Des galets sur un banc en pierre, des grains de sables, et la base des douches sur une plage de Barcelone #HolaBCN Voleur de sable © Gilles Denizot 2024
#holabarcelona, espagne, histoires

#HolaBCN Voleur de sable

Avez-vous la main verte ? Au Québec, ils ont le pouce vert, c’est joli


À Cologne comme à Hambourg, Ollie avait le don de transformer une brindille en une créature vivante, luxuriante, saine. Avec ou sans jardin, il était entouré de végétaux, il leur parlait, les changeait régulièrement de place et de pot. Il y a des gens qui savent y faire avec les plantes… #HolaBarcelona Voleur de sable

Cela fait longtemps que je n’ai même plus de balcon. Depuis 2016, je bouge d’un lieu à un autre. Il y eut bien quelques escales plus ou moins longues, mais je ne pouvais pas m’occuper de plantes. Quand j’habitais en Belgique, j’avais eu cette opportunité et je m’en étais donné à cœur joie. J’avais même défriché une belle parcelle dans le fond du jardin pour la convertir en potager. Les livres de jardinage me passionnaient, les associations de plantes pour combattre les maladies et repousser les prédateurs de manière naturelle, pour faire croître les légumes en les combinant avec des herbes, des fleurs qui s’apportent mutuellement ce dont elles ont besoin. Nous faisions de même dans un groupe de jardiniers amateurs, en échangeant nos semis, nos boutures, nos petits trucs.

J’attendais avec impatience le moment de planter les bulbes (et de les voir éclore). C’était l’occasion d’une visite à Amsterdam, d’où je revenais avec un nouveau spécimen de ma fleur préférée, la tulipe. Son histoire me fascinait, ses origines, son influence sur la politique et la société de l’époque. À Paris, une balade sur les quais de la Seine me poussait irrésistiblement rive droite vers les jardineries. J’admirais les rosiers aux noms extravagants, j’avais un pincement au cœur pour un citronnier. (J’en avais eu un à 13 ans, j’en vois un depuis des mois chez un fleuriste pas loin de la maison. Je lui fais un clin d’œil quand je passe devant.) Puis, je traversais le pont pour passer sur la rive gauche. Nonchalamment, je fouillais dans les caisses des bouquinistes. Quelquefois, j’y dénichais une planche botanique détaillant une feuille, un fruit, une fleur décrits en mots savants. Je me disais qu’un jour, j’aurais un cabinet de lecture rempli de bouquins, un fauteuil confortable, des flacons et des carafes aux formes variées. Les quatre murs accueilleraient ces planches un peu jaunies, altérées par le temps.

Alors, toujours sans balcon, j’ai compensé à Madrid. Le mardi après-midi, c’était entrée gratuite au jardin botanique. Un rare plaisir que de quitter la mansarde pour déambuler dans les allées. La période des tulipes était ma favorite, une floraison spectaculaire qui se renouvelait chaque semaine.

#HolaMadrid Tulip party

J’y ai multiplié les visites, étiré le temps en y lisant. C’est sur un des bancs que j’ai parcouru la majeure partie de Mujer de frontera, d’Helena Maleno Garzón (d’ailleurs, où est passé ce livre ? Il doit être chez Mercedes, ou bien chez Sandrine…) parce que ce récit brutal, lesté d’injustice, me semblait plus navigable à l’air libre. J’y voyais les images du détroit, les embarcations de fortune pourchassées par les vedettes de la marine. Je pensais à la terrasse et à l’Acacia dealbata que j’avais réussi à sauver, ma main verte étant alors temporairement revenue.

Au Real Jardín Botánico, il y avait des expositions gratuites, une rare collection de bonsaïs, de magnifiques livres à feuilleter, même des serres tropicales pour se sentir comme à Chennai. J’y jouissais d’un balcon aux nombreuses plantes acquises un soir sur East Coast Road. Ma favorite était un frangipanier, Plumeria sp. au parfum envoûtant, à la fleur délicate et sacrée de Sri Krishna. Ce n’est pas sans raison que mon encens indien de prédilection est le Nag Champa ; dans sa composition entrent le plumeria et le santal…

Mais je m’égare… Sauf une tentative infructueuse de faire pousser Yacinthe en décembre 2021, je me contentais d’admirer les belles plantes de la plage. Le citronnier en pot à côté de la maison et les mimosas du Passeig de Gràcia aussi. Du jaune, jaune comme les jonquilles. Et puis l’autre jour, alors que j’hivernais Yacinthe et ses copines (elles ont passé l’hiver au frigo qui n’a pas l’élégance de l’Hivernacle de la Ciutadella qui vient d’être restauré), j’ai adopté une petite succulente originaire d’Inde. Depuis, Vera et moi cohabitons. Elle semble ravie d’avoir été transplantée dans un pot blanc rempli de terreau pour cactus, elle a même accouché de deux drageons. Je crois que jamais, je ne parviendrai à lui couper ses feuilles pour en utiliser son gel.

À proximité, il y a les Havocs, Nº 1, 2, et 3. Ils ont le cul qui baigne dans l’eau depuis quelques semaines ; on peut toujours espérer qu’il leur en sorte des racines. Ollie en serait déjà à la plante adulte, qui sait avec un avocat mûr pour la récolte. Ma foi, on verra s’ils se décident à croître. Vera, l’ama de casa, la cheftaine du groupe, apprécie la chaleur et la lumière. Pour Noël, elle a reçu un peu de sable et des galets que j’étais allé voler (oui, voler !) sur une plage de Barcelone. C’est mal.

Why Barcelona’s beaches are disappearing © The Guardian

C’est mal, parce que le littoral de Barcelone disparaît. Les plages ne sont pas naturelles, elles ont été créées par l’homme pour les Jeux Olympiques de 1992. Les autorités municipales avaient alors utilisé des milliers de tonnes de sable pour étendre le front de mer et attirer les guiris (touristes, en langage local). Depuis 2010, plus de 70 % du sable a disparu et si cette tendance se poursuit, il n’y aura bientôt plus de plages. Il n’y aura pas non plus d’ajout de sable jusqu’en 2025, un gaspillage d’argent et une pratique considérée comme nuisible à l’environnement. Entre tempêtes dévastatrices (Nova Mar Bella a disparu à la suite de la tempête Ciaran en novembre dernier) et sécheresse historique (on attend des livraisons d’eau par bateau !), voler du sable pour Vera, c’est mal.

Ne dit-on pas que « faute avouée est à moitié pardonnée » ?, dont acte. J’attends de pied ferme la visite d’une équipe municipale. Ils sont incapables de régir la contamination sonore et les ordures qui nous pourrissent la vie. Si d’aventure l’Ajuntament de Sant Martí venait à me faire des reproches, j’inviterais notre regidor à se frotter à Vera. Elle a des bras épineux qui en feraient fuir plus d’un…

Des galets sur un banc en pierre, des grains de sables, et la base des douches sur une plage de Barcelone #HolaBCN Voleur de sable © Gilles Denizot 2024

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