#HolaBCN Intégrité


Filmer à blanc avec Ismaïl Bahri et protéger l’intégrité de l’art, des corps et de la mémoire… #HolaBCN Intégrité

Hier, je mentionnais Film à blanc, d’Ismaïl Bahri, (2013).

Immédiatement après avoir publié mon billet sur l’art politique, je vérifiai qu’il avait bien été partagé sur Mastodon. C’est alors que je remarquai qu’un de mes contacts y avait relayé un email d’Amnesty International UK avec le message Hate will not win. La photo montrait plusieurs visages de manifestants, à découvert et identifiables. Mon sang ne fit qu’un tour et je commentais (ce qui est rare) par :

« Attention aux prises de vue qui pourraient permettre d’identifier les militants lors des manifestations… C.f. Blank Film, Ismaïl Bahri, 2013. »

Une réponse suivit :

« Ces photos proviennent d’Amnesty International UK, elles sont jointes aux courriels, elles sont publiques, je crois. »

L’incident démontre combien l’art et la politique sont entrelacés. La bonne volonté d’un militant qui relaie un message officiel d’une organisation censée protéger les droits humains peut aider les forces d’oppression et mettre en danger l’intégrité des personnes. C’est le serpent qui se mord la queue.

Il me semble donc important de revenir à ces trois mots, INTERROMPRE · ÉLARGIR · INSISTER, et de fournir plus d’informations au sujet du travail d’Ismaïl Bahri.

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Ismaïl Bahri, Film à blanc, Video still, @ADAGP, 2013

Ismaïl Bahri إسماعيل بحري est né en 1978 à Tunis, Tunisie. Il vit et travaille entre Paris et Tunis. Ismaïl Bahri utilise la vidéo, le dessin, la sculpture et le son, sans spécialisation particulière. Il se positionne en observateur pour mettre en place un dispositif de captation de gestes et d’expériences empiriques, attentif à « ce qui se passe ». Son travail s’intéresse au sens qui émerge à la périphérie du regard, à la présence du monde environnant qui émerge et révèle sa présence. (Extrait du site internet de l’artiste).

En 2013, Ismaïl Bahri est en résidence de création à la Fabrique Phantom. Tout au long de sa recherche, il publie un dialogue avec Olivier Marboeuf autour de son travail. Voici quelques extraits de cette correspondance, en ce qui concerne les conditions de tournage, du point de vue politique plus qu’artistique :

Une autre expérience a été réalisée à Tunis en juillet, à un moment où le pays vivait des troubles importants. J’ai filmé le cortège menant vers le cimetière la dépouille d’un opposant politique tunisien assassiné (Mohamed Brahmi). Des milliers de personnes ont envahi les rues pour une longue marche. […] À l’origine, ce qui m’intéressait en filmant cette manifestation était le flux de vie, l’effet de masse. J’avais à l’esprit les images de foules au cinéma. Pour réaliser une fois sur place qu’une tension se créait entre l’événement historique et l’image déchargée – évidée – produite par le dispositif. Beaucoup de personnes du cortège m’ont pris pour un journaliste, mais se demandaient ce que pouvait être cet appareil. Une femme passant derrière moi m’a par exemple dit « surtout ne ratez rien ! », sous-entendu, « captez l’événement, gardez en mémoire pour la collectivité ». Simple anecdote, pourrait-on se dire, mais de ces mots affleure le caractère décalé de l’expérience vu qu’il s’agit moins de capter l’événement que de le rater. Je filme à blanc. Et l’idée de filmer à blanc est importante, car elle suppose un film évidé d’une partie de son contenu, un film hanté par ses images absentes.

Ne rien rater, capter l’évènement, garder en mémoire pour la collectivité. Ces trois recommandations font écho à ce que j’écrivais hier :

L’art, le corps et la mémoire représente une trinité inévitable. L’œuvre d’art est un nouveau corps, qui est introduit dans la société et qui doit survivre en tant que mémoire et non en tant qu’histoire.

Cependant, il est de la plus haute importance que l’activisme protège les droits et l’intégrité des personnes impliquées dans la lutte.

Sur la scène du Liceu de Barcelone, le corps d'un homme vêtu de blanc et assis sur une chaise, mais dont la tête est coupée. Au premier plan, silhouettes floutées et recadrées du public © 2024 Gilles Denizot

Photo de couverture : détail de la production The Messiah, Robert Wilson, Liceu 2024

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