En Inde, un auto jaune et noir, des femmes qui attendent au bord d'une route #NoVisa Amour-fleuve © Gilles Denizot 2024
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#NoVisa — Amour-fleuve

L’eau coule, immuable, sur l’écran et en Inde.


FilmoTeca de Catalunya, séance de 17 h 00 dans la grande salle Chomón. On y présente The River (1950, 105′), le premier film en couleurs de Jean Renoir, que le fils du peintre tournera entièrement en Inde. Une adaptation du roman semi-autobiographique de Rumer Godden, coscénariste, avec Satyajit Ray en assistant réalisateur.… #NoVisa Amour-fleuve

Dix ans après La Règle du jeu (que j’avais aussi revu à la FilmoTeca), les caméras filment sur les bords du Gange, non loin de Calcutta. J’ai toujours voulu y aller, mais n’ai jamais pris le temps de concrétiser cette envie. Ma foi, un jour peut-être. Parmi les joyaux que l’Inde a offerts au monde, la culture du Bengale est sans doute le plus étincelant. Pour ne citer qu’eux, les mots de Rabindranath Tagore, les sons des Bâuls, les images de Satyajit Ray.

Durant ma dernière année académique en Inde, j’avais notamment lu The Religion of Man (et son appendix I. The Baul Singers of Bengal), mais aussi Sadhana – The Realisation of Life et The Fugitive. Ces textes de Rabindranath Tagore avaient inspiré Tutti gabbati, une production qui n’a jamais vu le jour.

Once upon a time, in an exotic land…

Il émanait une aura mystique du personnage principal de Tutti gabbati. C’était un sage, un homme errant, à la farouche indépendance d’esprit. Quand j’arrivais au Sénégal, je reconnus les tenues Baye Fall comme de lointaines parentes des Bâuls, ceux de la partie orientale de l’Inde.

À Tanger, les films de Satyajit Ray, en particulier « The Apu Trilogy » avaient inspiré Hakim Belabbes pour leur capacité à « dire, en toute simplicité et profondeur, le sort des faibles et des humiliés de ce monde ; ceux qui tentent de faire face aux destins sur lesquels ils ont si peu de contrôle ». Une « simple histoire de lutte face à ce que la vie nous réserve, une histoire de gens ordinaires à la recherche d’une vie digne, basée sur le travail acharné et l’intégrité. »

À Barcelone, en 2021, la Mostra de Cinema Espiritual de Catalunya i Asian Film Festival avait présenté pas moins de 16 films du cinéaste. Pour les amateurs de podcast, France Culture proposait une Nuit d’archives Satyajit Ray, cinéaste du Bengale et du monde, le jour du centenaire de la naissance du cinéaste, né le 2 mai 1921 à Calcutta. Sinon, il y a un podcast Les Grandes Traversées : Loin de Bollywood, écoutez Satyajit Ray. Le réalisateur bengali est célèbre en France, grâce à son cinéma réaliste et sa rencontre avec Jean Renoir venu tourner en 1951 son long métrage « Le Fleuve » en Inde.

Jean Renoir, The River

Il était une fois le Gange… Ses eaux déposent les nouveaux arrivants, entravent les fugues adolescentes et charrient les dépouilles. « À chaque chose qui nous arrive », confie le Capitaine John à Harriet, « à chaque personne que vous rencontrez qui a de l’importance à vos yeux, ou bien, vous mourez, ou bien, vous renaissez un peu. » Sur la terre ferme, trois jeunes filles s’aventurent à la frontière de l’enfance. Chacune à sa manière se mesurera à l’âge adulte, aux émotions nouvelles et inconnues, à la question de l’identité. L’année s’écoule, ponctuée par les fêtes comme Diwali. Et pourtant, il nous semble vivre une seule journée suspendue. Oui, le film est lent, il oblige le spectateur à ralentir, à renoncer aux rebondissements. Le parfum délicat qui se dégage provient de l’évocation des souvenirs enfouis, de l’amour pour l’Inde. La poésie occulte cependant le danger imminent. Le cobra qui hante le grand banian sera-t-il réveillé par les doux sons de l’enfant et de sa flûte ?

L’eau coule, immuable, sur l’écran et en Inde. Les eaux se jettent dans le golfe du Bengale, c’est un voyage qui aboutit. Dans la salle, un cercle se clôt en moi, avec placidité. L’eau continue de couler. Le fleuve emporte et apporte ces moments qui ponctuent le chemin de vie. Il laisse la sagesse à qui veut bien renoncer à l’éphémère.

Le Fleuve qui semble être un de mes films les plus apprêtés, est en réalité le plus proche de la nature. S’il n’y avait une histoire basée sur des forces immuables, l’enfance, l’amour, la mort, ce serait un documentaire.

Jean Renoir
En Inde, un auto jaune et noir, des femmes qui attendent au bord d'une route #NoVisa Amour-fleuve © Gilles Denizot 2024

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