchez.

Vieillie dans Reinas, Susi Sánchez est à la ville une femme au charisme étourdissant. Nous nous sommes immédiatement dévisagés, et souris jusqu’à la fin du colloque. J’étais certain de l’avoir déjà admirée à l’écran, sans parvenir à me souvenir exactement. Mais c’est bien sûr : La piel que habito (2011 · 120′), Julieta (2016 · 96′), et Dolor y gloria (2019 · 114′) de Pedro Almodóvar, ainsi qu’en Louise de Savoie dans la série télévisée Carlos, rey emperador (2015). En 2019, Susi Sánchez recevait le Goya de la meilleure actrice dans un rôle principal pour La enfermedad del domingo de Ramón Salazar (dans ma liste de films à voir depuis un bail).

Quand le père emmène ses filles à travers les dunes (dans un 4×4 troqué contre du sucre…), je reconnaîtrai immédiatement ce paysage qu’on rejoint via la PE-3S (la Longitudinal de la Sierra Sur). Ce furent mes dernières images de Lima, avant vingt-quatre heures de bus pour passer de l’océan Pacifique aux trois mille trois cent dix mètres d’altitude de Cuzco. L’histoire est là, chèvre incluse :

Au-delà des voyages physiques, baluchon en bandoulière, il y a aussi les voyages torréfiés, ceux qu’on entreprend à travers l’arôme d’une tasse de café.

Et, pour le cinéphile, les voyages du lundi à la FilmoTeca… 

Salle Laya de la FilmoTeca de Catalunya. Sur l'écran est projeté une image du film Reinas (Klaudia Reynicke · 2024 · 104'), mur rouge sur la gauche et projecteur © 2024 Gilles Denizot

#HolaBCN Reines de Lima


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