Graffiti sur un mur jaune et affiche déchirée #HolaBarcelona septembre 2023 © Gilles Denizot
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#HolaBarcelona septembre 2023

Deux ans à Barcelone ? Même joueur joue encore ! (Mais change de nom…)


La Saint-Gilles et la Santa Mercè, l’inscription à la Pompeu Fabra (politique espagnole/catalane et philosophie), à la CPNL (catalan B2.1), à un club de lecture LGTBI (poésie catalane), la bibliothèque Sagrada Família et la García Márquez, Virginie Despentes chez Finestres, la droite et l’extrême à Sant Martí, une nouvelle nationalité et un premier Roch Hachana en Sefarad, du cinéma marocain, cubain, indien, de la danse et un mezze libanais… Voici #HolaBarcelona septembre 2023

#HolaBarcelona septembre 2023 © Gilles Denizot

Comme chaque année en septembre, un barcelonais célèbre la Saint-Gilles quand toute la ville fête la Santa Mercè.

De la Saint-Gilles, en 2021, on écrira ceci :

De la Santa Mercè, en 2022, on écrira cela :

Les festivités dûment consommées, il sera temps de poursuivre son éducation. À la Pompeu Fabra, je choisirai d’étudier la philosophie de l’esprit (en anglais) et la politique espagnole et catalane (en catalan). Le certificat B1 (homologué) dûment obtenu, je passerai au niveau B2.1 à la CPNL. Je commence à ne plus vraiment savoir pourquoi je persiste dans l’apprentissage de cette langue que je n’utilise presque jamais, si ce n’est dans mes lectures. Ainsi, sur les conseils de ma professeure de B1.3, je fais l’expérience d’un club de lecture en catalan sur la thématique LGBTQI+.

Le programme débute par la première anthologie de poésie LGBTQ catalane intitulée « Amors sense casa » (Amours sans maison). 

Vous avez entre vos mains un voyage personnel à la recherche de désirs et d’identités sexuelles et de genre non normatives dans la poésie catalane des cent dernières années. On suit les traces de ces manières de vouloir, d’aimer, de désirer et d’être qui, à un moment ou à un autre, comme la poésie elle-même, ne sont pas entrées dans la norme.

L’écrivain Sebastià Portell viendra nous parler des 34 poètes choisis, dont Sònia Moll Gamboa (Barcelone, 1974). Je l’avais rencontrée lors d’un cours de littérature catalane à la Pompeu Fabra, avant de participer à son atelier d’écriture pour le Festival BCNPoesia 2023. Parmi les découvertes du recueil Amors sense casa, je retiendrai Biel Mesquida (Castelló de la Plana, 1947), Jaume Creus (Barcelone, 1950), Salvador Jàfer (El Ràfol de Salem, 1954), Ian Bermúdez (Sant Sadurní d’Anoia, 1979), Mireia calafell (Barcelone, 1980), et Glòria Julià Estelrich (Portocolom, 1983). Autant dire que la poésie catalane a de beaux jours devant elle.

L’homophobie aussi, si l’on en croit les faits récents : Cristian Carrer, psychologue social de l’Observatori contra l’LGTBI-fòbia, assure que depuis 2024, il y a eu une trentaine d’agressions LGBTI-phobes en Catalogne, dont 70% à Barcelone. Quarante-cinq jours et une trentaine d’actes homophobes. La faute aux partis d’extrême-droite ? Ce qui est certain, c’est que le nouveau maire barcelonais, qui se revendique socialiste et homosexuel, n’a pas encore inauguré le mémorial sur la Rambla de Santa Mònica en souvenir de la première grande manifestation de la fierté gay le 26 juin 1977. On nous dit que c’est pour 2024… En revanche, comme une bonne claque aux préjugés, entrer dans la ruche en verre de la Biblioteca Sagrada Familía ferait réaliser à tout un chacun l’innocuité des banderoles arc-en-ciel. Durant la semaine LGTBI, ce lieu de culture, qui dispose d’un fonds spécial sur cette thématique, décline toutes sortes d’activités. J’y assisterai un matin à une session Mirada LGTBI+ très intéressante, animée par Simón Perera de l’association PRISMA. L’exposition présente un tour de l’univers et des mythologies du monde dans une perspective LGTBI+. Ou comment voir notre monde sans l’habituel filtre hétérosexuel.

C’est Manuel Martínez Díaz qui doit être content. Analyste du renseignement et directeur des opérations du Bureau du renseignement de 2010 à 2017 (une sorte de Bureau des légendes local ?), ce monsieur annonce une rémunération de 36 660 euros comme conseiller extrême-droite du district de Sant Martí, et un niveau intermédiaire (dit aussi de survie) en anglais. Oh dear… J’ai bien essayé de le bloquer, lui et son parti, aux municipales du 28 mai, mais aux prochaines élections générales, je pourrai voter avec mes nouveaux papiers d’identité.

C’était une journée d’automne indien à Barcelone. Il faisait chaud, j’avais les mains moites d’inquiétude. Depuis 2016, les demandes de visas et autres passages de frontière me terrorisent. En outre, je ne me suis jamais senti à l’aise devant l’autorité policière. Pourtant, impossible d’y échapper en Espagne, car les passeports s’obtiennent au commissariat. On m’avait donné un étrange rendez-vous avant l’heure d’ouverture officielle, j’étais arrivé très en avance et en sueur, prêt à tout. Le préposé, jeune et bien gaulé, recueillit mes empreintes digitales et me fit signer les documents nécessaires. Je n’en croyais pas mes yeux, j’étais devenu espagnol. Un processus qui avait duré quatre ans, ou plus d’un demi-millénaire, selon l’angle de vision. Quoi qu’il en soit, je lançai un franc

¡Viva España!

avec l’accent, la projection vocale et tout l’enthousiasme que je pus mobiliser. Le préposé sourit et me souhaita une excellente journée, caballero. J’adore quand on me donne du Caballero ou du Don en Espagne. C’est tout de même très chic (et vraiment Folie des grandeurs, ce qui achève de me séduire.)

Messieurs les grands !

Vite empocher les précieux sésames et sortir. Sortir respirer. Respirer et prendre mes jambes à mon cou, des fois qu’ils se ravisent. Je contourne le poste de police et me réfugie juste derrière, à l’ombre de la García Márquez. Meilleure bibliothèque publique du monde 2023, elle sera le fond d’écran du message vidéo envoyé à la Madrina. Gratitude immense pour la marraine de cette aventure unique initiée à Tanger. Sans écrire un second Retour à Séfarad, je raconterai un jour ce voyage particulier : de cette salle de classe de l’Instituto Cervantes, via Madrid, Toledo, Tarifa, et Genève. Et de retourner encore une fois à la mairie de Sant Martí pour y faire enregistrer ma nouvelle identité, malgré ce que peut en penser Monsieur le conseiller au niveau intermédiaire et son parti toxique, xénophobe et homophobe.

D’ailleurs pour fêter ça, je suis d’abord allé écouter Virginie Despentes présenter « Cher connard » à Finestres (son niveau d’espagnol largement supérieur lui permet de dialoguer sans traducteur.) Puis, sans acheter son bouquin, j’ai descendu la Rambla de Catalunya pour aller revoir Buena Vista Social Club à la FilmoTeca. Grand coup de cœur renouvelé pour Ibrahim Ferrer, si doux et élégant, si noble et humain.

Ibrahim Ferrer en VOST

En 2004, à 77 ans, Ferrer remporta un Grammy, mais le gouvernement américain lui refusa l’autorisation d’entrer dans le pays pour recevoir son prix en raison des lois extrêmement restrictives sur les visas adoptées à la suite du 11 septembre. Il mourra en 2005, neuf ans (un cycle complet) après avoir chanté dans le film de Wim Wenders et connu enfin une renommée internationale tant méritée. 

Ibrahim Ferrer, Si te contara
Si tu savais, ma souffrance
Si je te disais, l'immense amertume
Que je porte si profondément en moi
La triste histoire qui nuit après nuit
De douleur et de chagrin remplit mon âme
Elle me revient en mémoire, comme une condamnation

D’une condamnation à une liste noire, toujours à la FilmoTeca : Bhuvan Shome (1969 · 96′), considéré comme le meilleur film du prestigieux cinéaste bengali Mrinal Sen. Le personnage principal est un homme intransigeant et strict, haut fonctionnaire de l’administration, ridicule et limité, qui se laisse toutefois corrompre lors d’une partie de chasse au Gujarat. Une fois encore, le meilleur de l’Inde vient du Bengale et le pire, de l’État du chaiwallah actuellement au pouvoir.

Bhuvan Shome, bande-annonce

D’une liste noire au bleu d’un caftan, le Maroc au cinéma Maldà avec le film de Maryam Touzani (2022)

Le bleu du caftan, bande-annonce

Le secrétariat général de la formation islamiste Parti de la justice et du développement (PJD) demanda l’interdiction du film. Précisons que Le Bleu du caftan est produit par Nabil Ayouch (partenaire de Maryam Touzani). Il avait signé Much loved (que le PJD censura) et Razzia (tous deux vus alors que je vivais à Tanger) avant Haut et fort / Casablanca Beats علّي صوتك (vu à la FilmoTeca.) Là encore, des politiciens haineux et des fonctionnaires myopes cherchèrent à discréditer, à interdire. Mais, comme le ridicule Bhuvan Shome, les défenseurs de la vertu seront pris la main dans le sac. Deux figures emblématiques du Mouvement unicité et réforme (MUR), base arrière idéologique du Parti de la justice et du développement (PJD), furent découvertes en flagrant délit d’adultère sur une plage déserte de Mohammedia (vous souvenez-vous de #Back2Africa ?) Véritable scandale de l’été 2016 pour un parti aux positions conservatrices sur les femmes, l’avortement, l’homosexualité, la peine de mort et, en particulier, la défense de la famille. À peu de chose près, les mêmes os à ronger que le parti toxique du conseiller intermédiaire. D’aucuns diraient que dans le cochon, tout est bon.

Cependant, le Bleu du caftan est un film nécessaire et bien tourné. Une histoire touchante, racontée de manière pudique et nuancée malgré le danger sous-jacent. Un thème de société qu’on retrouve au Maroc et ailleurs, une réalité inconnue qui suscite la peur, le préjugé, l’agression. La réalisatrice nous dévoile les non-dits et la souffrance, les préjugés et les combats qu’il faut leur livrer. Puis, elle nous donne à voir l’acceptation de la maladie, de l’amour, de la mort. Enfin, d’un point de vue tout personnel, ces moments dans la médina de Salé ressemblent à ceux que j’ai vécu dans celle de Tanger… 

« Je ne connais aucun homme aussi pur que toi, aussi noble », dira Mina. Et, ailleurs, ce sourire à la Bonnaire de Prendre le large :

Le Bleu du caftan, scène de la danse

Quant au final, il est somptueux et exaltant. Autant de raisons de soutenir les productions artistiques qui importunent ces Messieurs les censeurs

Et maintenant, fêtons l’ouverture de la nouvelle saison de danse au Mercat de les Flors ! Quoi de mieux que ce mezze dansé, partagé entre tous, que nous offre la mère d’Omar Rajeh ? La pièce Beytna, de la compagnie MAQAMAT, nait de l’idée de partage, d’hospitalité et de rassemblement autour de la nourriture. Une simple invitation à la maison de l’autre : santé, bonheur, plaisir, compassion et amitié. On ne peut imaginer inauguration plus conviviale et festive. Je l’évoquais ici :

Souvenir de l’enfant qui revient à la source maternelle et y puise l’inspiration. De Taipei à Beyrouth, via le Mercat, il n’y a qu’un pas : Omar Rajeh et Maquamat dans Beytna. Au centre de tout et de tous, la mère du chorégraphe libanais s’est lancée dans la préparation d’un véritable banquet. Tout au long du spectacle, elle tranche, remue, assaisonne, et donne des instructions aux artistes qui se relaient pour lui prêter main-forte. Quatre chorégraphes et quatre musiciens venus du Liban, du Japon, de Palestine, de Belgique et du Togo se rencontrent sur scène. Ils viennent de continents, de cultures et de pays différents. Ils ont des expériences artistiques différentes, des formations et des idées différentes. Ce qui les relie, c’est leur profession. Ils parlent, boivent, rient, dansent et mangent ensemble. Alors Omar Rajeh nous invite à partager ce repas, et tous nous servent, qui taboulé, qui fattouche, qui verre d’arak

Sur la grande scène du Mercat de les flors, la foule autour du mezze #HolaBarcelona septembre 2023 © Gilles Denizot
#HolaBarcelona septembre 2023 © Gilles Denizot

Souvenirs d’enfance et indicible partage de tendresse entre une mère et son fils, qui (peut-être) ne parviennent à s’exprimer que par une autre création ?

Ma création à moi, c’est d’avoir retrouvé ma mère, ses parents et nos ancêtres, en cheminant jusqu’à Tolède. Dans cette ville

se trouve la sépulture d’une noble dame, d’une grande femme. Telle était la señora Sitbona […] morte en l’an 1349.

Extrait de l’épitaphe de la pierre tombale en granit, avec inscription en caractères hébraïques, pièce 0007/001 du Museo Sefardi de Tolède exposée dans le Jardín de la Memoria

La descendance avec l’illustre famille ha-Leví établie et documentée, je remontai le cours d’eau de la mémoire depuis Tolède jusqu’au consulat général d’Espagne à Genève. Là, en présence de ma mère et en vertu de la Loi 12/2015 du 24 juin 2015 sur l’octroi de la nationalité espagnole aux séfarades originaires d’Espagne, je promis fidélité au roi et obéissance à la Constitution et aux lois du pays qu’on nommait Sefarad. Le consul et son représentant me dirent alors : « Pues, bienvenido », ce qui est, vous en conviendrez, charmant. Après quatre ans de procédure, Don Gilles Denizot Sitbon célébra son premier Roch Hachana en Sefarad.

J’étais seul, mais je levai mon verre de vin à la santé de mon aïeule et mangeai des quartiers de pomme trempés dans du miel afin d’être, comme de coutume depuis le Moyen Âge,

inscrit et scellé pour une bonne année.

En face, un homme portant talith et tefiline priait…

Graffiti sur un mur jaune et affiche déchirée #HolaBarcelona septembre 2023 © Gilles Denizot

#HolaBarcelona septembre 2023