#SilentSunday Avant de danser

Avec attitude !


Des coussins noirs et des colonnes ornent le sol du Mercat de les Flors à Barcelone… #SilentSunday Avant de danser

Des coussins noirs et des colonnes ornent le sol du Mercat de les Flors à Barcelone… #SilentSunday Avant de danser © 2024 Gilles Denizot
#SilentSunday à Barcelone © 2024 Gilles Denizot

Il faisait beau ce dimanche-là. À vélo, je grimpai jusqu’au Mercat de les Flors. Le soleil baignait l’entrée de la maison de la danse. Je m’assis sur un coussin noir, le dos appuyé contre une des vénérables colonnes.

En pénétrant dans la salle Pina Bausch, notre petit groupe éclectique est accueilli par les chorégraphes Guillem Mont de Palol et Jorge Dutor. Ceux-ci vont nous révéler le processus créatif de leur prochain spectacle durant l’atelier « Danses romàntiques »

En explorant l’univers onirique des ballets romantiques La Sylphide, Giselle ou Coppélia, Guillem Mont de Palol et Jorge Dutor utilisent les musiques descriptives, les conventions, les codes, les récits, les clichés et les maniérismes propres à ce genre pour offrir une expérience immersive au public, drôle et sensible, destinée à redéfinir ce genre par rapport à l’action et au corps contemporains. Ils proposent ainsi une expérience insolite de mouvement, de gestes et d’action performative naviguant entre le concret et l’abstrait.

Entretien ‘Románticos o casi (en conversación con Guillem Mont de Palol y Jorge Dutor)’, por Roberto Fratini (traduction personnelle)

Plutôt que de se plier au rébarbatif tour de présentations, nous apprenons des bribes de vocabulaire. Un lexique propre au ballet romantique, quelques positions, quelques gestes pour dire je, toi, nous, danser, mais en mouvement, sans parler. 

JD : Il est vrai que Grand Applause et Danses Romàntiques sont, dans un certain sens, des cousins germains. Dans les deux cas, nous travaillons avec les genres – opéra et ballet – et les codes de chaque langue. Le langage des deux pièces est similaire, tout comme l’approche.

Sans perdre de temps, nous dansons chacun notre tour une phrase. Étrange, non ? Pourtant, le jeu m’a plu instantanément, à mi-chemin entre la pantomime, le théâtre et le ballet. L’exercice est consciencieux et silencieux, bien que ponctué de rires et d’épongements de sueur. La pédagogie du duo Montdedutor est efficace, j’en apprécie la fluidité et la spontanéité apparente qui témoignent d’une maîtrise absolue du sujet et de l’art de transmettre, d’inviter à entrer dans la ronde.

JD : En réalité, nous ne sommes pas très conceptuels dans notre travail ; nous sommes toujours très intuitifs, même si les conclusions sont généralement conceptuelles.

Lorsque j’étais soliste de l’Opernhaus de Zurich, j’avais pris part à certaines classes matinales, à la barre, avec la troupe de ballet. Trente ans plus tard, je suis un amateur de danse au milieu d’autres. Chacun joue de son instrument et dessine dans l’espace sa propre esquisse du mouvement classique : arabesque, pas de bourrée, plié, port de bras, révérence… 

GMDP : Nous avons beaucoup d’admiration pour le corps amateur, qui est un corps « propre », un corps courageux avec beaucoup de désir et de volonté de faire de nouvelles choses. Pour moi, il est de plus en plus important, à la fois dans ma pratique de la vie et dans ma pratique artistique, de rencontrer ce type de corps et de personne, en dehors de l’élite de l’art, des corps les plus codifiés et des esprits les plus formatés.

Le corps « propre », mais chaud et emperlé de sueur, chacun reprend son souffle, la plante des pieds collée au linoléum. Guillem annonce la suite, qui va m’enchanter : en diagonale, l’entrée en scène individuelle, improvisée librement, mais avec attitude ! Bon, je me suis imaginé être le danseur étoile du Corsaire et j’ai fait de mon mieux, le regard intense masquant la technique déficiente. Puis vint le pas de deux, et là, j’ai eu beaucoup de chance, parce que mon partenaire n’est autre que Jorge. En un instant, la magie naît, le temps d’un sourire, d’une main qui cherche l’appui pour porter le corps de l’autre, pour se laisser porter, tourner, voler… Un très grand moment de connivence entre deux mecs barbus qui pirouettent. 

GMDP : Nous avons tenté cet exercice d’exorcisme. Nous avons essayé de remettre en question tous ces automatismes d’une manière très drôle et performative. Faire tout cela à partir d’un corps qui n’est pas formé pour le ballet a impliqué le défi de célébrer le romantisme tout en essayant précisément de l’exorciser, de le questionner, de le remettre en question.

Pour ce faire, les Montedutor vont projeter sur grand écran des extraits de Coppélia, de la Sylphide ou de Giselle, et nous inviter ensuite à les danser. Voici les dimensions du plateau, signalées par la bande adhésive blanche ; chacun peut choisir son personnage, corps vivant ou inanimé : « un exercice collectif sous forme de rituel », dira GMDP. « Un jeu très codé où il s’agit surtout de déchiffrer et si possible de pirater un code », dira JD.

Après mon interprétation du corsaire, je vais pirater à ma manière la Ballade des épis de maïs dans Coppélia. Je n’ai jamais vu le ballet, mais j’en connais l’argument pour avoir chanté l’opéra Les Contes d’Hoffmann. Puisque la règle du jeu nous autorise à incarner le personnage de notre choix, je vais me glisser dans l’enveloppe de l’épi de blé que tient la danseuse étoile. C’est à mourir de rire (et exténuant), farouchement singulier et tout à fait moi. Cliquez ici pour voir la version que nous avons utilisée (Natalia Osipova, au Bolchoï) et m’imaginer en épi animé… ou regardez directement ce court extrait :

De ci, de là danse au Mercat de les Flors…

Je crois que Guillem a été fort surpris par cette initiative, qui répondait peut-être à l’invitation des Montedutor et leur « idée de guérison : la conviction que, ensemble, grâce à ce rituel, nous pouvons soulager les fardeaux négatifs, la souffrance du lourd héritage du romantisme. »

À la fin de l’atelier, j’indiquai à Jorge que – si d’aventure – une prochaine production impliquait des danseurs amateurs, je m’y lancerais à corps perdu. Avant cela, il y aura le spectacle Danses Romàntiques : « quelque chose que nous créons avec le public, en l’invitant à devenir un corps de ballet et un élément scénographique. Nous comprenons que nous sommes tous dans un plan horizontal. Il n’y a pas de stalles ou de scène : tout l’espace est performatif et le public vit une expérience immersive dès la première minute », dira GMDP. Plus précisément, selon JD, « nous ne créons pas vraiment avec le public. Nous jouons plutôt avec eux. Le ballet est déjà créé. »

Ce sera le 1ᵉʳ décembre. Je ne serai pas à New York pour chanter avec Mimi, mais dans la salle Pina Bausch au Mercat de les Flors.

Clic, la photo #SilentSunday est toute trouvée…

Des coussins noirs et des colonnes ornent le sol du Mercat de les Flors à Barcelone… #SilentSunday Avant de danser © 2024 Gilles Denizot

#SilentSunday Avant de danser

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