Un ciel nuageux jaune et cotonneux © Gilles Denizot 2023
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#HolaBCN — S’assoir et écouter le silence

Le dernier album de Tim Allhoff, ‘Silence is something you can actually hear’, est l’antidote parfait à notre monde trop rapide, trop bruyant. Si nous prenions le temps de nous assoir et d’écouter vraiment ?


J’étais un orpailleur, le corps entier plongé dans le jaune fluide de cette lumière sonore, contemplative et silencieuse… #HolaBCN S’assoir et écouter le silence

Puis j’ai ri aussi. Les sons me touchaient, me soulevaient… J’étais un Tournesol qui lévite, un oncle Albert qui prend le thé collé au plafond pour cause d’hilarité. Un rire inaudible à l’extérieur, mais polyphonique au plus profond de moi. Le dernier album de Tim Allhoff ‘Silence is something you can actually hear’ est l’antidote parfait à notre monde trop rapide, trop bruyant, parfois presque assourdissant. Si nous prenions le temps de nous assoir et d’écouter vraiment ?

Un conseil : Wait. For. It.
Parce qu’à un moment précis, ce qui surgit est jouissif.

Moins de bruit, plus de Tim

Voilà pourquoi depuis quelques jours, le disque Silence is something you can actually hear est en mode repeat, en alternance avec la musique du pianiste et compositeur norvégien Ola Gjeilo. (On y reviendra.) Tim Allhoff voulait présenter des morceaux qui ont une énergie silencieuse. Prendre le temps de faire l’expérience d’une œuvre d’art ne pouvait que me séduire.

D’où vient ce titre évocateur ?

Je suis tombé sur une citation de l’un de mes auteurs préférés, le silence est quelque chose que l’on peut réellement entendre, dans l’un de ses livres. Cette phrase correspondait parfaitement à ce que j’essayais de dire avec cette musique. D’une certaine manière, cet album est destiné à apporter 50 minutes de paix et de silence.

Tim Allhoff, bande-annonce du disque

La citation exacte est

Silence, I discover, is something you can actually hear.

Haruki Murakami

Elle se trouve à la page 138 de Kafka sur le rivage (海辺のカフカ, Umibe no Kafuka), dixième roman de l’écrivain, paru en 2002 au Japon. (Oui, je ressens un besoin intense d’aller faire un tour à la libraire Finestres, mais il n’y a pas d’urgence…) Je n’ai jamais réussi à terminer Première personne du singulier, huit nouvelles signées Murakami. Mercedes m’avait prêté son exemplaire, traduit en espagnol, qui est encore sur ma table de nuit. Quand je ne parle pas la langue d’un écrivain, j’ai tendance à le lire en anglais, quelquefois en français. Question de goût, au singulier. Le goût des mots dans leur jus originel, ou tout au moins, dans une langue neutre comme l’est l’anglais pour moi et que Murakami possède suffisamment pour traduire Hemingway. Je le disais dans #HolaBarcelona avril 2022 : un Tati coréen au bon goût de kimchi, c’était distrayant ; un tanka japonais qui me donne envie de manger une part de tortilla, c’est déroutant !

Kafka attendra sur le rivage pendant que je parcours ce guide littéraire de la musique de Haruki Murakami. Ensuite, j’irai à la rencontre de Nakata, un personnage que j’aime déjà. Un étrange vieillard amnésique et analphabète, mais qui sait parler aux chats et comprend leur langage, décide de quitter Tokyo pour prendre la route…

Cela m’a fait penser au cadeau de Muriel, Variations de Paul, qui se trouve ces temps sur la table de nuit de… Mercedes ! (Juste retour des choses.) La coda du personnage principal, son ultime variation, dernier mouvement de cette partition musicale, m’était si proche, si familière. Cela m’a touché que Muriel et Mercedes me reconnaissent en lui…

Puisque tout tourne autour de la musique, de l’écriture, du chant et de la poésie, revenons à Arietta, le morceau d’ouverture, accompagné par les Vienna Morphing Soloists.

Les ‘Lyric Pieces’, une sorte de journal poétique pour piano d’Edvard Grieg, ont toujours fait partie de mes œuvres préférées pour piano solo, et le thème Arietta est d’une beauté époustouflante dans sa simplicité. En préparant l’enregistrement, j’ai senti que la structure harmonique de Grieg m’invitait à improviser sur la pièce, ce qui me semblait si naturel que j’ai eu l’idée de fusionner deux mondes sur ma version de l’album : le monde classique et le monde du jazz.

Tim Allhoff

Je lis d’ailleurs en ce moment Jazz, un recueil de poèmes en catalan d’Àngels Gregori. (On y reviendra.) Mais, en avant-goût, la citation choisie en début de livre :

Après une grande douleur, un sentiment formel s’installe

Cela me paraît convenir ici, après ces dernières années qui ont apporté beaucoup de circonstances à digérer pour nous tous, comme le dit Allhoff. J’étais certain de l’avoir vu accompagner au piano un autre morceau… J’ai d’abord découvert ce fameux concert à Davos, quand il collabore avec les Vienna Morphing Soloists.

Aatini Al Naya Wa Ghanni Tim Allhoff, Joseph Tawadros, Morphing Chamber Orchestra

Alors, je me suis souvenu ! Tim Allhoff était au piano pour Aatini Al Naya Wa Ghanni, mais avec la voix de Fatma Said. Inspiré du poème du poète libano-américain Gibran Khalil Gibran, أعطنى الناى وغنى (Donne-moi la flûte et chante) figure dans son premier album, El Nour.

Fatma Said enregistre Aatini Al Naya Wa Ghanni أعطنى الناى وغنى

La poésie est très symbolique et philosophique, et la façon dont nous l’avons développée en studio avec les musiciens était extrêmement spéciale. Certains d’entre eux n’avaient jamais entendu cette mise en musique de Najib Hankash auparavant, il y avait donc cette magnifique absence d’attente quant à la façon dont elle devait sonner, et nous avons tous improvisé spontanément, en nous écoutant les uns les autres. C’était une création d’un bonheur total.

Fatma Said
Définition du mot sar'āna, extraite de mon dictionnaire d'arabe
sar’āna, le mot aléatoire quotidien en arabe

After great pain, a formal feeling comes écrivait Emily Dickinson. Je pense que, maintenant, nous avons justement besoin de nous assoir et de découvrir que le silence est quelque chose que l’on peut réellement entendre

P.S. Joyeux anniversaire à ma sœur.
De la douceur, de la lumière et beaucoup d’amour aussi.

Un ciel nuageux jaune et cotonneux © Gilles Denizot 2023

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